Le président de l’association France-Israël refuse de voir un antisémite derrière chaque antisioniste. Mais il s’étonne de l’aveuglement de ses compatriotes face aux responsabilités de l’irrédentisme palestinien dans l’enlisement du processus de paix. De l’extrême gauche aux islamistes, trop de pro-palestiniens absolvent la folie meurtrière du Hamas pour mieux diaboliser l’État juif.
Causeur : Jusqu’au sommet de l’État, nos politiques déplorent l’importation du conflit israélo-palestinien en France. Mais, après tout, de même qu’une majorité de juifs français semble soutenir Israël, est-il anormal que les immigrés arabo-musulmans se sentent solidaires des Palestiniens de Gaza ?
Gilles-William Goldnadel : Non, ça ne me paraît pas inouï. En tant que défenseur de l’identité, je ne dénie à personne le droit d’avoir sa part de tribalité sur le conflit israélo-palestinien. Là où le bât blesse, c’est lorsqu’on fait parler le cocktail Molotov et qu’on glisse du conflit israélo-arabe à l’antisémitisme pur et simple.
De manière un peu controuvée, François Hollande a d’ailleurs parlé d’« importation du conflit » après les violences. Or, celles-ci émanaient essentiellement du camp arabo-islamique.
Beaucoup de jeunes manifestantes de Barbès et de République arboraient des keffiehs palestiniens plutôt qu’un voile. Les islamistes n’ont apparemment pas la mainmise sur ce mouvement.
Dans ce bouillon de culture, ou plutôt d’inculture, on voit de tout : des voyous, des barbus islamistes, des femmes voilées, des Beurs acculturés ainsi que des « Français de souche » biberonnés à un antiracisme sélectif. Au milieu de ce magma en fusion, émerge une sorte d’islamo-gauchisme : l’antisionisme radical d’une part non négligeable de la communauté musulmane se fait cornaquer par les gauchistes qui tiennent le pavé à Paris.
En réalité, les gauchistes sont désormais les idiots utiles des islamistes. Comme lors du procès Garaudy, lorsque je croisais le fer avec Vergès, se constitue une alliance rouge-vert-brun où l’extrême droite la plus obsessionnellement antisémite se joint à la gauche extrême. Il peut sembler paradoxal que les plus nationalistes donnent la main aux internationalistes, mais l’antisémitisme réconcilie tous ces gens.
On croirait entendre Manuel Valls !
Ces derniers mois, Valls aura dit des choses que Sarkozy n’a jamais osé dire. Il a osé critiquer les Verts qui se sont rendus dans des manifestations pavoisées des drapeaux d’organisations terroristes comme le Hamas, le Hezbollah ou même le califat islamique, et où certains criaient « Mort aux juifs ! ». Reste à la gauche modérée à en tirer enfin les conclusions en renonçant à faire alliance avec ces gens-là, sauf à trahir les rares principes qui lui restent, d’autant plus qu’elle continue à vouloir faire la leçon à la droite pour son alliance imaginaire avec une Marine Le Pen autrement plus calme sur la question que l’extrême gauche.
Si, à la gauche de la gauche, l’antisionisme est un dogme indiscuté, tous les anti-Israéliens virulents ne basculent pas dans l’antisémitisme. À trop traquer le paravent antisioniste du nouvel antisémitisme, ne diabolisez-vous pas toute critique d’Israël ?
On peut évidemment être anti-israélien sans être antisémite. On peut être stupide, ignorant, iconoclaste, provocateur, salaud… L’antisémitisme n’est pas le seul et unique paramètre de l’abjection humaine. On peut être aussi anti-israélien et antisémite, et ça même peut aider. Vous ne trouverez pas sous ma plume une ligne où je traite quelqu’un d’antisémite sous le prétexte qu’il a critiqué Israël; cela ne me viendrait même pas à l’idée ! Du reste, Israël est le pays le plus critiqué au monde, y compris chez certains juifs, qui posent en s’opposant.
À l’instar des nouveaux judéophobes, certains soutiens inconditionnels d’Israël n’en amalgament pas moins judaïsme et sionisme. Lorsqu’il organise des manifestations et des galas de soutien à l’État hébreu, le CRIF ne sort-il pas de son rôle ?
La défense de l’existence de l’État d’Israël est inscrite dans les statuts du CRIF. Je vous mentirais en vous disant que cela me choque. Que cela plaise ou non, Israël, c’est l’État juif. Comme l’a fait remarquer Alain Finkielkraut, qui n’a jamais ménagé les gouvernements israéliens, il faudrait renier Israël pour trouver grâce aux yeux des contempteurs de l’État juif. Or, par une sorte de ruse de l’Histoire, le principal ciment aujourd’hui entre les juifs, ce qui les fait vibrer pour Israël, accomplir leur alya et renforcer le sionisme, c’est la critique et le dénigrement obsessionnel d’Israël ! Je prétends que ce qui fait partir nombre de juifs de France, c’est moins la peur de la violence islamiste que la capitulation en rase campagne des prétendues élites qui n’arrivent pas à détester totalement ceux qui détestent Israël.
