Yagil Limore : La France, terre de sauvetage et de désobéissance civile

Limore Yagil, historienne franco-israélienne nous propose dans son dernier ouvrage en trois tomes : La France terre de refuge et de désobéissance civile 1936-1945 : l’étude du sauvetage des juifs, édition le Cerf, 2010-2011, une étude détaillée des différentes modalités du sauvetage des juifs en France.
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Alors que les trois-quarts des juifs des Pays-Bas ont été acheminés vers les centres d’extermination, les trois-quarts des Juifs de France ont été sauvés, 225 000 sur 300 000 environ. Comment l’expliquer ? Ce n’est pas la première fois que l’auteure avance des réponses pour expliquer ce paradoxe français. Elle l’a fait déjà en 2005 dans son ouvrage, qui le premier à cette époque, proposa une réflexion à l’échelle départementale des différentes initiatives de sauver les juifs en France, sans se limiter à une sociologie des Justes parmi les nations, ou à l’étude d’un département parmi d’autres. Il s’agit de son livre : Chrétiens et Juifs sous Vichy : sauvetage et désobéissance civile, Cerf, 2005, 750 pages.

LA VULGATE

PAXTONIENNE

L’auteure, historienne née à Haïfa, présente dans son dernier ouvrage composé de 3 tomes, un récit précis et passionnant, foisonnant d’informations, qui met en question la vulgate « paxtonienne » donnant une image manichéenne de la France de Vichy. L’étude propose de nombreux récits individuels, permettant de retenir l’attention sur de centaines de personnes anonymes pour la plupart, qui ont choisi d’aider des juifs. Ces initiatives ne sont pas limitées à un groupe social. On trouve des assistantes sociales, des médecins, des infirmières, des religieuses catholiques, des prêtres, des évêques ( plus de 45) des pasteurs, des scientifiques, des universitaires, des artistes, des hôteliers, des concierges, des gendarmes, des préfets et des sous-préfets, des policiers, des résistants etc. Toutes ces personnes un en commun une certaine capacité de pouvoir désobéir aux lois de Vichy et à celle des occupants allemands, pour secourir des juifs. Cette attitude ne fut pas banale dans les années 1940-1945 et seule une minorité a eu le courage de transgresser les lois pour secourir des juifs.
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L’auteure démontre clairement comment les personnes qui ont secouru des réfugiés avant 1940, en particulier dans les années 1930, ont continué de le faire en aidant les réfugiés juifs pendant les an-nées 1940-1944. Dans les mêmes localités où l’on a aidé les réfugiés russes, polonais, allemands, autrichiens, espagnols, et les réfugiés de l’exode en 1939, on a continué de le faire en faveur des réfugiés juifs qui ont cherché de l’aide et un lieu de refuge. La conduite de l’individu pendant les années 1940-1944, s’inscrit donc en totale continuité avec son attitude avant 1940. Dans certaines localités on peut même distinguer l’existence d’une mentalité d’accueil du réfugié. Ce que démontre l’auteure que l’accueil des enfants dans des familles d’accueil au début du XXe siècle, évolue vers la création de maisons d’enfants ou de colonies scolaires qui permettent pendant l’Occupation de recevoir des enfants juifs.
L’auteure rappel également le rôle considérable des assistantes sociales et des médecins qui à travers la France, ont fait tout ce qui était de leur possible pour secourir les juifs, pour les faire évacuer des camps d’internement clandestinement, pour cacher les enfants juifs dans les familles d’accueil. C’est souvent sous la tutelle d’une organisation sociale de Vichy comme le Secours national que ses activités clandestines s’effectuèrent.
La France a été une véritable terre de refuge pour de nombreux artistes et écrivains depuis le début des années 1920. Il est étonnant de constater que les artistes juifs ont bénéficié de l’aide des artistes et des directeurs de théâtres. Bon nombre d’entre eux réfugient en 1940 sur la Côte d’Azur, à Nice, à Cannes, à Marseille mais également à Avignon et à Castres où ils continuent de créer clandestine-ment. Le nombre des artistes juifs déportés est assez limité. Il s’agit d’un chapitre de l’histoire culturelle qui est souvent ignoré et que l’auteur développe dans un chapitre particulier.

