La bande de Gaza a connu ces dernières semaines une véritable tragédie. Livrée à une souffrance que nul ne conteste, la population civile a tenu le rôle d’une armée de cris et de larmes dont les images profuses et émouvantes ont parcouru le monde.
Vu des centaines de morts civils et innocents.
Pas vu un seul soldat pour les défendre.
C’est que les combattants du Hamas, aguerris mais invisibles, terrés dans les tunnels, les décombres et la poussière, se tenaient courageusement à l’abri derrière les femmes et les enfants, planqués dans les hôtels, les écoles et les hôpitaux. Au point d’ailleurs qu’on a fini par les oublier.
Pendant que, sur place, Tsahal menait une opération militaire pour sauver la vie de ses propres habitants, ailleurs (en France en particulier) les pro-palestiniens, militants outrés ou révolutionnaires en sandales (tous cinéphiles qui s’ignorent) criaient « Gaza mon amour » comme Alain Resnais et Marguerite Duras disaient autrefois « Hiroshima mon amour » (film de 1959).
Référence subtile à un nouveau type de bombe au même effet international et dévastateur, non pas atomique cette fois, mais médiatique : une guerre des images et des mots.
Cette guerre emprunte à la fois au mythe ancien de la ruse et au mythe moderne de la tromperie, bien connu sous le nom de ‘’cheval de Troie’’.
Dans la légende antique d’Homère et de Virgile, les compagnons d’Ulysse pénètrent dans la cité de Troie à l’intérieur d’un cheval géant offert en cadeau. Désignée par le mot mêtis en grec, la ruse devint dès lors une arme plus efficace qu’un long siège à l’issue incertaine. En informatique, le cheval de Troie est un programme malveillant qui altère et détourne les informations. Désigné par les mots malware ou maliciel, c’est l’arme préférée du hacker.
Israël est tombé dans le piège du cheval de Troie
version Gaza.
Malgré les efforts pour épargner les vies humaines, les tirs ciblés et les appels à évacuation des quartiers bombardés, l’Etat hébreu agressé est devenu le pays agresseur.
Les civils palestiniens, abandonnés aux premières lignes de front et transformés en boucliers humains, ont été des victimes sacrifiées à la gloire du Hamas. Ailleurs, dans le monde, on a fait semblant de ne rien voir. A Paris, on a crié « Gaza, mon amour. »
Dans le conflit israélo-palestinien, la victoire appartient toujours au camp qui maitrise le mieux l’art de la propagande qu’on appelle plus pudiquement aujourd’hui ‘techniques de communication’’.
Exemple.
« C’est Gaza en ce moment » disaient plus de 400 000 tweets en juillet dernier, accompagnés de nombreuses photos comme celles-ci :
En réalité, ces images proviennent de Syrie. Elles ont parcouru la toile pour illustrer la « folie meurtrière » des Israéliens pendant l’opération Bordure protrectrice (Libération 9 juillet 2014, l’Express 10 juillet). Les (dés)informations ainsi retweetées ont été reprises à la lettre sans précaution ni contrôle.
« L’effet recherché est atteint : susciter indignation et stupeur qui cristallisent tensions, rejets. Peu importent les démentis ou mises au point. L’impact émotionnel des images a pris le dessus. Le déclic ainsi créé, interdit toute remise en question critique » (Aude Marcovitch, Libération, 9 juillet).
Les auteurs de ces tweets mensongers ne sont pas des militants acharnés. Souvent jeunes et peu politisés, ils croient bien faire. Une jeune fille de 16 ans, raconte qu’elle ignorait que ces photos n’étaient pas de Gaza mais que, de toute façon, «lorsqu’une bombe explose c’est toujours plus ou moins à cela que ça ressemble» (BBC.com).
Pour ces jeunes gens inconséquents et naïfs, petits soldats serviles d’une manipulation dont ils n’ont même pas idée, tout est pareil, tout se vaut. Pas besoin de minauder en précisant l’origine de l’information qui court sur la toile plus vite que son ombre. Il n’y a rien à expliquer. Il suffit de regarder !
Autre exemple.
L’association France-Palestine solidarité (AFPS) s’est brillamment distinguée tout au long de l’été dernier par de véritables opérations de matraquage et de harcèlement à destination de tous les publics.
Rien n’a été laissé au hasard : occuper l’espace, faire du bruit, scander, défiler, prendre à témoin, susciter l’émotion et la colère, interpeller tous azimuts à coups de slogans ou de pression politique et morale, appeler à l’urgence humanitaire et au droit international, justifier et renforcer la campagne BDS. On a assisté à une authentique démonstration de force, farouchement revendicative et ultra visible.
Les efforts des antennes locales de l’AFPS ont surtout porté sur la nécessité d’éviter à tout prix les débats, la confrontation des arguments et les enquêtes, susceptibles d’équilibrer les points de vue. Le seul mot d’ordre était le suivant : condamner et faire condamner le « terrorisme d’Etat » d’Israël.
