La gauche a fait du déni de réalité sa marque de fabrique. Elle s’enfonce dans l’idéologie, trompe les électeurs et n’a qu’un seul but : conserver le pouvoir.
Il y a bien longtemps, on trouvait dans le Corriere della Sera un article sur Jean-Paul Sartre intitulé Soffocato dal Impegno (Étouffé par l’engagement). En suivant depuis des années la politique du Parti socialiste, on songe immanquablement à une expression analogue : “Étouffé par l’idéologie”. Ce parti et ses satellites occasionnels, érigés tant bien que mal en machine à conquérir et à exercer le pouvoir, n’ont jamais cessé de plaquer leurs dogmes sur les réalités, dans l’espoir toujours vivace que les réalités finiraient par plier devant les dogmes. Ceux-ci étant partiellement hérités de l’idéologie communiste, ils ont été appliqués avec un systématisme et une rigidité qui ont fait les beaux jours (et l’échec) du système soviétique. Cette évidence risquant de provoquer des infarctus chez nombre d’anciens trotskystes recyclés en cadres socialistes, nous ne nous y attarderons pas – sinon pour rappeler qu’avant de devenir Premier ministre, Manuel Valls avait l’habitude de pester contre le “surmoi marxiste” de ses camarades… Et de fait, la politique socialiste souffre toujours de ce quintuple handicap caractéristique du système communiste : dogmatisme, dirigisme, bureaucratisme, égalitarisme de façade et déni de réalité.
Dogmatisme, bureaucratisme, et égalitarisme en trompe-l’oeil
Voilà qui semble se vérifier chaque fois que le Parti socialiste est de retour au pouvoir, quels que soient ses domaines d’intervention. Prenons le temps de travail : il n’y avait pas vraiment d’inconvénient à ce que des salariés travaillent 35 heures. Le malheur est venu de la raideur idéologique dans l’application du concept : l’obligation de partager le travail comme un gâteau, pourtant repoussée comme archaïque par le président Roosevelt en 1933, remisée cinquante ans plus tard par Mitterrand au placard des promesses non tenues, puis ressortie en 2000 pour des raisons purement électoralistes, est devenue ensuite un marqueur idéologique affreusement rigide : “Pour le socialisme et la générosité, contre le fascisme et le capitalisme, tous aux 35 heures, quel que soit le métier – public ou privé, ingénieur ou fraiseur, facteur ou directeur, grutier ou infirmier, mineur ou ministre, même combat !” Voilà un slogan exaltant et parfaitement digne d’une affiche de kolkhoze des années vingt… Mais même très inégalement mise en oeuvre, cette avancée contraignante et unique au monde vers l’horizon radieux du loisir socialiste a exercé ses ravages à tous les niveaux, depuis la désorganisation de l’hôpital jusqu’à la ruine de la valeur travail. Pourtant, un socialiste français pur et dur ne saurait reculer devant une avancée sociale, quel qu’en soit le coût pour la collectivité. Dès lors, depuis la droite de la gauche jusqu’à la gauche de la droite, l’ensemble du spectre politique français en est resté paralysé – tout comme l’économie, du reste…
Encore du dogmatisme, du bureaucratisme, de l’égalitarisme en trompe-l’oeil et du déni de réalité dans la politique fiscale : après l’augmentation des impôts consécutive à la crise de 2008, la plus grande prudence s’imposait en 2012. Tout comme en médecine, si une dose guérit, une double dose peut tuer. Sans en tenir compte, le docteur Hollande a administré aux Français une nouvelle potion massive sous forme de dégelée fiscale, avec les accents confiscatoires de la taxe à 75 % et les diatribes idéologiques de quelques riches honteux qui n’aimaient pas les riches. Pourtant, le Parti socialiste ne manquait pas de fiscalistes pour l’avertir que ces mesures brouillonnes allaient entraîner une évasion fiscale massive, une envolée du travail au noir et un effondrement des investissements, avec pour finir une baisse globale des recettes comme du PIB. Mais là encore, l’idéologie primait : “Mon ennemi, c’est la finance !”
