Je suis un épicier casher, texte signé par cinq auteurs

Ceux de Charlie Hebdo ont été massacrés parce qu’ils défendaient le droit de se moquer de Mahomet, les policiers ont été assassinés parce qu’ils les protégeaient et symbolisaient la France «islamophobe ». Les clients de l’épicerie casher de Vincennes ont été tués parce qu’ils étaient juifs et seulement juifs.
hyper-cacher-vincennes

Il ne s’agit pas de hiérarchiser entre les victimes,

il s’agit de réfléchir à ce que toutes ces horreurs signifient.

Pour que l’immense mobilisation du dimanche 11 janvier ne soit pas perdue, il faut creuser l’analyse non seulement des faits mais encore des conditions qui leur ont été favorables. Il faut s’interroger sur ce qui les a rendus possibles car le combat contre ces nouveaux barbares endoctrinés est aussi un combat politique, idéologique et culturel. Depuis le 11 septembre 2001, c’est l’islam radical, ou ce qu’on appelle l’islamisme, qui a déclaré la guerre à tout ce qui n’est pas lui. Cette guerre se déroule sur plusieurs fronts. De notre lucidité dépend notre capacité de la gagner.

1 – Nommer l’ennemi

Les tueurs qui invoquent « Allah » avant de tirer et de tuer ne sont ni des malades mentaux ni des déséquilibrés. Ils prétendent « venger le prophète Mohammed ». C’est la formule « Allahou akbar ! » qui est rituellement prononcée par les coupeurs de tête des otages occidentaux en Irak et en Syrie ainsi que par les tueurs à Paris. C’est bien Dieu qui est convoqué pour cautionner le crime, pour sanctifier ces gestes supposés purificateurs. Ces tueurs en mission ne sont pas que des « terroristes », ils ne sont pas seulement des « criminels », encore moins de simples «déséquilibrés». Ils sont des islamistes.
Ce sont les mêmes qui ont assassiné trois adolescents juifs en Israël en juin 2014. Ce sont les mêmes jouisseurs de mort qui ont tué trois enfants juifs et leur professeur à Toulouse en mars 2012, qui ont exécuté quatre personnes au musée juif de Bruxelles en mai 2014. C’est la même idéologie qui a inspiré les poseurs de bombes de Madrid, de Londres, de Boston. Ce sont les mêmes imprécations qui ont accompagné les gestes du tueur de Sidney et de l’agresseur de Joué-les-Tours. Étaient-ils seulement des malades mentaux ? Ils se nomment Al-Qaida, État Islamique, Boko Haram en Afrique, Chebab somaliens, Hamas ou Jihad islamique à Gaza ou Hezbollah au Liban. Cette hydre à têtes multiples a un socle commun et s’il ne faut bien sûr pas assimiler tous les musulmans à des terroristes, tous ces terroristes se réclament de l’islam. Certes, tous les musulmans ne sont pas jihadistes mais tous les jihadistes sont musulmans. On a le droit de questionner ce qui, de l’intérieur de l’islam, nourrit cette rage meurtrière. Si cette religion est «d’amour et de paix» il faudrait peut-être y regarder de près pour extirper de son sein ce qui la dévoie. Cette œuvre de réforme ne peut être menée à bien que de l’intérieur de la sphère musulmane, dont on sait qu’elle est hétérogène et conflictuelle.

