Korsia : Que chacun soit "le gardien de son frère"

Le grand rabbin de France Haïm Korsia, chef religieux de la première communauté juive d’Europe, appelle chacun à « devenir le gardien de son frère » après les attentats et actes antisémites de ces dernières semaines en Europe, dans un entretien à l’AFP.

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Le grand rabbin de France Haïm Korsia (Photo Stephane de Sakutin. AFP)

QUESTION: Après les attentats de Paris et Copenhague, qui ont visé notamment des juifs, des commentateurs ont parlé de fractures, entre citoyens, dans les sociétés européennes. Est-ce votre analyse?
RÉPONSE: « On a longtemps refusé de faire ce constat. La manifestation du 11 janvier a été un moment de grandeur parce que d’unité et de fraternité retrouvées, qui a invité chacun à ne plus nier l’évidence. Le vivre ensemble ne doit pas être un mantra mais une capacité à vivre des solidarités concrètes, en éloignant les fausses projections que l’on a sur l’autre. Je viens de me rendre au Mémorial du 11-Septembre à New York, symbole de l’aptitude d’une société démocratique à se relever quand elle a été frappée en son sein – comme on vient de l’être. Il y a aux États-Unis une culture de la
résilience dont j’ai vu les bienfaits. »
Q: Depuis le 7 janvier, tout le monde en France veut promouvoir la laïcité. Mais laquelle?
R: « Il n’y a pas de +mais+. La laïcité c’est la laïcité: la neutralité de l’État, la liberté de pratique religieuse dans la mesure où elle n’affecte pas les autres principes républicains. La laïcité ne peut pas devenir une nouvelle religion niant le fait religieux, sinon nous allons créer deux sociétés alors que nous cherchons à produire de l’unité. Nous ne sommes pas une société monolithique, mais une communauté de citoyens avec leurs points de vue spirituels ou philosophiques, qui ont la même espérance: la France. Ce n’est pas un pays où l’on est heureux, c’est un pays où l’on veut l’être. L’islam aussi a les moyens de s’adapter à la laïcité. Une prière pour la République -récitée dans nos synagogues- peut être élaborée dans l’islam français. »
Q: Comment, en tant que rabbin, répondez-vous à cet antisémitisme qui resurgit, dans le dialogue avec les juifs?
R: « En me plongeant dans le message biblique. Jamais le judaïsme n’a prôné autre chose que l’espérance. Appuyons-nous sur l’expérience des anciens: ils ont appris, par le prix terrible du sang, à détecter les vibrations les plus infimes de la société. L’État a mis le temps pour les entendre, mais à présent la volonté politique de lutter contre ces maux est incontestable. Le pas suivant, c’est l’engagement des citoyens. Que chacun devienne le gardien de son frère, en déployant une vigilance. Nous gagnerons en efficacité ce que nous perdrons en innocence. »
Q: La profanation du cimetière juif de Sarre-Union, est-ce le signe d’une perte du sens de l’humanité même?
R: « D’aucuns disaient que l’inculture mènerait à la barbarie: nous y sommes. Cette violence contre des tombes est la négation de l’humain même après sa mort. Et qu’on ne me raconte pas que ces adolescents ne savaient pas ce qu’ils faisaient: ils le savaient très bien car cela touche à l’interdit. Manifestement, personne ne leur a inculqué le respect des morts; comment alors demander de respecter les vivants? Nous-mêmes, juifs, nous nous sommes dit que  cette profanation était terrible parce qu’elle était massive. Mais à combien de tombes profanées fixe-t-on la limite de l’acceptable ? Une sépulture profanée, un crachat dans la rue au passage d’un juif, est inadmissible. Aux Etats-Unis, on appelle ça la théorie de la +broken window+: dès la première
vitre cassée, on sévit. »
Q: Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu multiplie les appels aux juifs d’Europe pour qu’ils émigrent en Israël. On sent que les responsables communautaires veulent répondre « restons en Europe, c’est ici qu’est notre vie ».
R: « Nous l’avons toujours dit! Les juifs de France s’inscrivent dans une histoire française, ils entretiennent les traditions d’un judaïsme bimillénaire. Rachi, qui a permis aux juifs du monde entier de comprendre la Torah et le Talmud, a vécu il y a plus de 900 ans à Troyes. Nous devons encore porter ce génie combiné de la France et du judaïsme. Si quelqu’un, spirituellement, sereinement, librement, fait le choix de l’aliyah, c’est formidable. Mais ce ne peut être une fuite, ce serait tragique. Il faut donc qu’on réenchante la possibilité pour chacun d’habiter en France, en Europe. »
Interview recueillie par Benoît Fauchet

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