"Nous sommes chez nous", de Charles Rojzman

Cette tribune est cosignée
par Zaïr Kedadouche,
haut fonctionnaire,
Président de l’association Intégration France.
Les musulmans sommés de renier leur islam ou de le réformer pour qu’il soit conforme aux lois et aux usages républicains se sentent culpabilisés et mis en accusation. Ils tiennent d’autant plus à dire, contre toute évidence, que ce qui s’est passé n’a rien à voir avec l’islam et que les meurtriers de Toulouse, Bruxelles, Charlie Hebdo, Daech, Boko Haram sont des terroristes.
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Une partie de la jeunesse des quartiers s’enflamme pour des héros de l’islam qui les vengent des humiliations et des échecs, et les font se dresser contre les autorités de leurs pères, de leur maîtres. Ils fantasment sur ces juifs qui possèdent tout, qui contrôlent tout, en particulier les médias qui auraient un traitement de l’information différent dès lors que l’on aborde un sujet sensible comme celui de l’islam ou du conflit au Proche-Orient. Ces Français issus de l’immigration sont très réceptifs aux théoriciens du complot qui s’y connaissent pour agiter le drapeau noir de la haine et apportent l’eau au moulin de la déception, de l’envie, de la rancœur et de la haine. Dieudonné et sa quenelle sont malheureusement devenus un symbole de la révolte contre le « système », système médiatique où la liberté de la presse existerait pour Charlie, les autorités gouvernementales mais pas pour les gens issus des quartiers que Dieudonné serait le seul à défendre.Les manifestations sur l’ensemble du territoire, en particulier celle du 11 janvier à Paris, ont réuni une partie d’un peuple qui rêve de fraternité, qui a peur de cette nouvelle guerre interne et qui aimerait croire que ce qui est arrivé n’est qu’un funeste accident qui ne devra pas se reproduire. Les risques de récidive existent, d’autant plus que nos services de police, malgré leur efficacité lors des attentats, démontrent régulièrement leurs limites quand on voit partir et revenir en toute impunité les centaines de jihadistes français recensés.Nous, qui avons pour l’un des parents algériens immigrés musulmans, pour l’autre des parents polonais immigrés juifs, nous sommes français et nous défendons cette laïcité dans la République qui nous permet de vivre ensemble, mais aussi de nous protéger quels que soient nos désaccords.Le modèle français républicain n’a pas fait sa mue. Il ne fonctionne plus dès lors que l’on n’a pas dit les choses, nommer clairement où se trouve le problème et fixer les limites du faire et ne pas faire afin que le vivre ensemble soit possible. Une question est essentielle aujourd’hui, celle de l’islam. Sa place, sa forme, son espace, sa langue dans l’espace public. La question n’est pas de savoir si l’islam est compatible avec la République ou la démocratie mais de faire comprendre que la laïcité française n’est pas négociable. Il ne s’agit nullement de stigmatiser une religion mais de constater que l’islam interroge les fondements de la société française et que nous avons là peut-être une opportunité pour créer une fraternité qui ne soit pas factice.Nous sommes tous deux amis, avec nos contradictions et notre histoire différente. Nous savons que nous devons contester une élite technocratique, imbue d’elle-même qui a été incapable de prévoir ce que, l’un et l’autre, nous avons crié pendant trente ans: la dérive de continents humains entiers, perdus entre le ressentiment, l’ennui et parfois, la paranoïa.Les élites politiques de la société française, et en particulier celles issues des grands corps de l’Etat, sont coupables de leur modèle homogène de recrutement et de formation. Jamais depuis l’existence du modèle scolaire républicain, le déterminisme social n’a autant joué que depuis ces dix dernières années. Nous pensons comme le dit Ezra Suleiman, professeur à Harvard, que nos élites doivent remettre en cause leurs privilèges et devenir les premiers dissidents car c’est de nos élites que peut venir le changement. Mais le véritable ennemi, c’est ce fanatisme qui est de retour, cette tentation totalitaire qui prend désormais en otage les passages les plus archaïques et régressifs du Coran comme en d’autres temps furent brandis par d’autres foules Le Manifeste du Parti communiste, Le Petit Livre Rouge ou Mein Kampf.Aujourd’hui, quelques jours après, il n’est plus temps de pleurer, de déplorer. Il faut guérir et, mieux encore, fabriquer du futur. La réponse doit d’abord être politique. La recherche du consensus nous semble nécessaire sur un sujet qui stratifie, ankylose la société française depuis des décennies.Pour nombre de citoyens, en particulier ceux qui se voient exclus, plus rien ne peut exister sans une foi, même la plus archaïque, alors que dans un pays démocratique, la liberté de conscience, celle de croire ou de ne pas croire en Dieu, est une liberté essentielle au regard de certains pays où la religion est une obligation.Il est grand temps. Nous, juifs, musulmans, athées, agnostiques français d’esprit résolument laïc, de conviction républicaine, nous appelons notre pays à entrer par la grande porte dans une vie démocratique réelle, où toutes les voix pourront être entendues, les conflits acceptés et même encouragés, où il pourra être évident que la religion existe mais qu’elle ne peut être que pacifique, que l’éducation devra encourager la pensée critique, qu’il faudra former l’ensemble des intervenants de la vie sociale à entretenir ces capacités au conflit, à l’écoute, à la remise en question de toutes les croyances, religieuses ou non, avec respect et miséricorde. Nous voulons que le drame de Charlie Hebdo soit le point de départ d’une opération de grande envergure visant à réconcilier les Français. Nous ne sommes pas naïfs devant un tel drame national et savons bien que le consensus ponctuel et passager va vite laisser sa place à une vie politique que les Français rejettent de plus en plus mais soyons attentifs et vigilants à ce que chacun puisse trouver sa place en France quel que soit son origine, sa race, son sexe, sa religion comme le précise l’article 1 de la Constitution de 1958.
Les musulmans ont peur qu’on leur dise: « vous n’êtes pas chez vous ici. Vous n’êtes pas les bienvenus. » Les juifs ont peur de ne plus être chez eux en France ou de vivre éternellement, comme c’est déjà le cas aujourd’hui, dans des écoles et des synagogues protégées par la police et l’armée. Ceux qui ne sont ni musulmans, ni juifs, ont peur, comme ils le crient, de ne plus se sentir chez eux en France.
Au slogan des militants du Front national, qui lors des derniers meetings du parti entonnent « On est chez nous », nous Français républicains, nous répondons: « Oui, nous sommes chez nous. » Ce slogan doit devenir le slogan de tous les Français, sans aucune exception. Mais ce slogan ne peut être, comme c’est le cas aujourd’hui, une injonction formelle et superficielle, il doit se construire ensemble, avec courage, réalisme et persévérance.
Charles_RojzmanCharles Rojzman, écrivain, inventeur de la Thérapie Sociale
http://www.huffingtonpost.fr/charles-rojzman/societe-terrorisme-charlie-hebdo_b_6514334.html

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