2 – Qualifier le crime

Qu’est-ce que le jihad ? Cette guerre sainte ou sacrée promet le paradis à celui qui pourchasse et anéantit les infidèles, les non-musulmans. Il s’agit de cette forme spécifique de guerre commise au nom de l’islam, visant à l’extermination ou à la réduction en esclavage de populations pour la seule raison de leur identité non musulmane. Ce n’est pas au jihad présenté complaisamment comme une ascèse spirituelle que nous avons affaire.
Qu’est-ce qui définit en droit la notion de crime contre l’humanité ? Qu’est-ce qui caractérise ce crime ? Cette notion, établie après les jugements des crimes nazis au procès de Nuremberg, caractérise les crimes de masse commis contre des personnes en raison de leur origine, qu’elle soit ethnique, nationale ou religieuse, ou de leur affiliation politique. Il s’agit de crimes commis contre des personnes pour ce qu’elles sont, en raison de leur identité, de leur appartenance, de leur religion ou de leurs croyances.
Le jihad (tel qu’il est invoqué et pratiqué par les groupes islamistes) s’inscrit dans cette définition pénale du crime contre l’humanité. Depuis Daniel Pearl, combien faudra-t-il d’autres journalistes assassinés, d’autres têtes coupées pour que les juristes qualifient les crimes de cette nouvelle barbarie? Qualifier pénalement le jihad de crime contre l’humanité, au nom de principes universels, permettrait de faire un tri entre ceux qui partagent cette idée d’un universel commun pour une humanité commune et ceux qui refusent cette idée de communauté humaine acceptant des règles obéissant à des lois universelles. Cela constituerait déjà un fort coup de semonce contre tous ceux qui habillent leurs crimes du masque d’une différence culturelle.
Tant que ceux qui prétendent être dépositaires de l’héritage spirituel de l’islam n’auront pas fait un travail critique sur leur propre corpus spirituel, ils resteront aveugles sur les sources intimes de ce désastre. Prétendre que tout ce qui nous arrive n’a rien à voir avec l’islam ne les aide guère à l’entreprendre. C’est du sein de l’islam que des voix doivent s’élever pour dénoncer cette imposture. La « maladie de l’islam » caractérisée en 2002 par le regretté Abdelwahab Medeb n’a cessé depuis de s’aggraver et de s’étendre. C’est la raison de notre inquiétude.

3 – Ouvrir grand les deux yeux

En juillet dernier, c’est un pogrom qui a été tenté à Sarcelles et rue de la Roquette à Paris. Ce sont des « mort aux Juifs ! » qui ont accompagné ces manifestations violentes de soutien aux Palestiniens de Gaza. Ce sont les drapeaux du Hamas, du Hezbollah et l’État Islamique qui ont été exhibés place de la République. « Nous sommes tous des jihadistes », ont crié certains manifestants. Combien d’autres mécréants, combien d’autres infidèles, combien de « croisés » et combien de Juifs vont être assassinés au nom de cet islam-là ? Combien d’autres adolescents israéliens vont être assassinés pour que l’on comprenne qu’ils sont victimes d’une barbarie identique? Les uns sont les disciples du nouveau Calife de l’État Islamique en Irak et au Levant, les autres sont les sectateurs du Hamas. Tous vénèrent Allah et tous vouent aux flammes de l’enfer un État satanique, dit « l’entité sioniste » pour ne pas avoir à prononcer son nom. Ne pas faire le lien entre la part proche-orientale et anti-israélienne pour ne considérer que l’offensive islamiste en Occident, c’est s’interdire de penser la globalité de cette menace. Israël en constitue la ligne de front la plus avancée.
Avec le masque de la bonne conscience, certains ont instillé de manière totalement irresponsable cette haine d’Israël en se couvrant des mots de « progrès » et de « justice ». La haine du Juif accompagne désormais la haine d’Israël. Que cette vieille haine s’habille des atours supposés progressistes de l’antisionisme ne change rien à l’affaire. Le déni idéologique de cette réalité constitue l’autre face de ce désastre de la pensée. Le propalestinisme victimaire et obsessionnel d’une partie de la gauche et de l’extrême gauche a aussi nourri la haine des Juifs. L’antisionisme obsessionnel de certains sert de légitimation idéologique à la haine antijuive des tueurs, qui connaissent la chanson. Tous entonnent le refrain : « venger les enfants palestiniens ! » Mais les enfants juifs, qui, parmi les belles âmes qui défilent, se soucie de les venger ?

