Elles guettaient le facteur et sautaient de joie en ouvrant leur courrier signé Emile Zola ou Mark Twain.
Pendant des décennies, trois sœurs roumaines d’origine juive ont constitué une inestimable collection de lettres de grands noms de la littérature.
Nées dans la seconde moitié du XIXe siècle à Galati, port sur le Danube dans l’est de la Roumanie, Antonie, Rovena et Emilia Schwarz étaient « passionnées de lecture » mais aussi de vraies chasseuses d’autographes et de photos, indique Ilie Zanfir, directeur de la bibliothèque V.A. Urechia, à laquelle la cadette Emilia confia 714 lettres en 1965.
La première missive date de 1891, la dernière de 1961. Mais le plus gros des échanges a eu lieu dans leurs jeunes années, entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle.
Les sœurs, dont on connaît peu de la vie privée et qui n’ont jamais eu d’enfant, ont voué l’essentiel de leur existence à l’éducation des jeunes filles pour qui elles ont créé une école.
Elles demandaient à leurs célèbres correspondants des conseils de lecture, des avis sur des questions d’actualité, et une photo d’eux si possible.
A MON ÂGE,
ON NE VA PLUS DÉRANGER LE SOLEIL –
Leurs réponses pouvaient aller de quelques lignes à une page entière de réflexions sur la place des femmes, sur la littérature ou sur l’astronomie, passion de l’aînée Antonie, décédée en 1912 à un âge non déterminé, sa date de naissance n’étant pas connue.
« Mon avis est donc que vous devrez lire mon œuvre quand vos parents ou votre mari vous le permettront », écrivait en juin 1893 Emile Zola (1840-1902) dans un courrier adressé à Rovena, morte en 1955 à 87 ans.
Jules Verne (1828-1905) regrettait lui de ne pas pouvoir envoyer de photo: « A mon âge, on ne va plus déranger le soleil pour le prier de fixer ses traits sur la plaque d’un objectif. » C’était le 3 janvier 1896.
Même refus poli de Mark Twain (1835-1910) qui, dans une brève réponse en anglais, assurait ne disposer d' »aucune photo » mais envoyait « avec plaisir » son autographe.
Alexandre Dumas fils (1824-1895) confiait à Antonie, quelques mois avant de mourir, un adage sur l’amour: « Qui a aimé deux fois n’a pas aimé. »
Comment faisaient-elles pour dénicher l’adresse de ces célébrités ? « Je pense qu’elles avaient en main l’un de ces deux bottins de référence, +Tout Paris+ ou +Paris Hachette+, deux publications très riches en données personnelles », estime le professeur Hervé Duchêne de l’université de Bourgogne, qui a pu consulter 12 lettres de Rovena déposées à la bibliothèque
Méjanes d’Aix-en-Provence en France.
AFFAIRE DREYFUS
Les échanges liés à l’antisémitisme occupent une place à part dans la correspondance assidue de ces trois sœurs d’origine juive, dans le contexte tendu de l’affaire Dreyfus.
Rovena a aussi tenté de sensibiliser ses influents correspondants au sort des Juifs de Roumanie, en particulier ceux de Galati
Dans ses lettres, elle raconte comment des dizaines d’entre eux ont été chassés de leur maison en 1900 et contraints de se réfugier dans la synagogue et dans le cimetière de la ville.
Elle exhorte notamment Emile Zola à exposer ce drame dans le quotidien « L’Aurore » – où il avait publié son pamphlet « J’accuse ! » qui attaquait les pouvoirs publics et clamait l’innocence de Dreyfus – mais sans succès.
La ville de Galati abritait alors une communauté de 13.000 Juifs, sur près de 60.000 habitants. Aujourd’hui, le port compte une centaine de Juifs sur une population d’environ 250.000 habitants.
Toutes ces lettres, consultables par chacun sur demande et sur place, sont « un trésor légué à Galati », qui a gardé des liens privilégiés avec la langue française, estime Delia Pohrib, chercheuse et muséographe locale. Au-delà, elles enrichissent « le patrimoine culturel de l’Europe dans son ensemble », juge-t-elle.
Mihaela Rodina
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