De même que son soutien inconditionnel à Israël, l’institutionnalisation du dîner du CRIF, auquel sont conviés ministres et chefs de l’opposition, peut accréditer le fantasme d’un lobby juif tout-puissant…
Je ne suis pas allé au dernier dîner du CRIF, parce que je me reconnais de moins en moins dans son action. De la même manière, je déteste les mondanités autour de la Shoah, que je considère comme indécentes et contre-productives. Cela dit, alors que les politiques font également la cour à la communauté musulmane, ce n’est que lorsqu’il s’agit des juifs et d’Israël que l’esprit critique se manifeste.
Que répondez-vous à ceux qui s’inquiètent d’une possible défrancisation des juifs de France, de plus en plus identifiés à l’État d’Israël ?
Je crois qu’on ne peut pas séparer l’histoire récente de la communauté juive française du destin d’Israël. Avant la guerre des Six-Jours, ce n’était pas très gratifiant d’être « israélite ». Les juifs étaient perçus faussement comme un peuple un peu veule, ils n’assumaient pas toujours leur identité. À partir de 1967, on est passé d’un excès à l’autre, lorsqu’Israël a vaincu toutes les armées arabes coalisées. La communauté juive a recouvré sa fierté. Les prouesses scientifiques, industrielles, culturelles ont fait le reste. C’est quelque chose d’impalpable. De l’ordre de la dette. Cette franchise n’empêche pas la francité. Je ne connais pas beaucoup d’autres communautés aussi anciennes, aussi loyales et aussi intégrées.
Cette fierté retrouvée se mue parfois en susceptibilité à fleur de peau. Après la guerre des Six-Jours, lorsque De Gaulle avait critiqué Israël en évoquant un « peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur », le CRIF de l’époque ne s’en était pas ému outre mesure. Imaginez le tollé que de tels propos provoqueraient aujourd’hui !
Non, je vous assure que le CRIF et d’autres organisations s’étaient alors indignées contre le parti pris pro-arabe du général De Gaulle, et encore davantage après que celui-ci eut parlé d’un « peuple sûr de lui-même et dominateur ». À l’époque, les États, à commencer par la France, étaient anti-israéliens par realpolitik, notamment afin de ne pas s’aliéner le pouvoir pétrolier arabe, mais les médias protestaient contre ce mercantilisme.
Les choses se sont aujourd’hui inversées: après l’agression du Hamas, les gouvernements occidentaux, inquiets de la montée de l’islamisme, ont affiché des positions plutôt convenables à l’égard d’Israël, tandis que la majorité des médias, influencés par une idéologie sommairement gauchisante, ont au contraire diabolisé l’État hébreu. Prenons un exemple: j’ai lu cet après-midi un merveilleux article d’un intellectuel arabe qui disait tout le mal qu’il pense du Hamas. Ce type-là, rare critique dans son propre camp, n’a aucune chance d’être interviewé par Le Monde, alors que tous les professeurs d’université israéliens qui critiquent leur gouvernement, comme Gideon Levy, de Haaretz, ou Zeev Sternhell, y ont table ouverte. Un peu comme si on ne demandait leur avis sur la politique étrangère de la France qu’à Besancenot et Duflot.
Là où vous dénoncez un acharnement anti-israélien, les opposants à l’offensive de Tsahal dans la bande de Gaza parlent de « carnage », ou à tout le moins de « disproportion » dans la riposte. Il y a bel et bien un rapport de un à dix dans le nombre de morts…
Nous vivons un drame, et la guerre asymétrique est un drame disproportionné. Mais il y a encore plus dramatique que la guerre, c’est l’abandon. Les pacifistes sont les premiers fossoyeurs des grands cimetières sous la lune. Je pense à cet abruti de Bertrand Russell qui, en 1937, prônait le désarmement unilatéral de la Grande-Bretagne contre Hitler, et disait: « Si jamais les nazis envahissent l’Angleterre, il ne faudra même pas se défendre, et lorsque les soldats allemands verront la grandeur de la civilisation britannique, ils mettront l’arme au pied. » Aujourd’hui, une cohorte de Bertrand Russell induit en erreur une jeunesse européenne qui n’a pas conscience de ce que peut être une guerre cruelle en face d’islamistes. Si je n’étais pas juif, il me plaît à penser que je prendrais parti pour un État démocratique agressé par une organisation terroriste, islamiste et antisémite, qui cherche à tuer les enfants des autres et à faire tuer les siens.
Il se dit que l’Autorité palestinienne tente de faire pression sur le Hamas pour lui faire reconnaître Israël. Ne risque-t-on pas de regretter le Hamas dans quelques années, sachant que des groupes salafistes incontrôlés essaiment dans les territoires occupés ?
