La barbarie qui a meurtri notre pays dans son âme, et notre communauté dans sa chair, a provoqué un choc sans précédent qui a fait naitre un sursaut et une émotion historiques. Après des années de timidité voire d’indifférence face à une menace qui n’a cessé de grossir, la réaction des forces vives de la nation et de l’opinion publique a enfin été à la hauteur de l’enjeu.
De ce 11 janvier 2015 est né un esprit particulier avec ses millions de français dans la rue et ses dizaines de chefs d’État et de gouvernements venus du monde entier pour dire non.
Ce jour restera dans l’histoire. Pour autant, le réveil du pays – aussi rassurant soit-il – arrive bien tard et n’effacera pas tout de suite pour les juifs de France l’angoisse, le malaise et les doutes.
La réaction aurait-elle été la même sans l’attentat contre Charlie Hebdo ? D’ailleurs, le premier numéro du journal sorti après l’attentat ne dit pas un mot sur la tuerie antijuive de la porte de Vincennes. Un silence troublant. Tous les juifs ont pleuré pour Charlie Hebdo. On aurait aimé que ce soit réciproque.
Pourquoi la mobilisation n’a-t-elle pas été la même après Toulouse ? Ou étaient alors les pancartes « Nous sommes tous Ozar Atorah » en mars 2012 ?
L’islam dit « modéré » va-t-il enfin réagir fermement et sans ambiguïté ?
Où étaient les musulmans de France, les imams, les quartiers, les artistes et les intellectuels ce 11 janvier ?
Combien de temps encore la classe politique va-t-elle soutenir les juifs français après qu’ils aient eu à enterrer leurs morts tombés sous les balles des islamistes, et dans le même temps apporter son soutien aux ennemis d’Israël qui compte ces mêmes fanatiques dans leurs rangs ?
Notre communauté est-elle destinée à être une cible permanente d’un terrorisme islamiste toujours plus violent ?
Quelles actions concrètes vont être réellement prises avec des résultats tangibles et durables ?
L’ABSENCE DE RÉPONSES
L’absence de réponses à ces questions est une réponse en soi.
Pour certains, la décision de quitter la France pour Israël ou ailleurs n’en sera que renforcée. Par notre attachement viscéral à Israël et à notre Terre, nous devons continuer de respecter et d’accompagner un tel choix. Souhaitons que ces départs aient toujours et avant tout comme fondement le souhait positif de vivre pleinement son idéal et son judaïsme, même si le climat d’insécurité ne peut que l’accélérer.
Cela reste la condition d’une Alya réussie.
Mais tous les juifs de France ne pourront pas et/ou ne voudront pas partir. Il est de notre responsabilité, dirigeants communautaires ou fidèles de la communauté, de continuer à les aider, à nous aider, à rester juifs en France. Quoi qu’il arrive, la majorité des juifs de France restera sur notre sol.
C’est pourquoi nos institutions et nos structures ont le devoir de rester plus que jamais mobilisées et déterminées à agir sur notre avenir de juif français.
De tout temps, les juifs français ont été fiers d’être à la fois juifs et d’être français. Il est aussi de notre responsabilité de continuer de faire vivre ce judaïsme français qui a toujours porté haut son histoire et sa culture.
PARTIR C’EST LAISSER LA PLACE
Partir c’est laisser la place à ceux qui veulent nous voir quitter notre pays et qui l’avaient crié haut et fort dans les rues de Paris l’été dernier.
Il n’y a aucune raison de leur faire ce cadeau aussi facilement. Les juifs sont citoyens français depuis plus de 200 ans et ont fortement contribué à l’essor du pays dans tous les domaines. Il faut se battre pour continuer de le faire. La France est aussi à nous. Les juifs de France ont mérité le droit de rester et de vivre dans notre pays.
Le climat actuel où l’émotion l’emporte sur la raison est compréhensible mais difficile. L’émotion est légitime. Elle n’est pas toujours bonne conseillère. Après le temps des pleurs vient celui de la réflexion et de l’action. La raison c’est la prise en compte de tous les éléments, c’est le refus de la facilité, c’est la conscience de l’histoire, c’est la vision de long terme.
