« Les juifs arrivent ! »
Ainsi se nomme l’une des œuvres télévisées
les plus commentées en Israël.
Dans ce pays où la droite ultraorthodoxe et nationaliste domine l’espace public, elle pose par le détour de la comédie la question de la liberté d’expression .
« Les juifs arrivent ! »est un programme de vingt-quatre minutes, diffusé le vendredi soir sur Channel 1, dans lequel tous les mythes fondateurs d’Israël – religieux et sioniste – sont revisités avec une impertinence délectable. La première saison s’achèvera dans dix jours. Les audiences sont excellentes. Mais que d’obstacles surmontés pour en arriver là.
Tout a commencé par une bande-annonce résumant l’esprit du projet, à l’automne 2013. Le clip de dix-neuf secondes, diffusé uniquement sur YouTube, ne reste que deux heures en ligne. On y voit trois hommes armés, dansant en cercle sur un air de comptine pour enfants. Ils représentent Yona Avrushmi, qui a lancé une grenade dans une manifestation de la gauche israélienne en 1983, tuant une personne ; Baruch Goldstein, un docteur d’origine américaine, qui a tué 29 Palestiniens à Hébron, au caveau des Patriarches, en 1994 ; Yigal Amir, l’assassin du premier ministre Itzhak Rabin, en 1995.
« Je suis un tueur de droite ! », chantent-ils en choeur. Inutile de préciser que cette brève séquence coup de poing a provoqué un déluge de réactions outrées, poussant même les responsables de Channel 1 à retirer le clip. Des élus de droite à la Knesset (le Parlement israélien), tel Ayelet Shaked, du parti religieux Habayit Hayehudi (Le Foyer juif), sont montés au créneau.
DIFFUSION UNDERGROUND
« On a été accusés d’appeler tous les colons et les gens de droite des meurtriers, ce qu’on n’a pas du tout fait, se souvient la scénariste Natalie Marcus, coauteure de la série. C’est difficile d’expliquer ce qu’on voulait faire. On risque tout de suite de sonner faux ou prétentieux. On voulait dire que, en Israël, les balles sifflaient généralement de la droite vers la gauche. » La jeune femme, âgée de 33 ans, a dû fermer son compte Facebook. « J’ai reçu beaucoup de messages haineux disant que je méritais d’être violée et tuée par des Arabes. Des idiots devant leur écran, ça ne m’a pas effrayée. »
La chaîne publique israélienne, peu connue pour ce genre d’audace dans ses programmes, a décidé de reporter le début de la saison, prévu deux semaines plus tard. Officiellement, les auteurs de la série, dont les douze épisodes étaient déjà en boîte, n’ont pas été informés d’une annulation.
Mais le message était clair. Ils ont donc décidé, selon l’expression de Natalie Marcus, d’organiser une « diffusion underground ». Universités, lycées, cinémas : à Tel-Aviv, Jérusalem et ailleurs, les auteurs ont attiré des milliers de personnes aux projections, avec le soutien d’une presse écrite acquise à leur cause.
Des circonstances favorables ont aussi joué en leur faveur : un changement de direction à la tête de Channel 1, à l’été 2014. Le nouveau PDG a décidé d’imprimer sa marque en mettant la série à l’antenne en novembre 2014, non sans quelques aménagements. » On a censuré plusieurs sketchs à sa demande, ce qui est normal, soutient Natalie Marcus. Ils étaient surtout sur des sujets modernes, comme l’armée. »
Depuis, la polémique a baissé de plusieurs crans, même si des gens d’extrême droite continuent à écrire, parfois. « Israël devient plus intolérant à tout, pas seulement à l’humour, soupire Natalie Marcus. Dire, par exemple, qu’on est pour la paix avec les Palestiniens, c’est passer immédiatement pour un cinglé de gauche. »
UNE RELECTURE
DÉCOMPLEXÉE DE L’HISTOIRE
Les auteurs du programme se défendent de tout parti pris politique mais prônent une relecture décomplexée de l’Histoire, vue comme une métaphore des temps présents. Tout les intéresse : la Bible comme David Ben Gourion, le père de l’Etat d’Israël, les origines de la circoncision comme l’exécution d’Adolf Eichmann, mise en scène avec des gardes très peu doués. La religion, la politique, le passé et le présent sont mélangés, sans vulgarité mais avec impertinence. Les auteurs des Monty Python, source d’inspiration pour leur goût du dialogue absurde, peuvent être fiers de leurs élèves.
Mais les deux auteurs, Natalie Marcus et Asaf Beiser, ont davantage d’ambition. Ils souhaitent participer à une réappropriation de l’histoire d’Israël. « Ici, les laïques ont Le Seigneur des anneaux, et les orthodoxes possèdent l’exclusivité de la Bible. Or, on assiste à un phénomène nouveau chez les jeunes, notamment à Tel-Aviv, qui veulent se reconnecter avec le judaïsme », souligne Natalie Marcus. Bonne nouvelle : une saison 2 a des chances de voir le jour. Pour les curieux, on trouve des épisodes sous-titrés en anglais, sur Internet.
piotr smolar
http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2015/01/15/comment-une-serie-revisite-l-histoire-d-israel-par-le-rire_4557189_3218.html
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