La criminalité augmente ? Il faut vider les prisons
Déni de réalité, toujours : en matière de retraites, un enfant de douze ans pouvait comprendre que des Français vivant plus vieux devaient travailler plus longtemps. Mais le dogmatisme socialiste s’affranchit des évidences économiques : plus on vit vieux, moins on doit travailler longtemps ! La Cour des comptes proteste énergiquement, mais en vain : quel rôle peut-elle encore jouer dans le plan quinquennal passablement déjanté des socialistes ? Quant à l’incidence de ces retraites anticipées sur l’économie en général et les caisses de retraite en particulier, aucun socialiste ne s’en est soucié depuis l’arrivée de François Mitterrand.
Dogmatisme, bureaucratisme, dirigisme, égalitarisme et déni de réalité encore et toujours : la criminalité augmente ? Il faut vider les prisons, car le socialisme est généreux, humaniste et indulgent envers les délinquants, criminels et terroristes victimes de la société ; que ceux-ci récidivent une fois libérés, ce sera la faute du grand capital, de la France raciste, de la police fasciste et du lourd héritage des gouvernements de droite. L’enseignement se délite ? Il suffit de supprimer les classements, les notes et les bourses au mérite, de réduire les exigences et de brader les diplômes, car le capitalisme sauvage, c’est l’inégale répartition des talents, tandis que le socialisme à la française, c’est l’égale répartition des médiocrités. La société elle-même est inégalitaire ? On redouble d’invectives contre les riches, on installe les pauvres dans un statut d’assistés à vie, et on nomme des ministres qui dissimulent leur fortune tout en s’octroyant discrètement des privilèges exorbitants. La sécurité sociale est dans le rouge et des économies s’imposent ? On étatise la médecine, on bureaucratise à tout-va, on dévalorise l’acte médical et on déresponsabilise le patient par une généralisation du tiers payant qui fera exploser les comptes.
L’immigration augmente inexorablement ? Au paradis des illusions socialistes, on déguise les chiffres, on réduit les expulsions, on accélère les naturalisations et on tente de bâillonner Zemmour, dans ce que Pascal Bruckner vient justement de nommer “une version soviétique du socialisme”. Le déficit se creuse ? On multiplie les subventions, les emplois aidés et les postes de fonctionnaires pour le creuser davantage. Le harcèlement des entreprises productrices entraîne mathématiquement une explosion du chômage ? On bricole les statistiques, on prétend entrevoir un ralentissement de l’augmentation, on continue d’empiler les réglementations absurdes et tracassières, on crée une nouvelle usine à gaz explosive en forme de compte pénibilité, et on assure que seule la mauvaise volonté des patrons est responsable de la baisse des embauches – tout cela en restant intimement persuadé que la principale finalité des entreprises est de rémunérer leurs employés…
Leur priorité : se cramponner au pouvoir
Serait-ce donc bien une régression vers le système soviétique, dans lequel on faisait semblant de payer des travailleurs qui faisaient semblant de travailler ? Ou bien plutôt un retour après maints détours vers les ateliers nationaux et les racines du socialisme utopique ? Il faut parfois se pincer pour réaliser que l’on est largement entré dans le XXIe siècle… Pourtant, l’exercice des responsabilités peut parfois accomplir des miracles : certains au sein du gouvernement, ayant pris conscience du fait qu’ils appartenaient au Parti socialiste le plus archaïque d’Europe, tentent désespérément de l’adapter aux réalités de l’économie et du monde. Hélas ! Leur priorité étant de se cramponner au pouvoir, ils ont tout à craindre de leurs frondeurs affectés d’un surmoi marxiste. Dès lors, à l’exemple du président, ils poursuivront leur route incertaine en naviguant au plus près entre immobilisme, double langage, compromis boiteux et savants calculs électoraux. Peut-être en cours de route certains se demanderont-ils s’ils ne se sont pas trompés de parti ; peut-être même certains se sont-ils déjà répondu. À ceux-là, on pourrait rappeler la célèbre phrase de Winston Churchill : “Il y en a qui changent de convictions pour l’amour de leur parti ; moi, je change de parti pour l’amour de mes convictions !” Mais le malheur de la France est que ses dirigeants n’ont plus de convictions : ils n’ont que des plans de carrière.
Francois Kersaudy
http://www.lepoint.fr/invites-du-point/francois-kersaudy/kersaudy-dans-les-coulisses-de-l-utopie-socialiste-26-12-2014-1892372_1931.php#xtor=EPR-6-[Newsletter-Matinale]-20141226
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