Hyper Charlie Day : et maintenant ? par Jean-Paul Fhima

Les amis de Charlie hebdo et de la liberté d’expression étaient nombreux en ce beau dimanche de janvier, partagés entre l’effroi et la peine, l’espoir et la fraternité.
charlieL’ambiance était magnifique, c’est vrai, la convivialité sincère et l’enthousiasme chaleureux. Le message de la foule, sereine et heureuse de ‘’se retrouver’’, était une magistrale, une très digne démonstration de force. J’ai vibré parfois d’émotion sans mot, d’un simple frisson né de me sentir si proche d’inconnus tout sourire qui tendaient la main, une franche poignée de main. Pour une fois.
Chacun des 3.7 millions de Français descendus dans la rue a dû se demander comment, dès aujourd’hui, il va pouvoir aider au rétablissement des valeurs de la République . Car le labeur est grand tellement ces mêmes valeurs ont été mises à mal par une tenace et déjà ancienne forme d’abandon, dont chacun est la victime et le coupable. Le réveil est fort, et grand, unanime et sans appel. Le terrorisme et la haine sont déclarés ennemis de la nation.
Voilà notre pays revigoré par une nouvelle unité. Il ne s’agit pas, dit-on, de faire la guerre, mais de vouloir la paix. La paix sociale, la paix confessionnelle, la paix républicaine.
Mais l’enchantement d’hier, c’est-à-dire l’élan pacifiste et fédérateur, l’angélisme collectif et plein d’espoir, suffiront-ils à faire reculer les menaces et tourner la page des erreurs ?
Willem, dessinateur de Charlie hebdo absent au moment du massacre et par conséquent rescapé de la rédaction du journal décimée le 7 janvier, ironisait dans une interview donnée au quotidien néerlandais Volkskrant (repris dans Le Point, 10 janvier 2014).
Nos « nouveaux amis » fait-il entendre avec amertume, font porter un poids symbolique disproportionné et déplacé sur le journal satirique. C’est bien (peut-on lire entre les lignes) … mais c’est un peu tard. C’est bien, dit-il encore, d’avoir soudain des millions de sympathisants qui défendent comme nous la liberté d’expression, mais c’est mieux de se préoccuper chaque jour de celle-ci sans attendre le drame.
Il y a encore peu, le journal n’allait pas bien, il n’avait pas de lecteurs. Il n’intéressait plus grand monde, peu de personnes étaient prêtes à se battre pour quelques dessins.
Les soldats Charb, Wolinski, Cabu et les autres, sont morts sacrifiés sur le front d’une guerre que personne ne voulait faire. Mais voilà, la République (aussi) a besoin de martyrs. Elle les a trouvés maintenant.
La vie sacrifiée des talentueux coéquipiers de Charlie hebdo a-t-elle redonné un sens à nos valeurs que les Charlie-friends d’aujourd’hui ont longtemps délaissées ou peut-être pas suffisamment défendues ? Le sursaut national des derniers jours va-t-il se poursuivre et prendre corps au quotidien ? L’espoir fait vivre.
“Que restera-t-il de ce grand élan progressiste sur la liberté d’expression ?” se demandait quant à lui Luz (dans les Inrocks, 10 janvier) alors que le journal a toujours cherché à « détruire les symboles, faire tomber les tabous, mettre à plat les fantasmes (…) Le symbolisme au sens large, tout le monde peut en faire n’importe quoi ».
La réalité est que des heures encore sombres nous attendent …nous, Français, Républicains et Juifs, savons l’ampleur du désastre et comptons depuis longtemps nos morts. L’horreur de la porte de Vincennes est là pour nous le rappeler. Quatre morts juifs parce que juifs. Ce n’est pas le symbole d’une liberté d’expression menacée. C’est la honte d’une société qui a laissé crier « mort aux juifs » dans ces mêmes rues de Paris il n’y a pas si longtemps et a justifié ce crime, soit par faiblesse, soit par indifférence.