Il s’agit donc, pour tous les juifs de France qui veulent rester français, de se mobiliser pour vivre notre condition de juif français autrement.
Il est nécessaire de se battre pour conserver, malgré tout, un message français et républicain.
Un tel message fort, sans complexe, sans compromis et sans ambiguïté, doit désormais être adressé aux pouvoirs publics, aux musulmans de France et à la communauté juive elle-même. Que ce soit pour nos institutions représentatives et plus largement pour tous les juifs de France, l’heure n’est plus aux courtoisies ou aux hypocrisies énoncées du bout des lèvres par indifférence, par peur ou par vanité. Un langage de vérité doit être le nôtre. La situation l’exige sans plus tarder.
La pression sur les pouvoirs publics doit être totale pour nous garantir notre sécurité de citoyen français et mettre tous les moyens la guerre implacable à déclarer à nos ennemis qui sont aussi ceux de la République. Il y a obligation de résultats, et rapidement.
De même, la pression sur les représentants de l’islam de France doit être forte pour qu’ils organisent des institutions respectées et crédibles, pour qu’ils délivrent enfin un message clair et intransigeant aux musulmans de France contre le terrorisme et contre l’antisémitisme, et pour qu’ils recrutent, forment et rémunèrent eux-mêmes des imams qui ne soient pas des prêcheurs de haine mais des défenseurs de la République.
Enfin, la pression sur la société française doit être permanente pour cesser de penser que l’antisémitisme ne concerne que les juifs, pour soutenir les ennemis d’Israël qui sont aussi les ennemis de la France, et pour ouvrir les yeux sur une crise morale qui, en bafouant nos valeurs et nos repères, détruit désormais l’intégrité même de notre pays et nécessite une réaction immédiate et durable.
Mais au-delà de ces pressions vitales sur notre environnement, la communauté juive doit prendre en main sa sécurité, son avenir et son destin.
Des mesures de protection aux abords de tous les commerces juifs doivent être organisées dès maintenant. L’intervention publique devant les écoles et les lieux de culte ne suffit plus. Il nous faut protéger nos restaurants, nos supermarchés et nos boucheries avant qu’il ne soit trop tard.
Les voyages communautaires que certains organisent encore de temps à autres dans certains pays à forte composante antisémite doivent être stoppés avant qu’un drame majeur ne se produise.
Formons encore davantage nos jeunes à se protéger et à protéger la communauté, avec et aux sein de structures existant dans ce domaine et qui font déjà un travail formidable.
UNE DISCIPLINE SÉCURITAIRE
Chacun d’entre nous doit s’appliquer une discipline sécuritaire sans faille quand il se rend à la synagogue où dans tout autre lieu juif cultuel, culturel ou commercial. La responsabilité de tous est d’abord l’affaire de chacun.
Mais surtout, soyons unis, solidaires et tournés vers tous les juifs de France, qu’ils soient déjà ancrés dans la communauté ou qu’ils en soient pour l’instant plus éloignés. Le vide laissé par ceux qui partent est grand et doit être comblé par ceux qui nous rejoignent au cœur de notre vie juive et qui seront ainsi totalement intégré à la grande famille de la communauté. Lançons à tous es juifs de France un vibrant appel. On ne peut pas vivre seul son judaïsme, quel qu’il soit. Aujourd’hui encore moins qu’hier. Chacun, où qu’il soit, doit en prendre conscience. Pour lui, pour sa famille et pour la communauté toute entière.
C’est ainsi que nous pourrons continuer d’être juif et citoyen français dans notre pays, et continuer d’y envisager l’avenir de nos enfants, malgré toutes les difficultés qui entravent aujourd’hui de telles perspectives.
Le judaïsme ce n’est pas la peur.
Le judaïsme ce n’est pas le renoncement.
Le judaïsme ce n’est pas l’abandon.
Le judaïsme c’est la résistance, l’espérance et la fierté de porter son histoire, son identité, ses valeurs.
Plus que jamais, nous avons besoin d’une France forte, et la France a besoin d’une communauté juive forte.
Philippe Meyer
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