Drancy : Le gendarme Camille Mathieu, Juste parmi les nations

Gendarme au camp de Drancy, Camille Mathieu avait 26 ans quand il a aidé des internés juifs à s’évader: un acte  exceptionnel qui lui vaut le titre de Juste parmi les nations mais dont cet homme modeste, aujourd’hui centenaire, n’aime pas parler: « c’était ma conscience à moi ». Im besetzten Gebiet. (Frankreich) Festnahme von Juden in Paris. Eingang zum Lager. Aug. 41
Né le 17 janvier 1915 à Lignières, petit village dans l’Aube, Camille Mathieu travaille dans la ferme de ses parents jusqu’à son service militaire.   En 1939, il rejoint la 22e légion de gendarmerie mobile de Paris, basée à Drancy, à 5 km au nord de la capitale. Jouxtant la caserne, un bâtiment inachevé en forme de U, destiné à loger des ouvriers, est réquisitionné par les Allemands et transformé en camp d’internement. Camille Mathieu est affecté à la garde extérieure du camp.
Le 20 août, des milliers d’hommes juifs sont arrêtés dans le 11e arrondissement de la capitale et conduits à Drancy, en application des lois sur le statut des Juifs d’octobre 1940. Inquiètes, leurs femmes assiègent le camp mais sont violemment repoussées par les gendarmes.
Deux d’entre elles, Yunka Fuchs et Adèle Herzberg, décident de passer la nuit dans un hôtel à Drancy pour tenter leur chance au petit matin.

Ils étaient pour nous l’espoir

Juché sur un mirador, Camille Mathieu les aperçoit rôdant autour du camp et leur intime l’ordre de s’éloigner. Puis, cédant à leurs supplications, leur souffle de laisser un papier avec leur adresse au pied du mirador. Dix jours plus tard, Mme Fuchs a la surprise de recevoir la visite de Camille et de sa femme Denise, qui offrent de les aider.

« A partir de ce moment, tantôt lui, tantôt son épouse, nous ont aidés avec le plus grand dévouement, se chargeant de notre courrier et aussi de quelque subsistance, petits colis pas trop voyants pour ne pas être pris (…), ils étaient pour nous ce que les mots ne peuvent exprimer dans un pareil moment: l’Espoir », a écrit Simon Fuchs dans son témoignage au département des Justes de Yad Vashem en février 1975.

Dans le camp, les conditions de vie sont terribles: on meurt de faim et les gendarmes font preuve d’une brutalité inouïe à l’égard des internés parmi lesquels figurent pourtant de hauts gradés médaillés de la Première guerre.
En novembre 1941, une occasion unique se présente. Le chef de la section IV-J de la Gestapo, Theo Dannecker, un antisémite fanatique, part se marier en Allemagne et le médecin de la préfecture de police de Paris satisfait une demande de la Croix-Rouge en autorisant la libération des détenus malades.

Camille Mathieu fait parvenir à ses protégés des médicaments destinés à les rendre malades. Le stratagème fonctionne: Simon Fuchs, Simon Herzberg et Albert Adjenbaum sont libérés. A leur sortie, Camille aide ces deux derniers à franchir la ligne de démarcation. Quant aux époux Fuchs, le gendarme les héberge chez sa mère, à Lignières, où ils resteront jusqu’à la fin de la guerre.

Des arbres a yad vashem

De retour à Drancy, il continue à jouer les facteurs jusqu’à ce qu’il soit pris la main dans le sac et radié de la gendarmerie en mars 1943. Il regagne alors son Aube natale et s’engage dans la Résistance.
Après la guerre, il rejoint l’armée française dans l’Allemagne occupée puis ira en Algérie au début des « événements ».
« Chaque 2 novembre, le jour de leur libération (de Drancy), nous étions invités chez les Herzberg pour un grand repas de fête », raconte son fils Gérard. Jusqu’au milieu des années 90, date à laquelle le journaliste Didier Epelbaum entreprend des recherches sur les 300 gendarmes qui gardaient le camp, il ignore tout des agissements de ses parents et des raisons qui les lient si fortement aux familles qu’ils ont sauvées de l’extermination.

En juin 1978, Camille et Denise sont invités à Jérusalem. Dans l’allée des Justes, au Mémorial de Yad Vashem, ils plantent trois arbres: un pour Camille, un pour Blanche, sa mère, et un pour Denise.
De ce voyage demeure une photo jaunie que le vieil homme aux yeux bleus regarde avec émotion, assis dans le fauteuil qu’il ne quitte plus depuis son attaque: On y voit Camille, le grand blond, et Simon Fuchs, le petit brun, en maillot de bains, au bord de la Mer morte, souriant.

Ève Szeftel

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