Une excellente stratégie de communipassion, habile et parfaitement menée, a permis de gagner la guerre de l’opinion.
Il s’agissait d’abord de combattre la position avantageuse d’Israël gratifié, par la presse et le pouvoir exécutif, d’un droit de légitime défense. Pour ce faire, on a vu s’organiser dès les premiers jours du conflit (entre le 9 et le 15 juillet) des attroupements devant les mairies et les préfectures, des cortèges en plein centres villes, des tractages devant les magasins et sur les marchés, des pétitions et des lettres adressées aux députés ou aux sénateurs.
Pas un seul jour sans rassemblement, à Belfort, Montauban, Nanterre, Chambéry, Reims (200 personnes), Saint-Denis, Bourg-en-Bresse, Valence (700 personnes). Pas une semaine sans manifestation d’ampleur, à Lyon (6000 participants), Gap, Angoulême, Annecy, Angers, Perpignan, Vannes, Pau, Lorient, Evry, Cherbourg, Grenoble, Mont de Marsan, Lille (3000 personnes), Saint-Brieuc, Tarbes.
Dans la deuxième quinzaine de juillet, parallèlement au nombre grandissant de victimes, l’AFPS a accentué l’offensive.
«Bombardements intensifs et aveugles, massacres en masse ! Israël assassin ! Sanctions immédiates contre cet État criminel, halte à la guerre contre le peuple palestinien ! » (Morlaix, 16 juillet). « Déluge de feu, au prétexte de tirs de roquettes » (Bordeaux, 16 juillet). « Arrêtez le massacre ! Arrêtez cette folie ! Arrêtons le blocus ! » (Marseille, 19 juillet). « Répression sanglante sur toute la Palestine, la Cisjordanie et Jérusalem » (Lyon 17 juillet, Clermont-Ferrand 18 juillet, Saint-Malo 22 juillet). « Boycott contre Israël ! » (Vannes, 16 juillet).
Le but recherché était atteint : la position légitime israélienne était devenue illégale et disproportionnée, les précautions pour épargner le plus de vies possible n’étaient que des tentatives illusoires, insuffisantes et inutiles.
Fin juillet, la délégitimation d’Israël était actée, la distribution habituelle des rôles enfin retrouvée. Il s’agissait d’en profiter désormais pour élargir les revendications alarmistes et la pression médiatique.
« Comme nous le redoutions, le pire est donc en chemin ! Nouvelle agression de l’État colonial israélien » (Rennes 18 juillet, Alès, Gap, 21 juillet). « Stop à la terreur d’Israël » (Besançon, 22 juillet). « Demande illégale de l’armée israélienne d’évacuer l’hôpital de rééducation al-Wafaa dans le quartier as-Shuja’iyeh » (Roubaix 18 juillet, Agen 21 juillet). « Non au génocide ! Un vrai nettoyage ethnique ! Une nouvelle journée meurtrière » (Perpignan, 22 juillet). « Urgence Gaza, halte au massacre » (Lorient, 22 juillet). « Assez de violence et de haine ! » (Montauban, 23 juillet). « Nous n’en finissons pas de décompter les morts, de voir des photos qui tirent les larmes » (Lyon, 25 juillet). « A Limoges, nous poursuivons notre mobilisation tous les mercredis et samedis : centaines de morts, milliers de blessés, destructions énormes, en Cisjordanie les soldats israéliens tirent sur les manifestants » (Limoges, Carhaix, 25 juillet). « C’est aussi l’impunité qui tue à Gaza » (Paris, 25 juillet). « Ensemble gagnons la bataille de l’opinion » (Nice, 25 juillet). « Sanctions contre Israël tant qu’il ne respecte pas le droit international ! » (Le Mans, 25 juillet). « Un marché bombardé (…) Des scènes insoutenables » (Pau, 2 août).
Dès lors, cérémonies spectaculaires et mises en scène symboliques ou scabreuses, se sont succédées : sit-in et veillées (Nîmes, 30 juillet), cercles de silence (Vannes, 30 juillet), caravanes « anticoloniales » (Perpignan, 31 juillet), simulation de massacre d’enfants visés par un homme en treillis militaire avec une kalachnikov en plastique (Paris, 10 août).
Rarement, on est allé aussi loin dans le chantage affectif des images et la surenchère des formules toutes faites. Rarement les médias, en connaissance de cause, ont participé à ce point à un tel étalage. Avaient-ils vraiment le choix ?
Tentés d’abord par une vision critique et objective mais accusés très vite d’asymétrie et de ‘’traitrise’’, les journalistes sont vite revenus dans le droit chemin d’un dogme narratif systématiquement anti-israélien : comparer les morts et les ruines d’un côté avec les dégâts humains et matériels limités de l’autre ; opposer les civils innocents aux soldats bien entrainés. Victimiser à outrance, culpabiliser sans état d’âme.
