Un extrait vidéo de deux minutes intitulé « Young Talibans ! », a été posté par « deshkar seven zoo » le 29 janvier 2013 sur un site islamiste français, hébergé à Roubaix (9.915 membres). On y montre des images d’enfants en plein entrainement militaire dans le désert. Un garçonnet de cinq ans apprend à tirer à balle réelle sous la surveillance d’hommes en uniforme et en arme, sur fond du drapeau noir de l’Etat islamique et de chants à la gloire de la guerre et de la mort. Ce garçon, comme tous les autres enfants qui l’accompagnent, est appelé « jeune combattant héroïque. »
Suite à cette vidéo et à de multiples appels à la violence, le site terroriste a fermé ‘’en catastrophe’’, sous la menace d’une perquisition de police. « Qu’Allah pardonne nos erreurs et punisse les ennemis de l’islam » pouvait-on y lire (Observatoire de l’islamisation, 3 juin 2014).
Ces gamins soldats, de moins de 15 voire de 10 ans, ont été enrôlés sur place, de force ou de peur, ou bien sont venus de loin, seuls et volontaires, ou bien encore avec leurs parents ou leur père.
Rapports et témoignages confirment
un phénomène de masse.
Le MEMRI JTTM (Middle-East Media Research Institute, Jihad and Terrorism Threat Monitor) fait un état des lieux précis et accablant sur les méthodes mises en œuvre « pour gagner les petits cœurs et les esprits ». Entrainement militaire, éducation coranique, fêtes scolaires et festivals, discours en pleine rue, distribution de cadeaux dans les villages, vidéos, photos et messages dans les médias sociaux : la propagande islamiste ne connait ni limite ni frontière.
De nombreux rapports éclairent sur les agissements des filières d’Al-Qaïda et de sa branche dissidente, l’Etat islamique (EI), en Syrie, en Irak, en Afghanistan, au Pakistan, au Mali, en Somalie et ailleurs.
L’important compte-rendu du MEMRI JTTM (n°1065, 7 février 2014) rappelle que l’utilisation des enfants est une tendance déjà ancienne initiée par les Talibans et Al-Qaïda pour placer discrètement des bombes, servir de leurre dans des embuscades ou se transformer en bombes humaines. Leila Zerrougui, représentante spéciale de l’ONU pour les enfants et les conflits armés, a confirmé que des centaines d’enfants sont utilisés pour transporter des armes, garder des endroits stratégiques, arrêter des civils et faire des attentats-suicides (Le Matin. Journal marocain, 9 septembre 2014).
A partir de 2000, Al-Qaïda crée des unités de combat de milliers d’enfants dans des camps appelés « Oiseaux du paradis » (Tuyour Al-Janna) spécialement destinés à préparer des opérations suicide. Les camps existent en Afghanistan dès 2000-2004, puis au Pakistan et surtout en Irak où ces camps sont plus connus sous le nom de « Lionceaux d’Al-Zarqawi », à la suite de la mort en juin 2006 d’Abou Moussab Al-Zarqawi, chef d’Al-Qaïda en Irak.
Les enfants sont traités comme de vrais soldats, aguerris à l’usage des armes et des exercices de simulation de guerre et d’assaut groupé (MEMRI JTTM, 13 décembre 2010). De nombreux médias arabes confirment dès 2009-2010, une recrudescence des attaques perpétrées par ces unités d’enfants en Irak. Trois de ces gamins soldats appartenant à un groupe du nom de « Lionceaux d’Al-Qaïda », Ashbal Al-Qa’ida) ont été arrêtés en compagnie de six terroristes adultes recruteurs, après une tentative d’attentat à Bagdad (quotidien irakien Al-Mada, 5 août 2009). L’un des enfants du nom d’Ahmad Abdullah a révélé aux autorités irakiennes qu’il avait déjà effectué trois opérations du même type (MEMRI JTTM, 6 août 2009).
Le 7 avril 2010, un reportage d’une chaine d’information saoudienne rapporte qu’un enfant d’environ 10 ans a été retrouvé à Falloujah (70 km à l’ouest de Bagdad) en possession d’une ceinture d’explosifs, prêt à se faire exploser à un checkpoint à une heure de grand passage (Al-Alarabiya, 8 avril 2010). Quelques jours plus tard, les forces irakiennes annoncent avoir arrêté un commandant du nom de Bassim Abu Khalil Al-Mujahid, jugé responsable du recrutement des « enfants à la bombe » (Mawtani.al-shorfa, journal irakien, 23 avril 2010).
