C’est une histoire incroyable qui vient de refaire surface, une de ces histoires que l’on affectionne particulièrement tant elle démontre l’absurde. Elle débute en 1935 à Berlin, capitale du IIIème Reich. Hessy Taft a six mois et c’est une bien jolie petite fille aux boucles brunes et au regard sombre et vif dont ses parents sont très fiers. Ils la conduisent un jour au studio de Hans Ballin qui est alors l’un des plus prestigieux photographes de Berlin.
Quelques mois plus tard, à la grande surprise de ses parents, le visage de l’enfant se retrouve placardé sur tous les kiosques à journaux d’Allemagne ainsi que dans tous les magasins de puériculture : le cliché a été choisi par Goebbels soi-même, Ministre du Reich à l’Éducation du peuple et à la Propagande (sic), parmi cent autres photographies de bambins plus ou moins adorables prises dans toute l’Allemagne pour représenter le bébé aryen parfait, l’idéal-type des délires raciaux en vigueur. Le joli minois d’Hessy Taft fait ainsi la Une du magazine nazi Sonne ins Haus (« Du soleil dans la maison ») au grand dam de ses parents, et pour cause : la famille Taft est juive et ne craint plus qu’une chose, c’est que leur jolie petite fille devenue un symbole identitaire raciste ne soit reconnue dans la rue pour ce qu’elle est vraiment, une bien jolie petite fille juive… Prise de panique devant le danger que l’identité de sa fille ne soit découverte, la mère de l’enfant se rend alors en catimini chez le photographe pour comprendre ce qui a bien pu se passer.
Celui-ci l’entraîne dans sa boutique, ferme les rideaux, comme le raconte Hessy dans une vidéo, et reconnaît qu’il a délibérément donné la photo d’une enfant juive aux nazis venus lui demander de sélectionner ses dix meilleures photos de bébés pour un concours de beauté enfantine : “Je n’ai pas résisté au plaisir de leur faire cette blague”, confira-t-il à la maman d’Hessy, subjuguée. Le hasard fait le reste, parmi tous ces clichés, c’est celui-là qui est retenu… Les Taft réussiront peu après à émigrer aux Etats-Unis après un long périple via la France puis Cuba… avec trois exemplaires du magazine à la Une du parfait bébé Aryen dans la valise….
L’histoire sera gardée secrète par la famille jusqu’à récemment quand la mère d’Hessy se décida à la rendre publique : « Dans les années 1990, ma mère m’a dit qu’il était temps de montrer combien les nazis étaient ridicules ».
Hessy Taft y vit toujours aux Etats-Unis. Il y a deux ans, elle a fait don d’un des exemplaires du Sonne ins Haus au Mémorial de la Shoah de Washington et récemment, un autre au Mémorial de Yad Vashem, à Jérusalem, avec beaucoup d’émotion. « Je suis bien contente que cette histoire soit connue, parce que ça me donne de la satisfaction, dans un sens, une espèce de revanche, qui montre comment les nazis étaient ridicules, et leur théorie encore plus.”
Hessy Taft fait à nouveau la Une des journaux à travers le monde, mais cette fois, c’est pour la bonne cause.
Brigitte Thévenot
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