La France était en communion hier soir. Plus de deux millions de personnes ont défilé à Paris, fait sans précédent depuis la Libération, au point que la Préfecture a renoncé à compter les manifestants qui ralliaient la Place de la République à la Place de la Nation, un symbole en soi.
Ils étaient aussi des centaines de milliers à Toulouse, Nice, Rennes, Lille ou Strasbourg, de tous âges, de toutes tendances politiques, personnalités ou anonymes. C’est beau, c’est rassurant et, c’est vrai, ça fait du bien après ces jours d’horreur. Il n’est pas si fréquent de vivre un tel sentiment d’union nationale, un sentiment d’appartenance commune à une Nation, une Patrie, alors, non, on ne va pas se gâcher le plaisir.
TROP VITE CRIER VICTOIRE
Allez savoir pourquoi alors ce défilé m’a laissé comme un petit arrière goût désagréable, la sensation qu’il fallait se garder de trop vite crier victoire. « Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil », cette drôle de liesse populaire m’a même choquée par certains aspects. Il faisait beau ce dimanche après-midi à Paris, un ciel bleu, un beau soleil, un tout petit brin de pluie et les pancartes « Je suis Charlie » ont fleuri comme un printemps précoce. Les boutonnières des manteaux se sont ornées de pin’s à l’effigie du nouvel héros, ce Charlie emblématique d’une liberté d’expression durement frappée par le massacre de Charlie-Hebdo. Des dessins d’enfants sont accrochés sur des panneaux de fortune. On est venu en famille ou entre amis, on souhaite que les enfants vivent cette journée d’ores et déjà qualifiée d’historique.
LA PREMIERE MANIF
Pour beaucoup de personnes, c’est même la première manif. Il en aura fallu pour les faire descendre dans la rue. On fait coucou à la caméra qui passe, les balcons applaudissent les marcheurs, les marcheurs applaudissent les balcons. 65 000 tweets sont envoyés en une heure, un record paraît-il. On distribue du papier, des crayons pour dessiner. Peu de Cabu en herbe. L’ambiance est bonne enfant, parfois joyeuse même. Les journalistes de France Télévision tendent leur micro au premier qui passe dans une quête insensée d’un bon mot sur ce bonheur retrouvé tout neuf. Las, le butin est décevant. On a aussi chanté la Marseillaise, en cœur et bien mieux qu’au Stade de France. Aujourd’hui à Paris, la France a communié dans un grand élan de ferveur patriotique de lendemains de peur.
Mais dix-sept victimes en trois jours en plein cœur de Paris ne méritaient-elles pas un peu de silence, un peu de décence même, plutôt que les pitreries de ces élus municipaux ceinturés par leur écharpe tricolore, tout occupés à immortaliser leur illustre présence par des selfies qui encombrent sans doute déjà le net alors que les familles des victimes étaient si proches…
Il y avait pourtant bien d’autres choses à retenir de ce rassemblement. La famille Charlie en ligne et Patrick Pelloux, inconsolable. La famille Police aux visages fermés mais fière et visiblement touchée de ces applaudissements spontanés très inhabituels en France. La famille Klarsfeld aussi, toujours présente et dont les vies sont faites d’engagements permanents. La présence discrète de Lassana Bathily, ce jeune musulman d’origine malienne dont le courage a sauvé la vie de plusieurs otages à l’Hyper Casher de la Porte de Vincennes vendredi. Le regard éploré de Latifa Ibn Ziaten, dont le fils, Imad, soldat français, a été l’une des premières victimes de Mohamed Merah en mars 2012. A son bras, comme deux amis partageant leur triste destin, Samuel Sandler, père du rabbin Jonathan Sandler, et grand-père de Aryeh (5 ans) et Gavriel (3 ans), assassinés eux aussi à l’école Ozar Hatorah de Toulouse.
21.000 TWEETS » JE SUIS KAOUCHI »
Sur le plateau de France 2 ce soir, alors que tous les manifestants n’étaient pas encore arrivés Place de la Nation, le Rabbin Battou Hattab, père du jeune Yoav mort courageusement lors de la prise d’otage de l’Hyper Casher, est venu dire à la France entière sont chagrin d’avoir perdu un fils « aimant et courageux » et réclamer « l’action »…
Oui l’action. L’action que nous sommes en droit d’attendre et de réclamer de nos hommes politiques pour traquer, arrêter et condamner, avec des moyens conséquents, les Merah, Coulibaly ou Kaouchi que notre société n’a pas vu grandir et se radicaliser. L’action, pour que les policiers puissent accomplir leur métier sans craindre d’être « tirés comme des lapins ». L’action, pour que cessent les appels à la haine sur Internet et les 21 000 tweets insupportables «je suis Kaouchi ». L’action, pour que les Juifs de France puissent rester en France, dans ce pays qui est le leur, sans crainte d’être insultés, frappés, violées ou tués. Non, plus jamais on ne doit entendre hurler « A mort les Juifs » dans les rues de Paris. Alors seulement, ce beau dimanche ensoleillé de Janvier aura été une journée historique.
Brigitte Thévenot
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