Les réseaux sociaux regorgent d’échanges d’impolitesses, d’invectives, d’injures, de pages d’histoire entièrement réécrites, d’arguments inventés, de preuves fabriquées pour la circonstance. Au centre de ces réactions souvent virulentes, le conflit entre Israël et la Bande de Gaza qui n’en finit pas de durer. Partout en Europe, des manifestations aux relents antisémites se sont peu à peu propagées. Pourquoi ? En quoi les Juifs de France ont-ils jamais mérité d’entendre hurler dans les rues de Paris « mort aux Juifs » ? Voici un point de vue éclairant emprunté au Blog d’un journaliste suisse, protestant, et donc non-juif, Jean-Noël Cuénod :
« Les manifestations qui se sont déroulées récemment en France, pacifiquement ou non, ne sauraient faire oublier le déferlement de haine antisémite qui a éclaté dans le quartier Barbès et à Sarcelles. Les images diffusées sur les réseaux sociaux d’enfants tués par les bombes israéliennes seraient la cause de cette explosion, répète-t-on. Mais alors pourquoi les mêmes manifestants n’ont-ils pas pris d’assaut les pavés lorsque Mohamed Merah a froidement tué, dans un pays en paix, des enfants de trois, six et huit ans, uniquement parce qu’ils étaient juifs? Merah a commis ce que les SS avaient perpétré jadis, pas moins. Et si les balles de la police n’avaient pas arrêté le cours de sa vie prédatrice, il aurait encore cherché à liquider d’autres petits «coupables» de judéité. Difficile de trouver plus monstrueux.
Pour qualifier ce phénomène, les médias parlent souvent de «nouvel antisémitisme». Il serait né à l’extrême-gauche dans la mouvance des comités propalestiniens et viserait Israël en tant qu’ «agent de l’impérialisme américain». Dans les manifs, ils trouveraient des appuis auprès des jeunes musulmans venus des quartiers défavorisés de Paris (Barbès, La Goutte d’Or) ou des banlieues. Cette mouvance récuse tout antisémitisme pour se qualifier d’ «antisioniste». Elle combat donc le sionisme mais non pas les Juifs et cite parfois en exemple certaines écoles orthodoxes du judaïsme qui s’opposent à la création de l’Etat d’Israël avant l’arrivée du Messie. Toutefois, s’attaquer au sionisme – au-delà des arguments théologiques pour ou contre la création de l’Etat d’Israël – c’est refuser au peuple juif de développer un mouvement national. La nation est sans doute source de bien des maux, mais enfin, elle demeure tout de même un moment décisif dans l’Histoire de l’Humanité ! Aujourd’hui, personne ne cherche à contester la légitimité des mouvements d’émancipation nationale en Algérie, au Maroc, en Indonésie ou ailleurs. Pourquoi donc s’attaquer au mouvement national d’émancipation des Juifs? Parce qu’ils ont pris la terre des Arabes?
Cette terre est certes arabe, mais elle est aussi juive. C’est bien là tout le problème. Et c’est la partie arabe qui a refusé le partage de la Palestine de 1947, alors que la partie juive l’avait acceptée, même si cette répartition ne lui était pas particulièrement favorable (voir la carte ci-dessous). Cet argument tombe donc à l’eau. Tout mouvement national cherche à s’établir, souvent par la force, avec son cortège de violences et d’injustices. Il en va ainsi pour tous les peuples et toutes les nations. Même en Suisse, la conquête de nos frontières actuelles ne s’est pas toujours faite dans l’harmonie et la concorde.
Reposons la question: pourquoi s’opposer au mouvement national juif et non pas aux autres mouvements de même nature? Parce qu’il est soutenu par la puissance américaine? Bien des mouvements d’émancipation nationale ont aussi reçu le soutien d’autres puissances impériales, celle de l’Union soviétique par exemple. Cherche-t-on pour autant à contester leur légitimité? Nullement. Alors, pourquoi se focaliser sur le mouvement national illustré par le sionisme, sinon parce qu’il représente un groupe humain que l’on rejette, à savoir les Juifs?
De l’antisionisme à l’antisémitisme, il n’y pas un fossé, tout juste un ruisselet à sec.
Cet antisémitisme né à l’extrême-gauche n’a rien d’un phénomène nouveau. Au XIXe siècle, plusieurs penseurs de gauche l’ont développé tels Auguste Chirac et, dans une moindre mesure, Proudhon, le Juif étant assimilé au capitalisme. Hitler a également usé de cette figure de propagande. Ce faisant, l’antisémitisme d’extrême-gauche rend bien service à la stratégie de l’extrême-droite qui a toujours utilisé le faux mythe du juif capitaliste pour diviser la gauche.
Les erreurs d’hier se répètent aujourd’hui. L’outre de l’antisémitisme est enduite d’un vernis plus actuel. Mais c’est le même vinaigre empoisonné qui clapote à l’intérieur ».
Jean-Noël Cuénod
http://jncuenod.blog.tdg.ch/
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