Ma pharmacie est une attraction touristique

Dans le 5e arrondissement de Paris, une officine de quartier est devenue en quelques années une halte obligatoire pour les touristes coréens.

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Sur la cinquantaine d’employés de la pharmacie Monge, neuf parlent coréen, comme Jessy Cornu, 33 ans. Catherine Rollot

Un simple stick à lèvres, peut vous emmener au bout du monde. Vous faire reconnaître dans le métro de Séoul. Vous permettre de fêter le nouvel an en compagnie de Kim Hye-soo, la « Sophie Marceau » coréenne, une quadragénaire sexy, star en son pays. C’est l’étonnant effet boule de neige dont a bénéficié Jessy Cornu a 33 ans, de grands yeux bleus, un air très doux qui cache un fond de timidité.
Loin des paillettes et des plateaux de cinéma, le jeune homme travaille dans les rayonnages surchargés de la Pharmacie de Monge, dans le Ve arrondissement de Paris. Pourtant Jessy est une petite vedette auprès des touristes coréens, qui le photographient sur fond de shampooings et de crèmes hydratantes, le remercient et l’invitent à venir au Pays du matin calme.
En quelques années, ce qui n’était qu’une officine de quartier est devenu le passage obligé des touristes coréens lors de leur séjour à Paris. Sur Internet, dans les guides touristiques, la « Mongjyu Yakuk » (Yakuk, « pharmacie » en coréen) pointe en tête des incontournables parisiens au même titre que les Galeries Lafayette ou le Louvre. Sur les quelque 3000 clients qui affluent chaque jour, environ un tiers sont des touristes venus d’Asie, principalement coréens et, dans une moindre mesure, chinois. Tous viennent pour les prix, la détaxe sur place, la qualité de l’accueil et le choix : 20 000 références, essentiellement diététiques et cosmétiques, de quoi faire tourner la tête de ces consommateurs, fans de compléments alimentaires et de produits de beauté. Une Coréenne utilise en moyenne huit cosmétiques différents par jour, quand une Française se contente de trois.

Des prix jusqu’à 50%

inférieurs à ceux du marché

La success-story tient autant au hasard qu’au flair commercial d’Alexandre Freyburger, le propriétaire des lieux. « Il y a une dizaine d’années, une journaliste coréenne qui habitait dans le quartier s’est fait l’écho sur son blog de nos prix bas et de notre accueil. Très vite, le bouche-à-oreille numérique a fonctionné. Pour mieux aiguiller cette clientèle, j’ai fait appel à une traductrice », explique le dynamique pharmacien de 44 ans, large sourire et allure sportswear. À l’époque, la pharmacie était déjà connue pour afficher des prix en parapharmacie inférieurs en moyenne de 20 à 50 % à ceux du marché, grâce à des achats groupés et à des marges réduites.
En 2007, l’embauche de Jessy, alors étudiant en langues étrangères, accélère le virage international. Le jeune homme maîtrise non seulement le coréen mais il est aussi d’accord pour se former à la cosmétologie. Cette double compétence est vite appréciée par une clientèle qui découvre que la liste de produits vantés sur les différents sites Internet n’est pas toujours adaptée à leurs besoins. « En Corée, les vendeurs sont très agressifs d’un point de vue commercial, raconte le jeune homme. Les consommateurs sont aussi très influencés par Internet et les réseaux sociaux. Au début, ils sont un peu surpris de voir que l’on ne leur propose pas systématiquement le produit le plus cher, le plus nouveau, le plus riche… et ils reviennent car ils sont en confiance. »

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Face à l’affluence, la Pharmacie de la place Monge a connu deux agrandissements. Et, depuis le début de l’année 2015, elle ouvre 24h/24h et 7j/7j. Catherine Rollot

Ce matin-là, Kim Jin Oh, 25 ans, grand échalas en doudoune, a reconnu Jessy. « L’année dernière, tu m’as conseillé une crème à raser, est-ce-que cette lotion est bien pour ma peau ? » Accompagné de sa jeune sœur, smartphone à la main, l’étudiant a déjà rempli son panier, de boîtes de vitamines C, d’eau micellaire et de crèmes hydratantes. Le duo s’est rué sur les gammes Nuxe, Bioderma, La Roche-Posay, Avène, Darphin… des marques qui sont pour eux gages de sérieux car distribuées en pharmacie, et qu’ils considèrent comme des produits de luxe.
« Ici, c’est sept fois moins cher, s’enflamme Eun Ji, 21 ans, une étudiante de Séoul qui joue des coudes pour attraper des tubes de crème pour le corps. « Non quand même pas, mais au moins trois fois. Et chez nous, il n’y a pas autant de choix », réajuste Youn Sun, qui se renseigne sur la détaxe. « Au-dessus de 176 euros, vous avez une déduction de 15 % », explique Mickaël Dubois, embauché il y a deux ans, notamment pour sa connaissance du coréen, du japonais et du chinois. Avec le temps, ce tout juste trentenaire ne s’étonne plus de vendre 80 sticks à lèvres à un même client ou de voir des rayons vidés en quelques minutes. Il a pris l’habitude d’entendre la nuée de touristes asiatiques s’extasier sur les produits en petits formats, les mini-stick à lèvres, les tubes de crème et gel douche colorés à petit prix, qui feront de parfaits cadeaux souvenirs.

Une dizaine de langues parlées

Dans cette tour de Babel en blouse blanche, le touriste, même s’il n’est pas coréen, aura peu de chance de rester démuni devant une notice de shampooing. Sur la cinquantaine d’employés, pharmaciens ou conseillers de vente, neuf parlent coréen, trois chinois, un japonais. L’italien, le portugais, l’espagnol, l’arabe et bien sûr l’anglais sont aussi pratiqués. Un effort dans la qualité du service, même si le patron, Alexandre Freyburger, reste bien conscient que 70 % des « quelque dizaines de millions de chiffre d’affaires annuel » de son officine, placée dans le top cinq des plus grandes pharmacies de France, lui sont assurés par sa clientèle française.
Pour éviter la cohue, le magasin a été agrandi à deux reprises pour une superficie de 400 m2 , les heures d’ouverture ont été étendues. Depuis le début de l’année, la pharmacie est ouverte 24h/24h et 7j/7j. Jamais à cours d’idées, Alexandre Freyburger vient de lancer ses propres cosmétiques au logo « Pharmacie Monge », une manière de talonner sa concurrente directe, la pharmacie Citypharma, implantée rue du Four dans le 6e arrondissement et de surfer sur sa notoriété internationale. A quand le pot de crème plus populaire qu’une réplique de la Tour Eiffel ?
http://www.lemonde.fr/m-plan-b/article/2015/03/20/ma-pharmacie-est-une-attraction-touristique_4597728_4498071.html#xtor=EPR-32280631-%5BMlemagazinedumonde%5D-20150320-%5Btitres_haut%5D

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