Ces derniers jours au Proche-Orient, l’infernale mécanique de la guerre des mots et des images semble avoir repris de plus belle avec, pour corollaire inévitable, un enchainement dangereux de représailles et de violence
Lundi 30 juin, les corps de Naftali Fraenkel, Gil-ad Shaar et Eyal Yifrach, enlevés le 12 juin, sont retrouvés sans vie, assassinés. Des activistes du mouvement terroriste palestinien du Hamas sont explicitement désignés par les autorités israéliennes comme étant les responsables. Les auteurs de l’enlèvement sont identifiés, il s’agit de Amer Abu Aysha (33 ans) et Marwan Kawasme (29 ans). C’est dans le terrain familial de ce dernier que les corps des trois adolescents ont été retrouvés, abandonnés et à moitié enterrés. Le Hamas nie être impliqué dans ce meurtre mais salue l’opération
La condamnation internationale est unanime. Pour la première fois depuis longtemps, Israël sent que le monde, avec lui, partage son indignation et sa tristesse.
C’est oublier le sens critique exacerbé de nos médias français. Sur France 2, l’inénarrable Charles Enderlin en direct d’Israël rappelle que les « enfants ont été enlevés près des colonies du Goush Etzion., aux environs de la localité de Halhoul,». Le non-dit saute à la figure : même à 16 ans, ces innocents adolescents restent des « fils de colons et des colons eux-mêmes de Cisjordanie annexée et occupée », ce que les dépêches de l’AFP et de Reuters ne manquent pas de préciser.
Dès lundi soir, Benjamin Netanyahu promet de « faire payer le Hamas », considérant que les ravisseurs ont agi « conformément à la direction du mouvement islamiste palestinien. »
Mardi 1er juillet, à l’aube, Israël lance une série de raids aériens sur la bande de Gaza sans faire de victimes. Dans la soirée, neuf roquettes sont tirées depuis l’enclave palestinienne contre le sud d’Israël, sans faire de dégâts. « Durant son opération de recherches lancée en Cisjordanie, l’armée israélienne a tué cinq Palestiniens et arrêté 420 Palestiniens, dont 305 membres du Hamas. » nous dit-on sur Europe 1. « Israël prépare sa riposte contre le Hamas » peut-on lire dans le journal Libération.
Aux funérailles des trois enfants, à Modiin, ville située entre Jérusalem et Tel-Aviv, des dizaines de milliers de personnes sont rassemblés dans le recueillement et l’émotion. Benjamin Netanyahu s’adresse au Hamas : « Vos assassins ont piétiné le commandement moral qui veut que l’on ne touche pas à un enfant ». Le premier ministre israélien promet des représailles. Des centaines d’Israéliens radicaux crient dans les rues de Moddin et de Jérusalem «mort aux Arabes». Le correspondant de CNN Ben Wedeman retransmet sur son compte twitter les propos entendus : «Après le coucher du soleil, nous allons les attaquer ». Le journal Haaretz parle «d’une « atmosphère propice à l’incitation à la violence » et redoute une recrudescence des incendies de mosquées et du vandalisme. Dans les rues, cinq personnes sont attaquées et deux sont sérieusement blessées. Cinquante personnes sont arrêtées.
Le chef d’état-major israélien Benny Gantz met en garde contre « le danger d’une réaction purement émotionnelle (…) Israël doit reprendre la main et non se laisser mener sur le terrain où le Hamas veut l’entraîner. »
Pendant ce temps-là, en France, on voit ça.
Mercredi 2 juillet, le corps violenté (et calciné selon certaines sources) de Mohammad Abou Khdeir, jeune arabe de 16 ans, kidnappé alors qu’il faisait du stop dans le quartier de Shoafat (Jérusalem-Est), est retrouvé dans la forêt à l’ouest de Jérusalem. Une enquête est immédiatement ouverte par le ministre de la sécurité intérieure Yitzhak Aharonovitch à la demande de Benjamin Netanyahu « pour mieux comprendre les circonstances de ce crime abominable » De l’aveu même des autorités israéliennes, on craint un acte odieux de représailles.
Louba Samri, porte-parole de la police israélienne, parle d’une voiture noire suspecte. Le cousin de l’adolescent disparu, interrogé par la radio militaire israélienne apporte des précisions : « Le conducteur de cette voiture noire a tenté d’enlever un enfant (palestinien) de 7 ans lundi soir. Il y a eu des plaintes. » Le maire israélien de Jérusalem, Nir Barkat, condamne « un acte horrible et barbare. »
Effroi et perplexité dominent désormais dans l’opinion publique. Qui a fait ça ? Qui est capable de répondre à l’horreur par l’horreur. Les éléments à charge ne manquent pas : des Israéliens extrémistes sont soupçonnés. La vengeance que l’on crie dans les rues depuis vingt-quatre heures est le mobile tout désigné.
