« L’Arche »: ces destins juifs,
ces grandes figures qui ont fait la France
« L’Arche », qui se présente comme le magazine du judaïsme français, a publié récemment un hors-série consacré à » Ces grandes figures qui ont fait la France ».
Bien entendu, il ne s’agit pas des personnages des livres d’histoire, de littérature ou de sciences : ni les rois de France, ni ses grands soldats, ni ses écrivains classiques ne sont évoqués.
« L’Arche » est un média du Fonds Social Juif Unifié et ce qui intéresse le Directeur de la rédaction, Salomon Malka, ce sont les juifs de France, » les Juifs et Français « .
« Shlomo » Malka, la passion et le talent, a voulu retracer des itinéraires, présenter des figures et rappeler des œuvres.Il a choisi de ne retenir que des figures disparues pour « éviter d’être confronté à des choix cruels ».
Parti d’une liste de cent figures passées, il en a finalement retenu une cinquantaine, choix personnel qu’on « peut chicaner » tout comme on pourrait « remettre en cause la judéité de l’un ou de l’autre ».
De A à Z ,on circule de Raymond Aron à Jean Zay et il y a donc 50 articles sur des destins juifs : Marc Chagall, Albert Cohen, Simon Debré, Serge Gainsbourg, Romain Gary, Joseph Kessel, Emmanuel Levinas, Claude Levy-Strauss, Georges Mandel, Amedeo Modigliani, Montaigne, Marcel Proust, Rachi de Troyes, Chaïm Soutine…pour citer ceux de notre choix personnel .
Des photos bien choisies, des titres inspirés et des textes passionnants: on feuillette, on parcourt, on lit et, en tout cas, on conserve le magazine que l’on transmettra un jour .
Nous avons le privilège de publier quelques uns des textes du hors-série grâce à l’amitié de Shlomo. Pour nous comme pour nos lecteurs, ce sera le cadeau de Hanouka : les lumières de nos juifs célèbres pour vaincre les ténèbres des obscurantismes.
André Mamou
GEoRGES MANDEL, l’insoumis
Il ne fut pas un politicien ordinaire,
mais un homme qui pense large et voit loin.
Dans une droite largement façonnée par le culte de l’ordre et par un axiome fatal – « Plutôt une injustice qu’un désordre » –, Georges Mandel fut un tory inclassable. Un conservateur sorti du cadre – de tous les cadres. Quatre générations plus tard, il donne l’exemple d’un anticonformisme dédié à la défense de quelques principes imprescriptibles, sans lesquels le triptyque républicain est un mot vide.
Bien sûr, Georges Mandel, né en 1885 en Seine-et-Oise, dans la famille d’un modeste tailleur d’origine alsacienne, a représenté la quintessence des élites bourgeoises de la IIIe République : il a étroitement associé sa destinée à celle de l’État. Il n’avait que vingt-et-un ans quand il a rallié le sillage affectueux de Clemenceau qui le coopta dans son journal, L’Aurore ; en 1917, à tout juste trente-deux ans, quand le « Tigre » redevint président du Conseil, c’est lui, le jeune Mandel, qui, dans le secret d’un tête-à-tête avec son mentor, a validé ses nominations ministérielles. On se méprendrait si l’on retenait de Mandel l’image d’un Rastignac avide de se tailler un empire dans les palais de la République. Non, Mandel ne fut pas que cet homme pressé.
Réminiscence de l’atmosphère dreyfusarde de son enfance ? Réflexe juif ? Ou sursaut d’indépendance d’un homme dont Jean-Noël Jeanneney a souligné que, dans l’exercice des responsabilités suprêmes, il avait conservé une mélancolique marginalité ? Le fait est, en tout cas, qu’en pleine montée des périls, Mandel ne s’est pas comporté en politicien ordinaire.
Anticarriériste en diable, il a fait entendre une inquiétude « prophétique » quant au réarmement accéléré de l’Allemagne. Le 9 novembre 1933, le jour même où Hitler se fait sacrer chancelier du Reich, c’est dans une Chambre assez largement apathique que Mandel, prenant tous les conformistes à revers, électrochoque les déjà-résignés, les déjà-munichois : « Mesurez messieurs, en présence des préparatifs militaires d’outre-Rhin, les conséquences que pourraient avoir les mêmes fautes quand il y va de l’existence du pays. »
Dans la séquence dramatique qui s’ouvre, Mandel étonne et détonne car il pense large et voit loin. Signe distinctif : un conservatisme bourrelé d’angoisse, bien plus proche de Péguy ou de Lucien Herr que de Poincaré et des godillots bleu horizon qui peuplent alors de leur mol quiétisme les travées conservatrices du palais Bourbon. Dans la deuxième partie des années 1930, il va crescendo dans ses avertissements antifascistes. Et ce ministre énergique opposé à tout compromis avec les États totalitaires ne change pas de ton : il s’oppose à Pierre Laval sur la question de la guerre d’agression menée contre l’Éthiopie par l’Italie mussolinienne. Mandel, résolument étranger au sfumato trompeur des appeasers, comme les a nommés l’historien Martin Gilbert, pourfend les réformes sociales menées par le gouvernement de Blum, dans lesquelles il discerne le risque d’un affaiblissement de la productivité française face à un empire hitlérien adonné à la « mobilisation totale ».
Liberté de Mandel : jamais son patriotisme ombrageux ne se laissa enfermer dans les vertiges nationalistes cultivés par son camp. Jamais son amour de la France ne devint tributaire des frilosités isolationnistes si répandues aujourd’hui comme alors. Pour preuve : cet homme d’une droite qu’on dirait aujourd’hui « décomplexée » montra qu’il savait mieux que tous les autres hiérarchiser les priorités. Parer à l’urgence de l’heure. Et donner sa chance au containment de la menace nazie.
Alors, on dira ce qu’on voudra. Certes, l’homme qui eût pu « incarner le sursaut » en 1940 n’accéda pas, comme le rappelle Jeanneney, au rôle flamboyant du général de Gaulle : arrêté au Maroc, livré à l’Allemagne par Pétain et assassiné par la Milice française, le 7 juillet 1944, dans la forêt de Fontainebleau, il mourut six semaines avant la libération de Paris. Personnalité aussi attachante qu’hétérodoxe, celui que Churchill appelait « Mandel le Grand », reste, par-delà la tragédie scellée par son assassinat où Brasillach a eu sa part d’ignominie, l’un de ceux et de celles qui ont écrit les riches heures d’une aventure qui continue : la rencontre du républicanisme français et des juifs.
Alexis Lacroix
L’Arche sur abonnement et en kiosques ( on peut s’abonner ou trouver la liste des kiosques sur le site du magazine: larchemag.fr)
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