Cela fait vingt ans que l’on essaye de me vendre le mythe d’un Hamas reconnaissant Israël. Je ne vois pas comment on pourrait changer les vues de ses responsables, qui ont beaucoup plus d’opiniâtreté idéologique, intellectuelle et religieuse que vous et moi. Le Hamas considère que pas un pouce de la terre musulmane, arabe et palestinienne ne peut être cédé. Ses membres pensent que les sionistes sont les voleurs de la terre arabe et musulmane, qu’il s’agisse d’Hébron, de Jaffa, ou de Haïfa. Le Hamas, lorsqu’il tue des Israéliens, laisse parfois des messages de ce style: « Nous avons goûté la chair des juifs et nous l’avons trouvée bonne. » Certains djihadistes sont peut-être plus gourmands, mais, pour la peau des Israéliens, cela ne fait guère de différence.
Ce choix entre la peste et le choléra islamistes découle aussi de l’affaiblissement de l’Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas. En marginalisant les nationalistes palestiniens laïcs, notamment lors du désengagement unilatéral de Gaza en 2005, Israël n’a-t-il pas favorisé le Hamas ?
Sharon a décidé de quitter la bande de Gaza unilatéralement, parce qu’il n’arrivait pas à un compromis avec l’Autorité palestinienne. En 2005, après avoir évalué le rapport de force politique et militaire de l’époque, il a fait le pari que les Palestiniens utiliseraient Gaza comme base pour édifier un État défiant Israël sur les terrains économique, scientifique, culturel – pas militaire. Or, en 2007, le Hamas a pris Gaza par la force et a commencé à lancer des bordées de roquettes sur Israël. Le drame, c’est que le peuple arabe de Palestine est dans la surenchère permanente. Lorsque vous lisez les commentaires antisémites au sein du Fatah, vous avez du mal à faire la différence avec le Hamas ! Si nous avions le choix entre un Hamas extrémiste et une Autorité palestinienne vraiment disposée à des compromis, ce serait merveilleux, mais nous en sommes très loin.
D’éminents diplomates expliquent que le processus de paix s’est enlisé à cause de la poursuite de la colonisation israélienne…
Ce qui explique l’impasse des négociations, bien plus que le problème des implantations, c’est avant tout le refus arabe, toujours aussi constant, d’accepter une entité nationale non arabe et non musulmane sur ne serait-ce qu’une partie de la terre sacrée. Voilà pourquoi, plus de six décennies après le vote de partage de la Palestine entre deux États, arabe et juif, les premiers sont toujours autant arc-boutés sur leur refus de reconnaître Israël en tant qu’État du peuple juif. N’allez surtout pas croire que je ne reconnaisse pas la spécificité du peuple arabe de Palestine: je suis disposé à un compromis territorial, même douloureux, pourvu qu’il garantisse une paix définitive. C’est pourquoi j’avais applaudi aux accords d’Oslo. Mais je n’ai aucune estime pour les formes irrédentistes et mortifères que prend depuis toujours le nationalisme palestinien. J’ajoute que si je suis favorable à un compromis territorial définitif, je suis intransigeant sur la réciprocité, qui doit avoir valeur de test. Il faudra m’expliquer au nom de quoi on exige des Israéliens la reconnaissance du droit du peuple arabe de Palestine à un État indépendant et pourquoi l’inverse n’est pas exigé avec autant de fermeté lorsqu’il s’agit du peuple juif.
Il faut être deux pour faire la paix. Et rien n’indique que la frange la plus droitière du gouvernement israélien y soit disposée. Netanyahou ne craint-il pas de déclencher une guerre civile en acceptant des concessions territoriales ?
Alors qu’il n’a aucune confiance dans ses actuels interlocuteurs, Netanyahou n’est en effet pas pressé d’engager une partie difficile contre les habitants des territoires, sur la base d’un accord boîteux. Cela étant, 90% du peuple israélien serait d’accord pour un sacrifice historique et douloureux, en contrepartie d’une paix et d’une sécurité définitives.
Certains semblent penser que Jérusalem a les cartes en main et qu’il suffirait de faire un effort pour arriver à la paix. Mais Shimon Peres, Ehoud Barak et Ehoud Olmert ont fait des efforts considérables sans rien obtenir en échange sinon la terreur. Vingt ans après Oslo, nous sommes encore dans la même situation. Et celle-ci est invraisemblablement plus complexe qu’on voudrait le faire croire en France. De mon point de vue, il n’y aura pas de paix tant que les Palestiniens plébisciteront ceux qui portent le plus de coups à Israël. Dès 1962, le président tunisien Habib Bourguiba l’avait remarqué: « Les dirigeants arabes enflamment les foules avec leurs slogans belliqueux, et ensuite ils s’étonnent de ne pouvoir éteindre l’incendie. »
Propos recueillis par Daoud Boughezala
Gilles-William Goldnadel est avocat et essayiste. Il préside les associations Avocats sans frontières et France-Israël.
Dernier ouvrage publié : Le vieil homme m’indigne !(Jean-Claude Gawsewitch, 2012).
http://blognadel.over-blog.com/m/article-124508485.html
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