Ils ont raconté la Shoah
Aharon Appelfeld est reconnu comme l’un des plus grands écrivains israéliens. Nous avons rencontré l’auteur chez lui, à Jérusalem, pour l’interroger sur son rapport aux récits sur les camps nazis et sur sa vision singulière des survivants de la Shoah.
« Un sorcier bienveillant. » C’est par cette formule que l’écrivain américain Philip Roth décrivait son ami Aharon Appelfeld il y a presque trente ans. Et c’est bien un tel personnage qui nous ouvre la porte de son appartement de Rehavia, à Jérusalem, ce 2 mars 2015.
Tout apaise chez le romancier né il y a 83 ans dans la même rue que Paul Ceylan, à Czernowitz (ancienne Roumanie) : sa voix lente, profonde et hypnotique, son extrême gentillesse. Mais aussi la rondeur de ses traits qui laissent deviner l’enfant qu’il était avant et pendant la Seconde Guerre mondiale.
A 8 ans, le jeune Aharon est déporté avec son père dans un camp de Transnistrie. Il s’en échappe quelques mois plus tard et passe trois ans dans les forêts ukrainiennes jusqu’à l’arrivée de l’armée russe, en 1944. C’est alors « un enfant perdu, totalement désorienté » qui travaille pour elle, en cuisine, avant de s’embarquer deux ans plus tard pour la Palestine.
Depuis 1962, Aharon Appelfeld a publié une œuvre abondante et imprégnée par l’expérience de la Shoah. Mais pour lui, les survivants ne se résument pas à ce qu’ils ont vécu et raconté. Ils se distinguent plutôt par leur conscience aiguë du réel.
Vous rappelez-vous de la première fois
que vous avez raconté
ce que vous avez vécu pendant la guerre ?
En réalité, après guerre personne ne parlait et personne ne posait de questions. Personne n’avait envie d’entendre des histoires atroces. Tout ce qu’on voulait c’était avoir à manger, des vêtements et venir en Palestine. J’avais à peine 13 ans quand j’y ai débarqué.
Comment raconter quand on manque de connaissances linguistiques suffisantes pour formuler tout ça ? Chez moi, à Czernowitz, j’avais tout juste fini le CP quand la Guerre a éclaté. Et puis, la mémoire d’un enfant est très limitée et imprécise : c’est un mélange d’imagination et de souvenirs confus, sans mise en perspective.
“Nous sommes venus en Israël
pour nous débarrasser du passé.”
Dans la préface d’Histoire d’une vie, vous écrivez :
« Après la guerre, j’ai passé plusieurs mois sur
les côtes italienne et yougoslave. Ces mois furent
d’un merveilleux oubli. […] L’oubli creusait alors ses
caves profondes. Avec le temps, nous les transportâmes
en Israël. […] L’oubli trouva là une terre fertile. »
Que voulez-vous dire ?
Durant mes cinq ou six premières années passées en Israël, je ne me souciais que du présent. C’était merveilleux : je n’avais pas d’obligation, pas de sentiment de culpabilité… J’avais eu un chez moi, en Bucovine, mais ça ne comptait plus. L’important c’était le travail, le kibbutz, être jeune, fort, beau, et devenir progressivement un homme. Nous sommes venus en Israël pour nous débarrasser du passé.
Peut-on être un « homme sans passé » lorsqu’on a vécu ce que vous avez vécu ?
Je viens d’une catastrophe. Le ghetto, le camp, se cacher dans les bois… ce n’est pas une vie normale. Je suis passé d’une vie anormale à une vie normale, donc j’ai refoulé. Le passé n’allait m’être d’aucun secours en Israël. Ici, la tendance des années 30 à 50 était de vivre au présent, de regarder devant soi, de ne pas se retourner.
Quand j’ai fini l’armée, en 1952, je suis entré à l’Université hébraïque de Jérusalem. J’y ai rencontré des gens passionnants et intéressés par le passé comme Agnon, Martin Buber ou Gershom Scholem. C’est à cette époque-là que j’ai commencé à écrire et c’est seulement en écrivant que je me suis rappelé de ce qui m’était arrivé pendant la guerre.
« Les gens sains d’esprit ne parlaient pas
[dans le camp] »,écrivez-vous dans Histoire d’une vie.
Pourquoi ce silence ?
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