Ex-ambassadeur d’Israël en France, historien et écrivain, Élie Barnavi appelle les parlementaires français à se prononcer en faveur de la reconnaissance de l’État palestinien.
Tel-Aviv (Israël), envoyée spéciale.
Avec 660 autres figures publiques israéliennes, vous avez adressé une lettre aux parlementaires européens appelés à se prononcer sur la reconnaissance de l’État palestinien. Une telle reconnaissance, leur dites-vous, ferait avancer la cause de la paix. Pourquoi cette démarche ?
Élie Barnavi : C’est une démarche indispensable. Bien entendu, je ne crois pas qu’un État palestinien puisse naître des seules résolutions de parlements européens. Mais cette pression politique, morale, exprimerait l’opinion générale du public en Europe, face à des gouvernements timorés, incapables de s’unir sur une position commune, et toujours à la traîne des États-Unis. Nous exerçons ou avons exercé des responsabilités en Israël, nous sommes considérés comme des patriotes… Nous voulons encourager ces parlementaires à adopter une position claire. Sans État palestinien à nos côtés, c’est l’avenir même d’Israël qui est compromis.
Pourquoi en appeler à une pression morale et politique extérieure ?
Élie Barnavi : Aucun sursaut ne viendra des Israéliens eux-mêmes, pas plus que des Palestiniens, d’ailleurs. La faiblesse extrême des protagonistes les rend incapables d’aboutir par eux-mêmes à une entente. Les fautes sont partagées, nous négocions depuis vingt ans, sans succès. Sans une pression politique extérieure très forte pour tracer des frontières claires, définir des paramètres et forcer les parties à les endosser, il n’y aura pas de paix dans cette région du monde. Très impliqués, les États-Unis ne font pas ce qu’ils devraient faire, pour diverses raisons connues. L’Europe, qui était restée jusqu’ici une voix très faible, commence à se prononcer politiquement, et c’est une bonne chose. Une position européenne plus claire pèserait sur les Américains.
Quels effets concrets aurait cette reconnaissance internationale d’un État palestinien ?
Élie Barnavi : C’est une étape. Évidemment, un État palestinien viable ne sortira pas de telle ou telle déclaration. Cela se jouera sur le terrain. Une fois que l’État palestinien sera proclamé, il faudra négocier sa mise au monde, ses frontières, sa configuration, son caractère. Mais l’existence même d’un tel État bouleverserait la nature des négociations qui impliqueraient non plus une autorité improbable, mais un État reconnu par la communauté internationale. Ipso facto, cela rendrait l’occupation illégale. Elle l’est déjà, mais cela deviendrait évident aux yeux de tous. Israël serait reconnu comme occupant le territoire d’un État souverain. Cela aura des effets, même modestes. Ce n’est pas la panacée mais, dans la situation bloquée, terrible, qui est la nôtre, ce serait un premier pas. Les Palestiniens envisagent d’aller à l’ONU, de rejoindre les différentes instances internationales. Moyennant une résolution plus modérée, dont on ignore pour l’instant la teneur, les Américains pourraient, pour la première fois, ne pas imposer leur veto. Ce qui est certain, c’est que la situation actuelle n’est pas viable. Des acteurs internationaux, toujours plus nombreux, l’admettent et sont prêts à passer des mots aux actes. Le débat au Parlement français s’inscrit dans ce mouvement.
L’idée selon laquelle il n’y aurait « pas de partenaire pour la paix » est très ancrée, chez les dirigeants et dans l’opinion publique. Comment surmonter une telle défiance ?
Élie Barnavi : Avec l’aide de l’extérieur, bien sûr. Du côté palestinien, ce n’est pas simple. Un fossé de haine et d’incompréhension sépare l’Autorité palestinienne et le Hamas, eux-mêmes divisés en de multiples factions. C’est un fait, il n’y a pas de partenaire commode. Mais dire qu’il n’y a pas de partenaire du tout, cela relève de la propagande chère au Likoud. Le pire cauchemar du gouvernement actuel serait d’avoir face à lui des Palestiniens unis, déterminés, guidés par des buts clairs. Cette propagande cache une vérité : il n’y a pas de partenaire de notre côté non plus. Le gouvernement dirigé par Benyamin Netanyahou est incapable de songer à négocier sérieusement la paix. C’est la raison pour laquelle une pression politique extérieure est indispensable. Si les Européens et les Américains annoncent qu’ils entendent faire avancer les choses, Israël ne pourra se couper du monde.
Comme diplomate, quelle leçon tirez-vous du cinglant échec du processus d’Oslo ?