C’est un peu d’aveuglement et trop peu de courage qui n’ont pas à temps condamné à l’unisson le crime de nos valeurs citoyennes.
« Il y aura d’autres attaques en France ou dans d’autres pays occidentaux » confirme Peter Neumann, directeur du Centre international pour l’étude de la radicalisation (ICSR, Londres). Les groupes islamistes, que ce soit Al-Qaida ou l’Etat islamique, s’engagent, nous dit-il, dans des attentats non plus spectaculaires comme ceux du 11 septembre 2001, mais dans des actions de plus petite ampleur comme ceux d’Ottawa et de Sydney en 2014, souvent plus efficaces pour causer une terreur durable, exacerber à long terme les tensions sociales et créer des crises morales sans précédent.
« Le potentiel est vaste pour de nouvelles attaques, car ces personnes comprennent l’ampleur du choc que peut produire un acte isolé » nous dit encore Peter Neumann (Le Monde, 10 janvier 2015).
Cette nouvelle forme de terrorisme, tout en barbarie horrible et assumée, provoque une déflagration de nos certitudes, suscite l’inquiétude et la peur. Un sentiment d’impuissance s’est installé, souvent accompagné de son corollaire, l’extrémisme et le discours radical. La haine crée la haine et entraine la société dans le cercle vicieux qui la tue de l’intérieur. L’islamisme n’a plus qu’à ramasser le fruit qui est tombé.
Cette stratégie a fonctionné à merveille jusqu’ici. Elle a ébranlé une société occidentale livrée sans fard à une introspection mortifère. Face à cet incompréhensible terrorisme, nous avons nous-mêmes remis en cause nos propres valeurs et principes démocratiques. Et nous avons accepté, sans en prendre conscience, de nous faire ainsi bousculer férocement dans nos plus essentiels fondements.
Dans nos banlieues devenues des zones de plus en plus nombreuses et préoccupantes de non-droit, où la république et l’éducation ont déserté depuis longtemps, les assassins de l’Etat islamique passent pour des héros et des modèles, suscitent des vocations et galvanisent des foules de jeunes chez qui un sentiment de puissance se propage via les réseaux sociaux, sentiment mille fois renforcé par une idéologie religieuse qui encense le jihad et le martyr.
L’islamisme est en train de créer un homme et un ordre nouveaux à la mode totalitaire du XXème siècle.
L’électrochoc de la semaine dernière remet les pendules à l’heure mais ne sera pas suffisant. On ne gagnera pas cette guerre contre l’intolérance et la barbarie avec des crayons et des symboles.
L’islamisme est un totalitarisme et la stratégie des islamistes est une guerre. Commencer à gagner cette guerre, c’est accepter tout simplement de la faire, face à un ennemi qu’il faut désigner et nommer.
On ne gagne pas contre un ennemi qu’on ne veut pas voir. Les inutiles atermoiements et les fausses pudeurs font reculer nos chances (de gagner ce nouveau type de conflit) et nous font perdre du temps.
Cette guerre, on ne pourra pas la faire et la gagner sans les Musulmans.
Il n’y aura jamais plus de vraie république si les cinq millions de Français musulmans refusent un nécessaire « sursaut de conscience ». La république ne pourra plus progresser ni durer sans les Musulmans. Les Musulmans de France ne pourront jamais trouver leur place dans la société sans la république. Les enjeux sont doubles et parallèles. Les destins sont liés.
Il s’agit de donner la parole aux Musulmans eux-mêmes au lieu de parler en leur nom et à leur place, au lieu de penser pour eux et de les dire majoritairement partisans de valeurs républicaines dont on attend qu’ils nous montrent leur attachement et leur respect. On veut des preuves, on veut des actes. On veut des garanties pour vivre ensemble. Non, ce n’est pas de la stigmatisation, c’est du bon sens. Car la confiance est brisée, et le labeur bien grand pour retrouver l’élan qui nous rassemblera … peut-être.
Jean-Paul Fhima
JPF-Signa
 

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