Les camps d’entrainement des enfants existent non seulement dans les régions syriennes contrôlées par l’Etat Islamique mais aussi dans les camps de réfugiés syriens en Turquie et en Jordanie (Tariq ‘Abdu, responsable syrien MEMRI JTTM, rapport 1065, 7 février 2014). Ces camps ont même été actifs en Arabie saoudite comme le confirment le quotidien Okaz (10 avril 2010) et le Saudi Gazette (29 avril 2010) relatant des mesures exceptionnelles prises par le ministère des Affaires islamiques du pays à l’attention de la protection des enfants. En 2011-2012, les camps d’entrainement des enfants se sont étendus en Afrique, particulièrement en Tanzanie et en Somalie (journal somalien, Sabahi, 15 novembre 2013 ; Al-Arabiya, 13 août 2012, rapport MEMRI JTTM n°5119, 4 juin 2010).
Les enfants recrutés, souvent fils de combattants tués au combat, sont la plupart du temps orphelins (Al-Shorfa.com, 14 novembre 2013). Une vidéo postée sur You Tube du camp des Lionceaux d’Al-Zarqawi situé à Al-Ghouta, à l’est de Damas, montre une douzaine de jeunes enfants en uniforme tenant à deux mains une lourde Kalachnikov AK-47 (MEMRI JTTM 19 novembre 2013).
Fin juin 2014, Abou Bakr Al-Baghdadi se proclame chef de l’Etat islamique, après trois semaines d’offensive en Irak, la prise de la ville de Mossoul et la fondation d’un califat sunnite. Depuis, dans les zones contrôlées par l’EI, on note que de plus en plus d’enfants de moins de 15 ans sont tués au combat (DesInfos.com, 12 mai 2013). Si on ignore combien d’entre eux sont concernés, tous les témoignages concordent pour dire que l’entraînement militaire des enfants est clairement devenu un phénomène considérable » (Kate Brannen, Slate.fr, 10 novembre 2014). Les camps se multiplient.
Medyan Dairieh, journaliste au magazine web américain Vice News, a réalisé un reportage inédit en cinq parties sur les jihadistes de l’Etat Islamique au milieu desquels il s’est rendu. L’un de ces documentaires, filmé dans la ville syrienne de Raqqa, montre l’embrigadement des enfants. Raqqa est située à 160 km d’Alep sur les bords de l’Euphrate. La ville peuplée d’environ 200.000 habitants est totalement contrôlée par l’EI qui en a fait sa capitale. Il y aurait plusieurs unités d’entrainement de quelques centaines enfants de moins de 16 ans chacune (Tribune de Genève, 9 août 2014). Ces unités sont appelées camp al-Zarqaoui, camp Oussama ben Laden, camp al-Cherkrak, camp al-Taleea et camp al-Sharea (Slate.fr, 10 novembre 2014).
Les jihadistes affirment qu’ils se préparent à une longue guerre contre l’Occident et voient dans la formation au combat de ces très jeunes soldats (d’à peine 6 ans pour certains) un conflit qui va durer. Depuis l’an dernier, de plus en plus d’enfants sont tués au combat (DesInfos.com, 12 mai 2013).
Il est insensé de constater que certains médias français mettent encore en doute cette évidence mille fois décrite. Dans le Journal du soir sur France 3, mardi 18 novembre 2014, on ajoute à la fin d’un reportage à propos des enfants français enrôlés dans le jihad en Syrie, une remarque qui a de quoi laisser pantois : « on ignore si ces enfants participent ou pas à la lutte armée. »
Les enlèvements est l’autre aspect
de ce phénomène inquiétant.
Kidnappés et emprisonnés pendant plusieurs mois, les enfants reçoivent un véritable lavage de cerveau ponctué de tortures physiques et de violences quotidiennes, avant d’être intégrés de force dans des camps militaires. Le 29 mai dernier, 153 jeunes Syriens kurdes âgés de 13 et 16 ans ont été enlevés près de la ville de Manbij (gouvernorat syrien d’Alep) alors qu’ils rentraient chez eux à Kobané.
L’ONG Human Rights Watch (HRW) a confirmé que ces adolescents kurdes kidnappés ont été frappés avec des tuyaux et des câbles électriques par des geôliers syriens, jordaniens, libyens, tunisiens et saoudiens (Le Point, 4 novembre 2014). Farhad (15 ans) a été emprisonné pendant quatre mois et six jours. Il est miraculeusement rentré chez lui. Son frère raconte que toute la journée on lui lisait le Coran, qu’il était forcé de suivre l’enseignement religieux et qu’il devait dire sans arrêt qu’il déteste les infidèles.
