C’est dans une officine anonyme de Tel-Aviv, à la vitrine dissimulée par un rideau de fer, que Shmuel Desalei Mashasha vient retirer chaque mois le remède aux douleurs qui le hantent. À l’entrée, l’ex-officier de l’armée israélienne, 31 ans, présente sa carte d’identité et une ordonnance signée par le ministère de la Santé. Puis il récupère un petit sachet transparent contenant 70 grammes de cannabis, qu’il fumera à raison de cinq joints par jour. «Avec ce traitement, la douleur passe de 10 à 2, dit-il, souriant. L’herbe me permet d’avoir une vie normale : travailler, dormir ou mener une conversation banale sans me crisper à tout moment.»
Shmuel a perdu une jambe en 2004, au cours d’une opération dans la bande de Gaza, et souffre depuis lors de douleurs fantômes aiguës qu’aucun médicament ne parvient à soulager. Comme 22.000 Israéliens atteints de maladies incurables, il s’est vu prescrire du cannabis médical dans le cadre du programme mis en place en 2007 par le ministère de la Santé. Selon le Dr Michael Dor, médecin chef de l’agence qui pilote le projet, «le nombre de patients concernés augmente tous les mois» et pourrait atteindre 30.000 en 2016.
Propriétés thérapeutiques du cannabis
Quelques années après s’être engagé sur cette voie, Israël est devenu un pionnier de la recherche sur les propriétés thérapeutiques du cannabis. La plante peut aujourd’hui y être prescrite en cas de cancer, de douleurs résistantes aux médicaments et dans certaines pathologies neurologiques comme les maladies de Charcot et de Parkinson, ou le syndrome de Gilles de La Tourette. Récemment, l’indication a été étendue aux enfants souffrant d’épilepsie sévère et aux cas de stress post-traumatique.
«L’efficacité du cannabis pour augmenter l’appétit, réduire nausées et vomissements, améliorer le sommeil et combattre la douleur est établie, souligne Michael Dor. Des travaux ont par ailleurs montré que sa consommation diminue les convulsions.» Mais la preuve scientifique de ces bénéfices manque. Les études, encore rares, portent le plus souvent sur des effectifs très réduits de patients ou sont peu concluantes.
La plante reste une substance illégale
Prudent, le gouvernement multiplie les garde-fous. Le cannabis médical est conçu comme une médecine de dernier recours, employée après échec des traitements classiques, dans des indications précises. Chaque prescription est approuvée par le ministère de la Santé. Contrairement à certains États américains qui en ont légalisé l’usage récréatif, la plante reste une substance illégale en Israël: hors du cadre pharmaceutique, sa consommation et sa vente sont interdites.
Huit entreprises privées se sont vu confier la culture de ce traitement palliatif. L’herbe que fume Shmuel Desalei Mashasha pousse ainsi dans le nord du pays, dans un parc national montagneux. Derrière un haut mur cerclé de barbelés et de capteurs électroniques anti-intrusion, la plus grande ferme d’Israël s’étend sur 3 hectares. Les plants y prospèrent à la lumière naturelle dans des serres chauffées, ventilées et humidifiées par un système entièrement automatisé. Tous les deux mois, des travailleurs saisonniers portant gants et blouses blanches récoltent les fleurs dans une odeur entêtante. Par mesure de sécurité, le reste de la plante est brûlé.
Tikun Olam : plusieurs variétés cultivées
Un laboratoire de recherche complète le dispositif. «Nous développons sans cesse de nouvelles variétés de plantes pour répondre aux besoins spécifiques des patients», souligne Ma’ayan Weisberg, porte-parole de la compagnie Tikun Olam. Pour ses douleurs violentes, Shmuel fume de l’Erez, une herbe très concentrée en tétrahydrocannabinol, ou THC, molécule à l’origine de l’ivresse typique entraînée par la consommation de marijuana. À l’inverse, une espèce à forte teneur en cannabidiol, ou CBD, un anti-inflammatoire sans propriétés psychoactives, est cultivée pour les enfants.
Tikun Olam se charge enfin de conditionner le cannabis (en sachets, joints préroulés, huile, capsules ou cookies pédiatriques) et de le délivrer. Après des années d’investissements, les cultivateurs voudraient tirer profit de leur expérience en obtenant le droit d’exporter leur produit. Craignant une mauvaise publicité, le gouvernement le leur refuse pour le moment.
Un quart du cannabis finit au marché noir
En Israël même, l’usage médical du cannabis ne va pas encore de soi, concède le Dr Dor : «Les autorités sont réservées : selon un rapport, environ un quart du cannabis thérapeutique finirait sur le marché noir.» Le traitement fait aussi peur à nombre de médecins qui redoutent des effets indésirables graves. L’herbe est contre-indiquée chez des patients présentant des antécédents psychiatriques, car sa consommation peut déclencher des dépressions sévères ou une exacerbation de troubles paranoïaques. Elle peut aussi provoquer une déshydratation, une accélération du rythme cardiaque ou une baisse de la tension artérielle. Mais ces incidents sont rares, selon les études scientifiques.
«Prise avec précaution, en ajustant les doses au patient et sous contrôle médical, l’herbe peut aider de nombreux malades», affirme Yohai Golan Gild, usager du produit et responsable d’une ferme qui milite, à l’instar d’autres producteurs, pour un accès encore plus facile au cannabis médical.
http://sante.lefigaro.fr/actualite/2015/05/15/23724-israel-fait-pari-cannabis-medical
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