Élie Barnavi : Cet échec était inévitable, tant ce processus était mal fichu. Comme outil diplomatique, il ne valait rien. Cet accord était cousu de non-dits, de questions en suspens, avec des mécanismes d’une rare complexité… Sans contrôle international, sans arbitre, le devenir de ce processus était suspendu à la bonne volonté des parties. Cette bonne volonté existait au début, chez les travaillistes au pouvoir. Mais, avec l’assassinat d’Yitzhak Rabbin et l’arrivée de Benyamin Netanyahou, c’était terminé. Côté palestinien, il y a eu des erreurs, aussi. Yasser Arafat n’aurait jamais dû accepter d’entrer dans ce processus, de venir à Gaza alors que la colonisation se poursuivait. Quant à la violence, il y a eu ses promesses formelles… avec toujours la possibilité de faire endosser à d’autres les actes de violence. En fait, le processus de paix a été d’emblée pris en otage par des extrémistes, des deux côtés, par le terrorisme d’un côté, par la colonisation de l’autre. Désormais, il faudra une autre méthode, prenant appui sur les acquis d’Oslo.
Quels acquis ?
Élie Barnavi : La reconnaissance mutuelle des deux mouvements nationaux ! C’est un acquis historique, irréversible. Ce n’était pas évident ! Pour les Palestiniens, nous n’existions pas. Pour les Israéliens, les Palestiniens n’existaient pas, ils étaient considérés comme une fraction du peuple arabe. Cette reconnaissance fut, quoi qu’on dise, un moment fondateur. Oslo a échoué, mais je ne suis pas de ceux qui disent qu’il faut jeter cet accord aux poubelles de l’histoire. Comment s’y prendre maintenant ? Il faut changer, sortir de ce triangle stérile entre Israéliens, Palestiniens et Américains. Ces derniers sont incapables d’aboutir. La position américaine est en fait très ambiguë. Depuis 1967, ils sont proches des positions arabes. Mais ils sont coincés par le lobby pro-israélien, l’American Israel Public Affairs Committee (Aipac), par les évangélistes chrétiens, par la sensibilité de leur peuple, le seul au monde qui, pour des raisons idéologiques, historiques, religieuses, voue un véritable amour au peuple d’Israël. Mais ce qu’il faudrait, c’est un peu moins d’amour et un peu plus de clairvoyance politique. Barack Obama l’a compris, mais il n’a rien su faire jusqu’ici. Il lui reste deux ans, il est libéré des échéances électorales. Il peut encore essayer d’agir. Là, les Européens peuvent jouer un rôle d’aiguillon, d’appui. Nous en avons besoin.
En quoi l’intensification de la colonisation est-elle au cœur des politiques conduites par le gouvernement israélien ?
Elie Barnavi. Ce gouvernement est dirigé par les colons ! Le Foyer juif de Naftali Bennett, qui est le parti des colons, est un membre important de la coalition au pouvoir. Israel Beytenou, le parti d’Avidgor Libermann, qui lui-même vit dans une colonie, tient aussi une place centrale. Quant au Likoud, il n’a plus rien à voir avec la droite traditionnelle, c’est désormais un parti d’extrême droite. Benyamin Netanyahou se situe à gauche de son parti, c’est dire ! Lui est un idéologue, il croit au Grand Israël, mais il est contraint de tenir compte des réalités internationales, il peine à concilier ces deux aspects mais, surtout, il veut survivre politiquement. Benyamin Netanyahou est en fait le visage civilisé du parti des colons. Il fera tout ce qui est en son pouvoir pour endormir l’opinion internationale. Jamais cet homme ne fera, de lui-même, le moindre pas vers la paix. Il en est incapable. À défaut de pouvoir le remplacer, il faut faire pression sur lui.
Les heurts récents autour de l’esplanade des Mosquées, à Jérusalem, ont mis en lumière l’influence d’extrémistes religieux guidés par une idéologie messianiste. Quel est leur poids politique ?
Elie Barnavi. Cette tendance s’est renforcée de façon continue depuis la guerre des Six-Jours. Mais le néo-sionisme messianique est en train de changer de nature. Il comptait beaucoup sur l’État et se concentrait, auparavant, sur la colonisation graduelle des territoires considérés comme appartenant à l’Israël biblique. Jérusalem tenait, elle, une place à part, pour des raisons religieuses. Le Mont du temple était interdit, justement à cause de sa sainteté. Puis il s’est dégagé au sein de ce mouvement, à partir des années 1990, une tendance apocalyptique, qui a pris de l’ampleur avec le désengagement de l’État, accusé de « trahison » pour avoir « lâché du territoire ». Ces messianistes se focalisent maintenant sur le mont du Temple, avec des rabbins du courant national-religieux prêt à faire de ce lieu le cœur même du nationalisme juif. A contrario, vous ne verrez jamais d’ultra-orthodoxes se rendre au mont du Temple, frappé à leurs yeux d’interdit religieux. Cette tendance néosioniste messianiste, apocalyptique était jadis marginale au sein de la droite religieuse. Ce n’est plus le cas. Elle devient centrale, et même elle attire de nombreux juifs séculiers de la droite nationaliste. Les libéraux, eux, affichent une indifférence complice, considérant que l’accès au Mont du Temple ne devrait pas être interdit à quiconque. Voilà comment ce lieu est devenu central dans l’expérience nationaliste du néosionisme religieux. Et ça, c’est de la dynamite à l’état pur.
http://www.humanite.fr/sans-etat-palestinien-lavenir-disrael-est-compromis-557738
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