Après avoir reçu un programme accéléré de rééducation, les enfants sont envoyés dans les différents camps de combat avec, en tête, l’obsession du Jihad (Assakina.com, 16 novembre 2013).
« Les enfants servent aussi de bouclier humains et de réserve de sang pour les soldats blessés » (Shelly Whitman, association ‘’Roméo Dallaire-Child Soldiers Initiative’’). Ce que confirme un rapport onusien à propos de jeunes garçons de 12-13 ans nombreux à tenir des barrages routiers, notamment autour d’Al-Sharqat, dans la province irakienne de Salâh ad-Dîn.
Misty Buswell, (ONG ‘’Save the Children’’ basée en Jordanie), parle d’une « génération perdue au profit du traumatisme ». Le contact inédit et inquiétant avec de telles atrocités, dit-elle, a traversé les frontières. « C’est la première fois que je vois des réfugiés (ceux de Sinjar, nord-ouest de l’Irak) qui ne veulent pas retourner chez eux » (Slate.fr, 10 novembre 2014).
Au nord du Mali, les petits soldats, d’Al-Qaïda ou de ses filières, ont été victimes d’un enrôlement par la misère et la faim. « On leur a promis un enseignement coranique et trois repas quotidiens, ils ont fini avec une Kalachnikov entre les mains (…) Parfois même une ceinture d’explosifs autour de la taille» (François Rihouay, Ouest France, 31 mars 2013).
Le kamikaze qui s’est fait exploser à un poste de contrôle à Gao, sur le Niger, avait 14 ans. Sur les conseils de son oncle, le garçon passionné de moto était entré au Mujao (Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest), une scission d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI). À Boré, Douentza ou Konna, les enfants-soldats, parfois âgés de 11 ans à peine, sont sur le front, font des contrôles dans les bus, pullulent dans les zones de combat bombardées par l’armée française (Le Monde, 24 janvier 2013).
« Beaucoup sont encore parmi les combattants, armés de gros fusils » confirme Jean-Marie Fargeau, directeur du bureau français de Human Rights Watch qui parle d’enrôlement d’enfants à Kidal, Gao et Tombouctou bien avant le début de la guerre (Francetv.info, 14 janvier 2013). Le président de l’organisation malienne de défense des droits de l’Homme (organisation Temedt) s’inquiétait déjà de la recrudescence d’enfants dans les camps d’entrainement (journal mauritanien Noorinfo, 22 janvier 2013). Ce sont des recrues très prisées des jihadistes du Mujao mais aussi d’Ansar Eddine ou du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA). « On les voit passer dans les pick-up des barbus. Certains sont très jeunes et ont déjà une mitrailleuse dans les mains. » (Hallé Ousmane, maire de Tombouctou).
Pour Charles C. Carris et Samuel Reynolds, deux chercheurs de l’Institute of the Study of War (ISW, basé à Washington), les méthodes utilisées pour intégrer les enfants au jihad sont en train de transformer une génération entière en véritable « bombe à retardement. »
L’impact sur le psychisme est considérable : l’endurance à la souffrance et l’absence d’empathie, pour soi-même comme pour les autres, est un symptôme récurrent chez beaucoup de ces enfants dont la réintégration à la vie normale pose de sérieux problèmes. Certains experts pensent que les rescapés resteront ‘’socialement irrécupérables » (Al-Shorfa.com, 17 novembre 2014). On leur apprend à décapiter des adultes en les aidant à tenir la hache ou le couteau. On leur donne même des poupées sur lesquelles s’exercer (Syria Deeply, 2 septembre 2014). «Il s’agit de maltraitances infantiles à une échelle industrielle. Ils brutalisent et déshumanisent systématiquement les jeunes populations. Cela va générer un problème multi-générationnel.» (Ivan Šimonović, Secrétaire général adjoint aux droits de l’Homme de l’ONU, récemment rentré d’un voyage en Irak).
Ces enfants endoctrinés et embrigadés,
sont tués en martyrs et exhibés en exemple.
Une sordide concurrence entre les groupes jihadistes comme Jabhat Al-Nusra (JN), ou Ahrar Al-Sham, poussent ces derniers à exhiber sur les réseaux sociaux leurs trophées d’enfants martyrs qu’ils présentent comme « les plus jeunes combattants d’Allah. » Sur fond de chants et de prières, les visages d’enfants morts tapissent la toile d’une macabre course à l’horreur. Chacun veut son « ange exemplaire » pour sa propagande.
Les enfants sont aussi recrutés dans la rue et surtout dans les écoles où sévit chaque jour pression et terreur. L’éducation islamiste s’apparente à une rééducation et du dressage, à de la manipulation sectaire et de l’esclavage mental.
