Yoav zozotte, n’est encore que rondeurs et pourtant, il dit déjà de la poésie que recueille précieusement Nira, sa maîtresse d’école. Mais qu’en faire dans une société « hypermatérialiste et vulgaire »?, interroge le réalisateur israélien Nadav Lapid dans « l’Institutrice » en salles mercredi.
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Rien n’est vraiment beau dans le monde de Yoav, 5 ans, élevé par son père après le départ de la mère, et celui de Nira, quadragénaire, qui vit dans un appartement sans charme avec un mari et deux grands enfants, aimés mais qui semblent à peine réels.
C’est à l’école, îlot d’arbres et de sable au milieu des immeubles, que l’institutrice entend l’enfant créer « Hagar », qui « est assez belle. Assez pour moi. Assez pour moi. Une pluie d’or tombe sur sa maison. Véritable soleil de Dieu ».
Il s’agit de la touche autobiographique du film. Ce texte est l’un des quelque 100 poèmes qu’a « écrits » (en fait dictés à sa nounou) le réalisateur entre 4 ans et demi et 7 ans, dont l’impressionnant « Une séparation » cité à la fin du film.
Or, comme s’inquiète Nira (Sarit Larry), « être poète dans notre monde, c’est s’opposer à la nature du monde ».
Et la nature du monde tente de creuser son sillon dans les mots de Yoav (Avi Shnaidman).
Dans l’une des scènes les plus fortes du film, présenté à la Semaine de la critique lors du dernier festival de Cannes, le petit garçon se met à hurler de toutes ses forces des insultes de stade de foot: « L’équipe de Maccabi est nazie. (…) Pourvu que vous creviez! Que vous brûliez vivants!… ».
PAYS JEUNE,
SANS TRADITIONS
L’institutrice veut à tout prix protéger la parole poétique de l’enfant – incroyablement mûre sur l’amour, la violence ou la rupture – mais jusqu’où? Le film est l’histoire de cette résistance dans laquelle l’institutrice se lance, non sans ambiguïtés.
« Il n’y a pas moyen de gagner contre +l’air du temps+ », avertit le réalisateur – qui avait emporté le grand prix du jury au festival de Locarno avec « Le policier » en 2011. « +L’air du temps+ est celui que nous respirons tous… », écrit-il dans le dossier de presse.
Et Israël est un décor parfait pour cette tragédie moderne. La société israélienne est devenue « hypermatérialiste et vulgaire », constate Nadav Lapid.
Dans ce « pays jeune, sans tradition, cette transformation est très rapide, plus brutale, et peut-être plus visible qu’ailleurs ».
L’aventure, qui prend des allures de cavale, s’achève dans un grand hôtel de la cité balnéaire d’Eilat sur la mer Rouge, au bord d’une piscine « laide » où les corps se prélassent sur une musique hurlante. Une certaine idée du bonheur.
Et le film se clôt sur l’enfant — probablement le seul de cet âge à pouvoir citer le grand poète national Bialik — silencieux. Pour toujours?
Claire SNEGAROFF
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