Jean-Luc Mélenchon et ses amis, de Clémentine Autain à Cécile Duflot en passant par Pierre Laurent, ont oublié le mot de Alexandre Bracke-Desrousseaux, lancé le 10 mai 1936, dans l’euphorie de la victoire du Front populaire : « Enfin, les difficultés commencent ».
À les voir, depuis dimanche soir, célébrer et s’enivrer de la victoire de Syriza aux élections législatives grecques, on mesure que ce que l’on nomme en France « gauche de la gauche », avec un peu de vert dedans, demeure confiné dans un espace-temps daté. Un petit vent années 1930-années 1960 souffle sur la gauche de la gauche française. Tout est possible ! La victoire est à portée de mains. Ennemis du FMI de tous les pays, unissez-vous.
Comme si la victoire d’un parti de la gauche de la gauche dans un pays grand comme quatre départements français donnait le signal qu’attendaient les vagues rouges-vertes pour déferler sur l’Europe démocratique. D’Athènes à Paris, de Londres à Berlin, de Rome à Madrid.
La France n’est pas la Grèce
En vérité, les Grecs ont voté Syriza parce que rendus à un point de désespoir intense, ils ont choisi le désordre, le tumulte et la politique de la table renversée pour se montrer qu’ils étaient encore les maîtres de leur destin. On peut voter n’importe quoi, n’importe qui, quand on estime que l’on a rien à perdre.
La « tsyprasisation » de Jean-Luc Mélenchon, de même que la « mélenchonisation » de Cécile Duflot, reposent en France sur le même type d’équation. « Vous n’avez rien à perdre, votez pour nous ! » Voilà pour le message. « Avec nous, on ne paie plus les dettes, on augmente les salaires et on baisse les impôts ! » Voilà pour le programme.
C’est comme ça, en vérité, que Tsipras a réussi à balayer en Grèce les forces traditionnelles de la gauche socialiste et réformatrice. En jouant la carte de la désespérance qui pousse au vote déréalisé. En promettant des lendemains qui chantent. Se faire élire en se présentant comme la dernière chance de ceux qui n’ont rien à perdre, ce n’est pas le plus difficile. Grandeur et misère du suffrage universel.
Mais la France n’est pas la Grèce. S’il existe une tentation réelle, dans des pans entiers de la population, de voter « rien à perdre », ce n’est sans doute pas une éventuelle coalition rouge/verte, Mélenchon/Duflot, qui en tirerait profit.
La gauche n’est pas la seule
à célébrer ce succès
Déjà, les souverainistes les plus convaincus, qui flirtent depuis longtemps avec la tentation de renouer le fil nationaliste barrésien, se réjouissent de ce que la victoire de Syriza puisse être un puissant facteur de destruction de l’Union européenne, le tout sur fond de cette germanophobie bien-pensante prêchée par Emmanuel Todd.
Par exemple, sur Le Figaro Vox, sous la plume d’une personnalité emblématique de ce courant passée du col Chevènement au blazer Philippot, on peut lire qu’en votant Syriza les Grecs ont voulu punir une « Allemagne au sommet de son arrogance ». Et de bicher : « Quelque chose est en train de frémir au cœur de cette Europe comptable sous imperium allemand ». Et de se réjouir à la vue des « germes de l’autodestruction de la zone euro ». L’Allemagne paiera ! On a déjà entendu ça, et on a vu le brillant résultat de cette politique.
Car Mélenchon, Duflot et tous leurs amis de la gauche rouge/verte ne sont pas les seuls à célébrer le succès Syriza et la leçon infligée à la méchante Allemagne. Marine Le Pen et Florian Philippot sont contents. Nicolas Dupont-Aignan est content. Emmanuel Todd est content. Les disciples d’Emmanuel Todd sont contents.
Nul doute qu’un panel représentatif de ces courants sera prochainement convié dans une émission de Frédéric Taddeï, sur France 2, histoire de maudire encore et encore cette construction européenne qui a fait de nous, c’est bien connu, le satellite de l’Allemagne. La germanophobie fait avancer l’identité nationale, c’est bien connu.
En France,
les mécontents ne viennent pas à Mélenchon
Or, dans une France qui vire culturellement à droite depuis 20 ans, sur font d’hostilité à la nécessaire construction européenne, de mécontentement vis-à-vis des élites politiques traditionnels passés au pouvoir, UMP et PS confondus, le mouvement en faveur d’un vote « rien à perdre » risque de ne pas s’opérer en la faveur des forces de la gauche de la gauche.
On verra dans les semaines qui viennent, lors de l’élection partielle du Doubs (ex-circonscription de Pierre Moscovici) puis lors des prochaines cantonales, et pour finir avec les régionales, ce qu’il en sera du vote « rien à perdre » en France.
Force est de constater que depuis les élections européennes de l’an passé, le vote « rien à perdre » a profité et profite uniquement au Front national, seul parti légitime aux yeux des électeurs décidés à user de leur vote pour provoquer une situation de catastrophe destinée à se venger des auteurs supposés de leurs malheurs.
Pour le moment, Syriza ou pas, le vote Front de gauche peine à dépasser les 7%, bien loin des 11% Mélenchon de la présidentielle 2014. Le problème de Mélenchon, c’est que c’est la gauche qui est au pouvoir. Il a beau dire, il a beau faire, les mécontents ne viennent pas à lui. C’est une réalité.
Pour la gauche,
les difficultés commencent
Oui, comme en Grèce, la tentation du vote « rien à perdre » gagne bien des esprits en France. Mais dans un pays glissant à droite, matraqué par le zemmourisme audiovisuel, gangrené la question identitaire, soumis à la pression de la mondialisation, s’estimant floué par l’Europe technocratique, prêt à renouer avec les démons de la revanche contre l’Allemagne, ce n’est pas vers celui qui se présente en Tsipras français, même avec une Duflot mélenchonisée à ses côtés, que risque de se tourner ce vote désespéré.
En France, le créneau du vote « rien à perdre », contre l’Europe, les élites, l’Allemagne, les États-Unis, le FMI et le reste du monde est déjà largement préempté par le FN. « Enfin, les difficultés commencent » pour les gauches de la gauche européennes du sud, sauf qu’en France, la première de ces difficultés s’appelle Marine Le Pen, qui bénéficie de la poussée du vote « rien à perdre », phénomène accentué, en partie, par la représentation médiatique disproportionnée des « intellectuels » du post-chevènementisme.
Souvenons-nous : la seule fois où Mélenchon a voulu affronter la présidente du FN, en duel électoral, à Hénin-Beaumont, lors des législatives 2012, il a été battu. C’est dire l’ampleur de la tâche. « Enfin les difficultés commencent ». Et ça risque de durer…
Bruno Roger- Petit
http://m.leplus.nouvelobs.com/
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