La manifestation pro-Gaza s’est bien passée. À peine le cortège parvenu aux Invalides, Clémentine Autain, du Front de gauche, a tenté de donner les éléments de langage qui donnent le La à l’obligatoire kyrielle des réactions :
Et ce couplet a été repris en chœur par bien des organisateurs de la manifestation.
La vision de Clémentine Autain est partielle et falsifiée
Pas de heurts, pas de violence, que de la dignité, que de la détermination, et tout cela au service de la paix.
Clémentine Autain et ses camarades, dans les heures qui ont suivi la fin de cette démonstration, ont mis à profit le soulagement général engendré par l’absence de violences pour tenter d’imposer une seule et unique vision de ce rassemblement.
Or, cette vision est tout à la fois partielle et falsifiée.
Les organisateurs, efficaces dans la forme, n’échapperont pas à leur examen de conscience quant au fond. Car leur rassemblement, pour pacifique qu’il fut, n’a pas été en tous points aussi digne que le prétend Clémentine Autain.
Si, pour autant qu’on puisse le percevoir, la majorité du cortège était composé de gens sincères, défilant dans la dignité, il n’en demeure pas moins que ce dernier était bien plus composite qu’il n’y paraît. À l’évidence, certains étaient venus manifester pour Gaza, mais aussi et surtout contre Israël, et à travers Israël, contre les juifs.
Drapeau, quenelles et ananas
Il y a eu trop de petites démonstrations dérangeantes et nauséeuses pour qu’elles ne soient pas mentionnées au lendemain de cette manifestation.
Ces démonstrations ont eu lieu, et quand bien même elles ne sont l’œuvre que de quelques dizaines ou centaines d’individus, elles doivent être questionnées, discutées et interrogées.
Il y avait un drapeau du Hezbollah. Et d’autres drapeaux, loin d’être des symboles de paix et de tolérance.
Il y avait un panneau orné d’une caricature antisémite, fruit d’un dessinateur connu et reconnu pour cela.
Il y avait un autre panneau, portant un dessin faisant référence à la Shoah de manière immonde.
Il y avait un drapeau israélien, qui a été brûlé près des Invalides.
Il y avait des quenelles et des ananas à la Dieudonné.
Il y avait des manifestants Juifs à qui certains ont lancé des ananas à la Dieudonné.
Des actes minoritaires mais bien présents
On sait d’avance ce que répondront ceux que ces manifestations dérangent en ce qu’elles nuisent au message de Clémentine Autain quant à la dignité de la manifestation : “C’est une minorité d’agités, comme il y en dans toutes les manifs”.
Et ils souligneront, ce qui est confirmé par les journalistes ayant tweeté tout au long du déroulement de la manifestation, que tout a été fait pour éviter que ce genre de débordements persistent. Certes. Dont acte.
Ce sont des agités minoritaires, c’est vrai.
Ce ne sont pas les plus emblématiques représentants de cette manifestation, c’est vrai.
Tout a été fait pour les empêcher de nuire, autant qu’il était possible, c’est vrai.
N’empêche qu’ils étaient là. Ils étaient venus parce qu’ils pensaient y trouver leur compte.
Il ne faut pas cacher ces comportements antisémites
Ce n’est pas tant leur nombre qui importe, c’est leur présence elle-même. Et cette présence, rapportée à leur comportement politique, n’est pas neutre. Ces gens-là n’étaient pas là par hasard. Le nier serait mentir. Le minimiser serait travestir la réalité.
Il ne faut pas cacher ces comportements empreints d’antisémitisme parce qu’on ne saurait les voir dans une manifestation pro-Gaza, parce qu’ils font tache, parce qu’ils nuisent au message initial…
Il n’est donc pas interdit de se poser la question : Pourquoi une manifestation pour la paix à Gaza attire-t-elle aussitôt des individus susceptibles de produire des slogans et des actes parfaitement identifiables quant à leur sens et leur portée politique, et qui ont peu à voir avec l’objet même de la manif, à savoir la demande de paix et la fin des brutales opérations militaires israéliennes ?
Allons plus loin encore dans le questionnement : si, dans une manifestation extrêmement encadrée, tant par les forces de l’ordre que les organisateurs, quelques centaines d’individus affichent une idéologie parfaitement identifiable, à visage découvert, sans gêne ni retenue, n’est-ce pas malgré tout un problème grave ?
De tels panneaux, de telles affiches, de tels comportements auraient-ils été possibles, tolérés comme ils le sont aujourd’hui il y a seulement dix ans encore ?
Ceux qui sont de bonne foi, ne sont pas aveuglés par un militantisme hémiplégique, savent les réponses à ces questions.
Un prétexte offert à certains pour mieux haïr l’autre
Dès lors, l’alternative est simple.
On peut considérer que la présence de ces individus, et de leurs sinistres provocations à caractère antisémite, était finalement dérisoire au regard de la majorité des manifestants qui proclament n’avoir rien à voir ni à faire avec ces gens-là.
On peut aussi considérer que, même minoritaire, cette présence-là était déjà de trop, en ce qu’elle est inquiétante et menaçante, perverse et nauséabonde, et qu’elle n’augure rien de bon dans un pays en proie à bien des tensions identitaristes (ce qui vaut pour les minoritaires provocateurs de la manifestation autant que pour les minoritaires provocateurs autoproclamés défenseurs de la cause juive).
Le conflit israélo-palestinien est en passe de devenir, parmi d’autres, l’un des vecteurs des actuelles passions françaises. Il est un prétexte offert à certains pour mieux haïr l’autre.
Ce n’est pas l’importation du conflit qui est à redouter, c’est sa production intérieure, sur fond d’un phénomène de tribalisation multiple et de désintégration républicaine.
Par Bruno Roger-Petit
Chroniqueur politique
http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1226548-manif-pro-gaza-faut-il-cacher-ces-demonstrations-antisemites-que-l-on-ne-saurait-voir.html
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