PRÉFETS,

POLICIERS ET GENDARMES

On ne peut comprendre le succès du sauvetage des juifs ou son échec sans prendre en compte l’attitude des préfets, et celle des autorités allemandes. Le sauvetage des juifs dans les départements de la Haute-Loire, de la Creuse, de l’Isère, de la Savoie et de la Haute-Savoie, du Calvados, de la Sarthe, de l’Allier et ailleurs, et aussi le résultat de l’engagement des préfets dans des activités illégales et de désobéissance civile qui contribuent au sauvetage des juifs. Désobéir tout en restant au service de l’état, n’était pas une simple affaire. Sur simple dénonciation, on pouvait être arrêté, limogé de sa fonction publique et même être déporté, ce qui fut le cas d’une vingtaine de préfets en 1944.
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La désobéissance civile permet à certains policiers et gendarmes, de prévenir les juifs qu’ils doivent arrêter. C’est le cas des policiers à Nancy en 1942 ou de leurs collègues à la Préfecture de police de Paris. Dès le mois d’octobre 1940, comme l’ensemble des agents des administrations, les gendarmes prêtent serment de fidélité au chef de l’État : « Je jure fidélité à la personne du chef de l’État, pro-mettant de lui obéir en tout ce qu’il me commandera pour le bien du service et le succès des armes de la France ». Tout refus conduit à une révocation immédiate. Toutefois, prêter serment à Pétain ne signifie pas forcément l’allégeance au régime de Vichy. Si la plupart des personnels de la gendarme-rie exécutent effectivement les ordres reçus, quelques-uns déployant un zèle funeste, d’autres au contraire sabotent la politique des autorités de Vichy ou des occupants allemands. Parmi les gendarmes qui ont donc choisi de désobéir et de secourir des juifs, certains agissent de manière isolée dans leur brigade, se transformant parfois en passeurs. Des brigades entières gardent le silence sur la présence des familles juives dans leur circonscription pendant que d’autres unités sauvent des juifs dans les villages refuge.Les gendarmes sont surtout tiraillés entre les exigences des préfets et celles des Allemands, mais aussi affectés par d’incessantes luttes de compétence avec la police nationale et les polices spéciales crées par Vichy comme la police aux questions juives, le service de police anti-communiste ou encore les brigades spéciales..

L’ÉCOLE,

LA GRANDE OUBLIÉE

L’école publique a été la grande oubliée, de toute réflexion chez les historiens. Des établissements scolaires ouvrirent leurs portes aux enfants soucieux de poursuivre leurs études pas seulement en Haute-Loire ou dans le pays des Cévennes, mais à travers toute la France, en zone libre ou occupée. Leur nombre dépasse largement celui mentionné par Yad-Vashem et il faudrait effectuer une recherche plus approfondie. Même si des incursions allemandes dans le champ de l’Ecole (arrestations d’enseignants résistants ou d’élèves juifs isolés), le système scolaire a efficacement protégé l’enfance en général et les enfants juifs en particulier. Quand les enfants juifs devaient porter l’étoile jaune à partir de juin 1942 en zone occupée, le monde enseignant refusa presque unanimement d’enregistrer la marque comme signe de discrimination opératoire à l’intérieur de ses murs. Il convient aussi de se rappeler que l’étoile jaune ne fut jamais imposée en zone sud et que des enfants juifs pouvaient continuer d’aller à l’école publique jusqu’en 1944. Ce ne fut pas le cas dans d’autres pays européens à l’exemple de la Belgique ou des Pays-Bas. Par ailleurs, notons le nombre impressionnant de collèges libres à travers la France, qui ont permis aux enfants juifs d’être scolarisés et aux adultes d’enseigner ou de trouver un travail dans leur établissement. L’étude des universitaires et des scientifiques dé-montrent qu’en dépit de l’absence de toute manifestation public face à l’exclusion des étudiants juifs ou des professeurs et des chercheurs juifs, des individus ont pris des initiatives à titre privé.
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Yagil Limore explique ce qu’est la désobéissance civile