4 – Ce ne sont pas les supposés “islamophobes”

qui ont tué mais les islamistes

La confusion est à son comble quand, au nom de l’antiracisme, certains attribuent la responsabilité première des crimes islamistes comme une réaction au climat d’«islamophobie » censé être suscité et entretenu par certains intellectuels et écrivains. Tout ceci ne serait pas arrivé, nous dit-on, si Finkielkraut, Zemmour et Houellebecq n’avaient pas écrit « L’Identité malheureuse », « Le Suicide français » ou « Soumission ». Tous les inquisiteurs vertueux de la pensée désignent ces trois-là comme les principaux responsables des malheurs actuels de la société française. C’est contrevenir aux canons de la pensée éclairée que de considérer le port du voile islamique comme faisant problème. Ce serait là faire preuve d’un manque de respect pour les différences culturelles et « stigmatiser » les musulmans, installés dans la position de « victimes ». Sur un autre front, on juge « néo-réac », avant tout examen, toute pensée critique portant sur la notion d’identité nationale. Il n’y a pas pire en France, dans la sphère intellectuelle, que d’être qualifié de « néo-réac » ou de « néo-con ». La gauche de la gauche, qui va de Médiapart aux Verts en passant par le NPA, a tout compris, et le « pas d’amalgame ! » sonne comme une injonction conjuratoire. Le souci légitime du « pas d’amalgame », résonne désormais comme un interdit de penser. Avec la peur d’être pris en flagrant délit de « stigmatisation » de l’islam, il justifie le refus de voir la part proprement raciste de l’islamisme.
La responsabilité de ces crimes ne serait donc pas à chercher du côté des tueurs à kalashnikovs mais du côté de ces intellectuels déclarés « islamophobes ». C’est ce que Médiapart, Edwy Plenel et Noël Mamère, parmi bien d’autres, s’acharnent à instiller dans les esprits. Plus sommairement, c’est ce que certains élèves des écoles ont dit dans le 9-3 – « ils l’ont bien cherché ! » – pour justifier leur refus de respecter la minute de silence pour les morts de Charlie Hebdo. Ce renversement pervers, qui transforme la victime en bourreau, s’inspire de la grande astuce mise au point par la gauche de la gauche, consistant à transformer les Juifs/Israéliens/sionistes en nazis dans le conflit israélo-palestinien.

 5 – Remettre la Palestine là où elle est

« Il ne faut pas importer en France le conflit du Proche-Orient ». Cette incantation devenue slogan représente une composante de l’incapacité à comprendre la mécanique psychique des islamistes. Depuis les années 80, ce conflit tue en France. L’attentat de la rue Copernic, en octobre 1980, en fut une des premières manifestations. Toutes les guerres israélo-arabes ont alimenté en France les représentations des « Juifs » et des « Arabes ». Dans l’imaginaire collectif, la figure du Juif-victime sorti des camps en 1945 a muté en celle du Juif-vainqueur en 1967, puis en occupant impérialiste et raciste, tandis que l’Arabe fellagha de 1954 est devenu Résistant dès la fin des années 70. Avec la Seconde Intifada (2000), le renversement s’achève : le Juif/Israélien/sioniste est devenu un colon/raciste/nazi tandis que le Palestinien se transforme en sa victime innocente. Le soutien à ce Juif de substitution qu’est le Palestinien-victime est une méthode de rédemption, qui permet aux Européens d’échapper à la culpabilité. Mais la « cause palestinienne » n’est ici qu’un prétexte. Quand Mohamed Merah vient tuer des enfants juifs dans une école à Toulouse en 2012, il le fait pour « venger les enfants palestiniens ». Si l’État Islamique est dénoncé comme un mal absolu, un « cancer » par les États-Unis, la France et les Européens, le Hamas jouit d’une certaine considération malgré sa charte génocidaire et la dictature qu’il exerce. Il a même reçu sur ses terres des intellectuels de gauche à la française, Stéphane Hessel et Régis Debray. Est-on capable en France de regarder cela en face ? On pourra toujours invoquer les mânes de la République et déclarer solennellement que ces gestes, quand ils sont commis en France, sont isolés et qu’ils défigurent la « patrie des droits de l’homme ». Mohamed Merah, Mehdi Nemmouche ou Amedi Coulibaly sont, hélas, aussi le produit du système des cautions idéologiques de la terreur tel qu’il fonctionne dans la France d’aujourd’hui. Les violentes manifestations en faveur de Gaza de juillet dernier n’étaient pas seulement propalestiniennes, elle étaient aussi antijuives. Et bien sûr anti-islamophobes, ultime alibi du pseudo-antiracisme contemporain. Les Juifs et les « islamophobes » ont ainsi été désignés comme des cibles.

