La France est ma maison. Je ne partirai pas. Par Jean-Paul Fhima

Déjà 7.000 juifs ont quitté la France en 2014, soit deux fois plus que l’année précédente. Cet exode programmé, notre pays ne peut pas en être fier.
Selon le rapport 2013 du Service de protection de la communauté juive (SPCJ), créé en accord avec le ministère de l’Intérieur en 1980 au lendemain de l’attentat de la rue Copernic, il y a en France une haine antijuive « polymorphe ». Celle-ci n’est plus seulement conjoncturelle (liée au conflit israélo-arabe) mais aussi structurelle, c’est-à-dire intrinsèquement issue de la société française elle-même, comme l’ont montré l’affaire Dieudonné et la manifestation « jour de colère » en janvier 2014.

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Une pancarte « Je suis juif, Charlie et français » devant l’hyper casher, le 10 janvier 2015 (K. TRIBOUILLARD/AFP).

Yohav Hattab, Philippe Braham, Yohan Cohen et François-Michel Saada, nos compatriotes et frères, sont morts à l’Hyper Cacher de Vincennes parce qu’ils étaient juifs. « C’est la plus révoltante des morts », disait Ségolène Royal, le 13 janvier dernier, au cimetière de Givat-Shaul de Jérusalem, pendant leurs funérailles.
C’est révoltant et ce n’est pas la première fois.

Une communauté ébranlée

Le 20 novembre 2003, un jeune parisien, Sébastien Sellam, est sauvagement assassiné à coups de fourchette et de couteau par son voisin de palier qui dit, après les faits, « j’ai tué un juif, j’irai au paradis ». En janvier 2006, Ilan Halimi est torturé à mort par le « gang des barbares » de Youssouf Fofana.
Le 19 mars 2012, la tuerie de l’école Ozar Hatorah de Toulouse fait quatre victimes dont trois enfants (Jonathan Sandler, ses deux fils et Myriam Monsonégo, fille du directeur de l’école). Mohamed Merah, le tueur au scooter, a voulu « venger les enfants palestiniens ».
Le 13 juillet dernier à Paris et en région parisienne, des manifestants pro-palestiniens ont crié « les juifs complices d’Israël », « à mort les juifs » et ont attaqué des synagogues non loin de la rue de la Roquette tout près de la place de la Bastille.
Le 1er décembre 2014, à midi, trois hommes « cagoulés et gantés », font irruption dans l’appartement d’un jeune couple juif dans le quartier du Port, à Créteil. Le jeune homme réussit à s’échapper et prévient les secours, sa fiancée est violée.
S’ensuivent une fois de plus le choc, la peur et le traumatisme dans une communauté juive ébranlée, inquiète, amère. Aujourd’hui, des Français tuent d’autres Français.

Un sentiment d’abandon et de rejet

« Tuer le juif » n’est plus un tabou dans certaines de nos banlieues. C’est même devenu, disons-le franchement, un cri de ralliement. Dans un reportage de « Complément d’enquête », sur France 2, réalisé à Sarcelles en septembre 2014, un jeune homme s’exprime « à cœur ouvert » :
« J’ai la rage contre les juifs (…) Les juifs si on veut, on les tue (…) Faut dire la vérité, ils ne sont pas agressifs (…) mais bon, je veux les allumer tous, tous les juifs. »
Comment la république laïque, celle que j’aime et m’a élevé, peut-elle laisser prêcher l’appel au meurtre, à la télé ou dans la rue ? Le Bureau national de vigilance contre l’antisémitisme (BNVCA) ne cesse de recevoir des plaintes et des appels alarmés décrivant chaque jour un peu plus les vexations quotidiennes, les mépris passagers, les gestes et les menaces décomplexés, les insultes et les mots de travers.
« Harcèlements, incivilités, violences… ce mal se banalise (…) souvent dans des sphères inattendues, au détour d’alliances improbables. »
Un cap irréversible a été franchi. Un sentiment d’abandon et de rejet s’est légitimement répandu parmi les juifs de France. Il leur semble que le pacte implicite qui les liait depuis toujours à ce pays s’est défait, comme abîmé peu à peu dans une sorte d’amnésie nationale.

Moi, je préfère rester

L’exode est la solution pour de nombreux Français juifs qui ne trouvent plus leur place dans cette société où la haine s’est installée. Pour eux, le pacte séculaire de confiance et de respect mutuel s’est brisé peu à peu. Ils ont senti venir le danger. Pas la république, orpheline de ses propres valeurs de tolérance.
Pourtant, l’aliyah ne sera pas massif. Israël ne pourra pas accueillir tout le monde. Beaucoup, comme moi, pensent que notre avenir est en France. La France est défigurée ? À nous de lui redonner un visage humain. Nous en avons le droit, nous en avons le devoir. Nous sommes des républicains. On peut renouer le lien, on peut, à nouveau, grandir ensemble. Si partir, ce n’est pas choisir, alors je préfère rester.
Moi, simple citoyen, j’ai hâte de redonner ma confiance à mon pays. Un collectif d’urgence a été créé en octobre dernier par de nombreuses associations juives qui ont sonné le tocsin comme on annonce un ordre de mobilisation générale. « Mobilisons-nous », ai-je moi-même écrit :
« Face à la montée de l’antisémitisme en France, contre le sentiment d’impunité qui l’accompagne, relevons le défi face à l’urgence ! »
Je le confesse, j’accepte de me battre. Mieux, je le veux.

Réagir, ce n’est pas partir

L’autre dimanche, dans les yeux et dans les sourires, dans les mains tendues et les pas décidés, j’ai vu une vraie volonté de vivre ensemble. J’y crois. J’y crois encore.
À Jérusalem, Ségolène Royal a déclaré :
« L’histoire a créé une relation indestructible entre la République et les juifs de France…Je sais l’effroi et la peur légitimes que suscitent de tels actes. Mais je veux vous redire ceci avec force : chaque coup porté à un juif est un coup porté au peuple français. »
Madame la ministre, comme vous, je le pense de toutes mes forces. La France est ma maison, personne ne me mettra à la porte. Réagir, ce n’est pas partir.
Tous les Merah, Nemmouche, Kouachi, Coulibaly, tous les autres que nous ne connaissons pas encore, nous allons combattre leurs idées, pas les fuir. Ils veulent nous voir morts, nous serons debout.
Jean-Paul Fhima
JPF-Signa
 
 
 
 
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