« Qui sont les quatre otages tués porte de Vincennes », s’interroge Le Monde sur sa page d’accueil. « A Dammartin ou Vincennes, ces otages héroïques qui ont réussi à se cacher », titre LeFigaro.fr.
Pourquoi parler des « otages » de Vincennes ? Il s’agit de tout sauf d’otages.
Un otage est une personne « dont on s’empare et qu’on utilise comme moyen de pression contre quelqu’un, un Etat, pour l’amener à céder à des exigences », selon le dictionnaire Le Robert. C’est un acte précis, puni par le code pénal (art 244-4) à trente ans de réclusion.
Amedy Coulibaly n’a pas posé d’exigences : en entrant dans le magasin, il a exécuté directement Yoav Hattab, Philippe Braham et François-Michel Saada. Yohan Cohen, 23 ans, a ensuite tenté, avec un courage admirable, d’attraper une des armes du terroriste ; il s’est fait lui aussi tuer d’une balle dans la tête.
« Quatre juifs ont été tués », point
Dans la tragédie de l’Hyper Cacher, il ne s’agissait donc pas d’otages, mais de tout autre chose : de cibles. De même que les journalistes de Charlie ont été pris pour cibles parce qu’ils sont journalistes de Charlie, les clients et des employés du magasin Hyper Cacher ont été pris pris cible parce qu’ils sont juifs. Rien à voir avec « une prise d’otage qui a mal tourné » : les quatre victimes ont été froidement tuées.
A-t-on peur en France d’appeler un chat un chat, et un massacre de juifs un massacre de juifs ? C’est ce que pense sur son blog Annette Lévy Willard, de Libération :
« On dit des dessinateurs tués parce qu’ils étaient dessinateurs, des policiers tués parce qu’ils étaient policiers et ces gens qui faisaient leurs courses vendredi dans une épicerie casher ? On n’ose pas dire : “Quatre juifs ont été tués.” »
Elle retranscrit une discussion qu’elle a eu sur le sujet avec Daniel Cohn-Bendit, qui pour sa part relève une distinction faite par les médias entre ceux qui sont tués à cause de ce qu’ils font (« les combattants de la liberté », dans le cas de Charlie) et ceux qui sont tués à cause de ce qu’ils sont (des juifs).
« Ce qui est terrible, c’est que j’ai l’impression de revenir 70 ans en arrière, quand Jorge Semprun racontait la distinction dans les camps entre les résistants, les communistes, les juifs qui se battaient, et les autres.
Quand la seule raison pour laquelle on puisse te tuer, c’est parce que tu es juif, c’est le retour d’une barbarie innommable qui s’ajoute à une autre barbarie innommable. »
Quelques heures avant le chabbat
Le degré de mobilisation, constate-t-il, est très différent selon ces deux catégories. Il en veut pour preuve qu’après les massacres d’enfants juifs par Mohammed Merah, il n’y a ainsi pas eu de mobilisation comparable au mouvement « Je suis Charlie ». De même, la tuerie à l’épicerie casher n’a pas déclenché les même rassemblements spontanés que la tuerie de mercredi à Charlie.
Comme si les Français, à commencer par leurs médias, ne voulaient pas ouvrir les yeux sur celle réalité-là : oui, dans notre pays, il y a aujourd’hui des massacre de juifs. Oui, le poison de l’antisémitisme est là, dans une forme extrêmement virulente.
Dès lors, le mot « otage » est bien commode : c’est un voile, c’est un brouillard. Il suggère une situation chaotique et complexe – les prises d’otages le sont toujours – , pour décrire un fait brutal et simple : un homme entre dans un magasin, quelques heures avant le chabbat, et tue des juifs.
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