On ne compte plus, sur les réseaux sociaux, les photos et vidéos montrant des classes entières d’écoliers syriens tenant le drapeau noir de ralliement (rapport MEMRI JTTM, n° 5439 sur les écoles d’enseignement élémentaire à Alep, 9 septembre 2013).
Dans les zones soumises à l’Etat islamique, l’enseignement est totalement contrôlé et réduit à une morale religieuse stricte qui s’impose par une adhésion totale. En Syrie, les professeurs prêteraient de force allégeance au régime, après une semaine de formation obligatoire à l’issue de laquelle est donné un certificat d’aptitude à enseigner contre un maigre salaire (Slate.fr, 16 octobre 2014).
«Ils ont supprimé les cours de philosophie, de sociologie et d’histoire», rapporte Khaled Musto, professeur d’arabe et directeur de deux écoles à Deir ez-Zor, ville située dans l’est de la Syrie » (Slate.fr, 16 octobre 2014).
Dans Dabiq, revue web de propagande de l’Etat Islamique, circulaient en août dernier des documents sur les nouvelles orientations de l’école dans les régions soumises au califat autoproclamé, d’Idleb à Mossoul, d’Alep à Raqqa. Selon ces consignes « toute image d’être animé est prohibée » (Romain Caillet, chercheur à l’IFPO, Institut français du Proche-Orient). Une brigade de surveillance (nommée Al-Hesba) passe dans les classes à l’improviste pour vérifier si les nouvelles prescriptions sont suivies.
Un florilège de tweets légendés « nouvelle génération du tawhid (monothéisme) dit vouloir « enseigner l’exemple de la dignité (…) c’est le futur de la nation. (…) Les enfants veulent l’islam et rien d’autre. »
Au cours de séances de da’wa (prédication en arabe) ont lieu de grandes manifestations publiques. Meetings, remises de prix et de diplômes, jeux et divertissements, distribution de cadeaux, rien n’est laissé au hasard. Les jihadistes haranguent garçons et filles qu’on est venu chercher dans leurs classe ou leur maison pour écouter des discours à la gloire du Coran et de Abou Bakr al-Baghdadi, le chef du Califat.
Ces cérémonies sont vécues par les populations locales comme un événement de première importance auquel tous les habitants doivent assister. Dans une vidéo en date du 29 décembre 2013, est célébré l’enrôlement de nouveaux lionceaux jihadistes qui racontent au micro pourquoi ils ont choisi de rejoindre le combat islamiste, ce qui est l’occasion de faire un appel à de nouvelles ‘’candidatures’’ d’enfants présents aux premiers rangs du public.
Les enfants sont particulièrement appropriés pour simuler une adhésion populaire aux groupes jihadistes. Difficile de mesurer l’authenticité de cette adhésion. Des vidéos exposent des enfants chantant à la gloire du groupe Jabhat Al-Nusra (JN) et de son commandant, Al-Joulani (Dépêche spéciale de MEMRI JTTM n° 5182, 13 février 2013).
Une de ces vidéos postée le 5 décembre 2013 montre un jihadiste haranguant dans la rue, depuis une tribune de fortune, une foule d’enfants attroupés autour de lui. Il scande des appels au meurtre et au combat, fait répéter les phrases par le jeune public en y incluant des versets du Coran. Les combattants viennent du monde entier dit-il. « Qu’est-ce qui les unit ? ̶ L’islam ! (répondent les enfants) Pour quoi faire ? – Pour l’amour de l’Islam ! Pas de distinction entre les couleurs de peau ou les nationalités. ̶ Non ! La terre entière appartient à l’islam ! – Oui ! Celui qui n’est pas musulman est un infidèle. Les Chrétiens sont-ils infidèles ? – Oui ! Obama est-il infidèle ? – Oui ! »
Le groupe Jabhat Al-Nusra se distingue par une aide sociale et une action quotidienne efficace parmi les populations locales, surtout auprès des familles.
La distribution de cadeaux comme des sacs à dos ou des fameux bandeaux noirs du martyre (Shahid en arabe) attire les gamins qui s’attroupent et s’amusent autour des vans du groupe. C’est un moment d’amusement collectif dont on devine l’abject objectif de propagande.
Les parents radicalisés publient des photos et vidéos de leurs propres enfants en uniforme, tenant des armes à feu et des grenades, portant des explosifs, levant l’index en signe de victoire devant le tristement célèbre drapeau noir de l’EI (Rapport MEMRI, n°1065, 7 février 2014).
A suivre
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