En Israël, aucun meeting électoral ne parvient à rivaliser avec l’émission télévisée de satire politique « Erezt Nehederet » (« Un pays merveilleux »), qui massacre avec humour les candidats à coups de sketchs devenus cultes.
« Tout le monde en prend pour son grade, la gauche, la droite… personne n’est épargné », résume l’actrice Shani Cohen, qui joue le rôle de la candidate centriste Tzipi Livni dans cette grand-messe loufoque qui s’apparente à un mélange du Petit journal et des Guignols de l’info français.
« Eretz Nehederet » est diffusé depuis 12 ans en prime time sur la deuxième chaîne. Le premier épisode de la dernière saison, qui a marqué pour beaucoup le coup d’envoi officieux de la campagne, a réalisé 30% d’audimat, selon les producteurs.
Dans le studio d’enregistrement au nord de Tel-Aviv, des centaines de fans piaffent en espérant se faire prendre en photo avec les vedettes qui incarnent Mme Livni, le Premier ministre Benjamin Netanyahu ou le président palestinien Mahmoud Abbas.
Le blanc violacé des cheveux de M. Netanyahu, la diction empâtée de Mme Livni ou le « ça suffit maintenant! » postillonné par Naftali Bennett (droite religieuse) sont certainement plus connus du public que leur programme.
« On est pris très au sérieux, les gens nous regardent comme ils regardent un programme d’information », analyse le présentateur du talkshow, Eyal Kitsis, dont la mission est de poser des questions très sérieuses aux politiciens déjantés sur le plateau.
Les scénaristes du « pays merveilleux » ont cependant été pris de court par la concurrence des vrais candidats, qui se sont lancés dans l’autodérision.
M. Netanyahu, alias Bibi, s’est mis en scène dans une vidéo de campagne en « Bibi-Sitter », installé avec un bol de pop-corn sur le canapé d’un jeune couple dont il garde les enfants. Son rival, le candidat de la gauche Isaac Herzog, s’est moqué de sa propre « voix de canard » dans un spot. Naftali Bennett a lui déambulé dans les rues de Tel-Aviv déguisé en espèce de gaucho branché.
ON RESTE MEILLEUR QU’EUX
« Pas inquiétude: on reste meilleur qu’eux »,le producteur, Muli Segev.
« D’abord, on est plus drôle qu’eux. Et puis, il ne faut pas oublier que leur rôle premier, c’est quand même de diriger ce pays et que eux, contrairement à nous, n’ont pas vraiment assuré ces dernières années », dit-il.
Un sketch de l’émission explique cependant que M. Netanyahu a des circonstances atténuantes.
« Bibi » est en effet victime d’un sort jeté dans sa jeunesse par une gitane au nez crochu. Il est condamné à être Premier ministre pour l’éternité. Sa seule chance de rompre la malédiction ? Devenir le « pire Premier ministre de l’histoire d’Israël », en sabotant la relation avec l’allié américain, en multipliant les guerres et en ruinant la démocratie israélienne.
« C’est beaucoup de responsabilité de jouer le Premier ministre. Moi, j’essaye de le respecter. Les scénaristes un peu moins », reconnaît Mariano Idelman, qui incarne M. Netanyahu avec un grand réalisme.
Les sketches d’Eretz Nehederet ont eu un écho jusqu’à la Maison Blanche. Lors d’une visite à Jérusalem en 2013, le président américain Barack Obama plaisantait que tous les psychodrames rapportés entre lui et son « ami Bibi » ces dernières années étaient un « complot pour trouver de quoi alimenter Eretz Nehederet ».
Pour son émission sans concession, l’équipe puise évidement dans la situation politique et diplomatique d’Israël. Le décor du plateau en témoigne. Des répliques en béton de pans du mur du séparation avec la Cisjordanie, un système anti-missiles en plastique et des bouts de tunnels semblables à ceux de Gaza encerclent la table du talkshow.
« Nous voyons Israël comme une bulle qui essaie de mener une petite vie tranquille dans une région tourmentée en se cachant des Palestiniens derrière un mur et du Hamas sous un dôme de fer. C’est aussi ça, notre merveilleux pays », dit le producteur Muli Segev.
Daphné Rousseau
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