Un tel traitement complaisant de l’information a progressivement négligé de rendre compte des enjeux stratégiques du conflit pour accentuer les reportages in situ, rarement décryptés et analysés.
Comment résister à ce syllogisme
d’une rigueur toute aristotélicienne ?
Le journaliste est toujours professionnel.
Son travail est toujours de dénoncer Israël.
Donc, le journaliste fait toujours son travail.
Izzy Lemberg, ancien producteur de CNN à Jérusalem, journaliste chevronné et lauréat de prix prestigieux, s’est dit inquiet pour sa profession (« le journalisme est-il mort ? », Times of Israël, 8 août 2014).
Les confrères, écrit-il, relaient le récit palestinien en toute partialité, sans grande observation réelle du terrain qu’ils ignorent. Laisser croire que les Israéliens pratiquent la tuerie de masse est un non-sens journalistique qui tue le métier au lieu de l’anoblir.
« Les chiffres des victimes est gonflé ou repris tels quels de source non vérifiée. » Le nombre de morts dans les rangs du Hamas a été volontairement fondu dans celui des morts civils. On a trop souvent vu à la télévision les cadavres de ces jeunes combattants sans uniforme, exposés en pleine rue à côté de corps d’enfants et de femmes. Comme s’il n’y avait aucune différence. Ce qui semblait improbable au simple spectateur ne choquait pas les journalistes qui prenaient les images pour argent comptant.
« L’opération Bordure protectrice n’a pas seulement ébranlé le monde et pris tragiquement de nombreuses vies, conclut avec amertume Lemberg, mais je crains qu’il y ait une autre victime aussi : l’intégrité du journalisme. »
Si les médias et les militants pro-palestiniens avaient vraiment voulu aider les Gazaouis, ils auraient reconnu et expliqué comment une dictature islamique soumet au quotidien cette population à une asphyxie bien plus grave que le blocus israélien. Car l’islamisation de la bande de Gaza ne fait aucun doute (Le Monde, 30 janvier 2009). Certains observateurs parlent même d’une « talibanisation » (Jonathan Schanzer, Hudson Institute, août 2009).
En l’absence de cinémas ou de bibliothèques, Gaza se meurt d’une « famine culturelle » (Sahar El-Mougy, université du Caire, mai 2012). La volonté politique du Hamas fait « obstacle à la vie » (« Arab writers return from Gaza », Ahramonline, Mohammed Saad, 13 Mai 2012).
Un rapport d’Amnesty International parle de sévères interdictions et censures, d’assassinats politiques et de détentions arbitraires, d’enlèvements, d’actes de torture et de mauvais traitements, de non-respect des droits de l’homme et des libertés individuelles. Des « comités de mœurs » ou de « prévention du vice » ont réduit considérablement les droits des femmes. La mixité dans les établissements scolaires est désormais interdite depuis l’an dernier (Euronews, 2 avril 2013).
http://www.amnesty.org/en/library/asset/MDE21/020/2007/en/6609e419-d363-11dd-a329-2f46302a8cc6/mde210202007en.html
Dernièrement, des Gazaouis soupçonnés d’être des col¬la¬bo¬ra¬teurs avec Israël ou le Fatah ont été arrêtés et froidement exécutés, parfois à leur domicile, sous les yeux de leur famille. D’autres sont portés disparus (Le Monde, 23 août 2014).
Les deux rescapés originaires de Gaza qui ont survécu au naufrage d’un bateau de réfugiés, le 14 septembre dernier au large des côtes siciliennes, souhaitaient gagner l’Europe depuis le Caire avec cinq cents autres personnes dont la plupart ont péri. Ils fuyaient le Hamas et sa dictature. Pas le méchant colon israélien.
La situation de récession économique à Gaza ne date pas d’hier. Le chômage est de 45% (63% chez les jeunes, source FMI). Avec une chute prévisible de 20% du PIB cette année, « il y a deux fois plus de pauvres qu’en Cisjordanie » note un rapport de la Banque mondiale en préparation du forum des donateurs prévu à New York.
Dans une surabondance d’intox, de trucages et de rumeurs, on a pu voir ces dernières semaines les effets dévastateurs d’un cercle vicieux frénétique. On a même parlé de « trafic d’images » comme on parle de trafic d’organes (BBC trending, Neil Meads, 8 juillet).
Alors que les Juifs de France, responsables et dignes, gardent leur calme et remettent leur sort dans les mains de la République, les pro-palestiniens sont passés maîtres dans l’art et la manière d’hystériser les foules, d’appeler à la vengeance et au combat sans merci pour une « paix juste et durable. »
Difficile de cautionner un tel cynisme. Quand on entretient la révolte et l’incompréhension, on joue au docteur fou qui aggrave le mal au lieu de le guérir.
Il faut en finir avec cette impasse.
Jean-Paul Fhima
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