Les ouvrages du professeur Yagil ne sont pas des ouvrages de thèse, mais des ouvrages d’histoire fondées sur des sources d’archives, des témoignages et des ouvrages scientifiques, au même titre que les travaux de Jean-Pierre Azéma, Patrick Cabanel,Robert Mencherini, Asher Cohen, Raoul Hilberg etc.
Ses ouvrages ne sont pas concentrés sur l’attitude de l’Eglise catholique, mais sur l’histoire du sauvetage des Juifs à l’échelle régionale, sur les réfugiés Espagnols, Russes, Allemands, ¨Polonais, Autrichiens, qui ont trouvé refuge en France depuis les années 1930 et parmi eux des Juifs, sur les personnes qui les ont aidés dans les années 1930 et ensuite ont aidé les juifs pendant les années 1940-1944; sur les médecins, et assistantes sociales, sur les organisations d’entraide aux réfugiés et aux juifs, sur les artistes, les pasteurs, les universitaires, les scientifiques, les professeurs et enseignants, les villages refuge qui ne se limitent pas au Chambon sur Lignon ou les Cévennes, mais qui comprennent également la Vendée, la Sarthe, l’Isère, la Drôme, le Loir -et-Cher ou la Creuse.
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Ses ouvrages avancent un regard nouveau sur l’histoire du sauvetage des Juifs, car ils ne se limitent pas à l’étude des Justes parmi les nations. Ses ouvrages démontrent comment des individus ont eu le courage de désobéir aux lois de Vichy et à celles des autorités d’Occupation pour secourir des Juifs. Ces gens ne sont pas toujours des résistants. Car tous les résistants n’ont pas sauvé des juifs. Ils peuvent être aussi des pétainistes, des fonctionnaires qui ont fait le serment de fidélité à Pétain et qui ont pris la décision de désobéir à un certain moment pour secourir des Juifs. ces fonctionnaires peuvent être des préfets, des sous préfets, des maires, des sous secrétaires de mairies, des directeurs d’écoles, des enseignants, des doyens etc. Il n’y pas de Miliciens qui ont désobéi pour secourir des Juifs dans mes ouvrages, mais des Miliciens qui ont dénoncé ou collaboré avec les Allemands pour arrêter des Juifs.
En ce qui concerne les catholiques, il n’y pas des synthèses concernant tous les catholiques ou tous les prêtres ou tous les évêques. Mais pour la première fois il y a une étude détaillée de 45 diocèses où l’évêques, certains prêtres et religieuses catholiques ont secouru des Juifs de différentes manières: abri, refuge, faux papiers, passage de la ligne etc. Il y a seulement 6 évêques qui ont riposté publiquement en France contre les rafles de l’été 1942, mais néanmoins deux autres qui ont reçu la médaille des Justes – Mgr Piguet à Clermont Ferrand et Mgr Rémond à Nice, ils ont sauvé de nnombreux juifs dans leur diocèse. Ce qui prouve et ce que j’ai prouvé avec des documents à l’appui, que l’on pouvait rester silencieux et agir discrètement pour secourir des Juifs.
Pour comprendre toute cette histoire qui à l’origine n’est pas une critique de Paxton, mais qui au final met en doute certaines thèses de Paxton et avance d’autres. Après tout c’est comme cela que la recherche avance. Lorsqu’on critique une thèse, il faut bien avancer des preuves à l’appui pour une autre. Pour comprendre l’étendue des nouveautés avancées dans mes ouvrages, il faut d’abord les lire, et sans arrières pensées.
La notion de désobéissance civile n’est pas synonyme de résistance civile comme l’emploient certains historiens, et pour cela il faut commencer à lire le tome I de la trilogie, et ensuite continuer la lecture.
Yagil Limore
 
 

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