6 – Israël n’est pas responsable du malheur arabe

Le malheur arabe est réel, comme le malheur palestinien en particulier, mais la raison de ce malheur ou de ce désastre est à chercher bien plutôt dans le goulag intellectuel où ce monde s’est lui-même enfermé. C’est de l’intérieur de ce monde que viennent les fatwa condamnant des intellectuels arabes en dissidence ou en rébellion contre le garrot que l’islamisme a passé autour du cou des peuples arabes. Faire d’Israël le responsable du malheur arabe constitue l’une des grandes impostures de l’histoire contemporaine. L’Algérie a payé un prix élevé à l’islamisme meurtrier et pourtant quand Boualem Sansal ou Kamel Daoud pointent ce qui, dans l’islam, est à la source de cet obscurantisme, c’est en France, et à gauche, que certains hurlent à l’islamophobie. Les indignés hesseliens sont-ils descendus dans la rue pour dénoncer les massacres de Palestiniens en Syrie ? Sont-ils indignés par les deux cent mille morts en Syrie ? Sont-ils descendus dans la rue pour dénoncer les kidnappings de centaines de jeunes filles au Nigéria commis au nom d’Allah par la secte islamiste Boko Haram ? Ont-ils dénoncés les attentats contre d’autres musulmans en Somalie, en Algérie, au Liban, en Irak, en Afghanistan ? Les massacres arabo-arabes ou islamo-islamistes seraient-ils à ce point une affaire de famille qu’on y trouve une excuse ? Quelle serait cette normalité acceptée pour cette barbarie alors que chaque riposte d’Israël pour assurer la protection de ses habitants serait considérée comme infiniment plus condamnable ? Quel souci ont-ils de la Palestine ceux qui ont fait de la haine du Juif une seconde nature ?
On ne sortira pas vainqueur de la guerre que l’islamisme nous a déclarée sans un examen critique de ce qui lui a permis de prospérer à l’intérieur de la sphère arabo- musulmane autant qu’en Occident par myopie à son égard. Ce sont aussi les constructions idéologiques de ces vingt dernières années qui lui ont facilité la tâche. On éprouve un grand malaise devant les larmes de crocodile versées par ceux-là mêmes qui avaient dénoncé Charlie Hebdo comme islamophobe et laïcard. Ce sont les mêmes qui délivrent aujourd’hui aux jihadistes un permis de tuer en dénonçant publiquement certains intellectuels, journalistes et écrivains comme « islamophobes ». On éprouve le même malaise devant les larmes versées sur les Juifs assassinés porte de Vincennes. Au bal des Tartuffes, le Front de gauche, Edgar Morin, Régis Debray, Stéphane Hessel ou Edwy Plenel ne feront pas banquette.
Désormais la menace est ici, chez nous, en France, en Europe. Ne pas en considérer et comprendre TOUTES les composantes, c’est programmer notre défaite.
Ce billet est à la fois signé de :
• Georges Bensoussan (historien),
• Pascal Bruckner (écrivain),
• Pierre André Taguieff (philosophe, historien),
• Jacques Tarnero (essayiste-documentariste),
• Michèle Tribalat (démographe)
http://www.huffingtonpost.fr/pascal-bruckner/je-suis-un-epicier-casher_b_6473344.html?utm_hp_ref=france

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