Le site d’Al-Quds al-Arabi, quotidien arabophone publié à Londres, diffuse aussitôt une photo du jeune adolescent tué. Émeutes et affrontements avec les forces de sécurité suivent aussitôt dans les quartiers arabes de Jérusalem-Est.
Les trois visages souriants des jeunes Juifs assassinés s’opposent désormais au tendre visage rêveur du jeune Mohammad. Une guerre des visages.
Une foule en colère, très mobile et déterminée, proteste à Beit Hanina et à Shoafat, le quartier du jeune homme tué. Des centaines de jeunes palestiniens révoltés, armés de pierres et de pneus enflammés font face aux forces de l’ordre. La route entre Beit Hanina et Pisgat Zeev est bloquée à la circulation. Le tramway entre Beit Hanina et Shouafat est suspendu. Selon l’agence palestinienne Maan, il y aurait au moins 12 personnes blessées dont un journaliste de la télévision palestinienne et deux cameramen. Selon le Croissant-Rouge, 65 Palestiniens ont été blessés, dont trois à balles réelles, et 18 ont été hospitalisés.
La famille de Naftali Frankel, l’un des trois jeunes israéliens assassinés, dénonce l’escalade de violence «Il n’y a pas de différence entre les sangs versés, un meurtre est un meurtre, quels que soient la nationalité ou l’âge. » Mais c’est trop tard, le mal est fait.
Pour BFM TV, ce « crime atroce (…) pourrait être une vengeance israélienne. ». Le magazine Le Point parle d’une « Chasse aux Arabes ». Le journal Le Figaro parle de « vengeance présumée ». Benjamin Netanyahu rappelle qu’ « Israël est un Etat de droit et tout le monde doit obéir à la loi. » Il prévient que tout débordement sera sévèrement réprimé, demande à la police « d’agir le plus rapidement possible ».
L’unanimisme compassionnel à l’égard d’Israël s’évapore illico dans une nouvelle indignation internationale cette fois inversée. Israël, privé de son deuil, est exhorté à « éviter l’escalade ». Une supplique qui sonne comme un avertissement : « attention, il y a des extrémistes partout, les deux camps se valent. »
Le porte-parole du Hamas Sami Abou Zuhri nie sur la chaine Sky News Arabia que son mouvement a une quelconque implication dans l’enlèvement des trois adolescents juifs et précise qu’il « n’a aucune information sur le sujet ».
Mahmoud Abbas, plutôt discret ces derniers temps semble ragaillardi par la nouvelle. Profitant de la situation, il interpelle : « Si Israël veut vraiment la paix, il doit punir les responsables de l’assassinat de jeunes Palestiniens et mettre fin à ces attaques quotidiennes des colons contre les Palestiniens ». Il demande solennellement de « prendre des mesures concrètes sur le terrain pour arrêter les attaques de colons et le chaos qui résulte de ces agressions »
Chaos, le mot est lâché. Israël reprend subitement son rôle de bon vieux pays oppresseur et occupant. L’état de grâce n’a pas duré longtemps.
La paix, assène Mahmoud Abbas, viendra d’Israël car lui seul est responsable des dérives et capable de les éviter, lui seul est redevable des victimes innocentes qu’il doit avoir sur la conscience, y compris les victimes de son propre camp.
La guerre des mots ici reprend ses droits les plus abjects. Le cas malheureux et isolé du meurtre du jeune Arabe fait écho au cliché habituel et préféré de la propagande palestinienne : Israël, tortionnaire d’enfants, serait exemplaire dans l’ignominie et l’injustice.
Exemples récents : « Les enfants palestiniens sont victimes des violences arbitraires israéliennes » (RFI, 27 aout 2012) ; un « enfant palestinien a été tué tous les 3 jours par Israël, ces 13 dernières années » (Middle East Monitor, juin 2013) ; « 1 518 enfants palestiniens ont été tués par les forces de l’occupation israélienne, entre le lancement de la Seconde Intifada en septembre 2000 et avril 2013 » (Ministère de l’Information de Ramallah).
Sur la toile, des internautes en colère demandent des comptes à monsieur Enderlin qui répond avec élégance sur Twitter :
Vendredi 4 juillet, « L’autopsie est terminée mais les circonstances du meurtre restent à préciser. Les résultats ont été communiqués à la police mais interdits à la publication. » (i24news)
Les débordements de rue se sont succédés toute la nuit dans certains quartiers de la capitale et restent, dans la journée, difficiles à contenir. La police israélienne riposte aux poubelles en feu, pierres et jets de cocktails Molotov par des grenades assourdissantes et des bombes lacrymogènes. Les tensions sont à leur comble durant cette période de ramadan, propice aux rassemblements, et alors que se préparent les funérailles du jeune homme.
La thèse d’un « crime nationaliste de représailles » n’est pas exclue totalement (site Walla). Le père de la victime a affirmé qu’une caméra de sécurité avait filmé les kidnappeurs à 4h du matin qui, selon ses dires, parlaient hébreu, et étaient « probablement des colons ou le Shin Bet ». Il n’a pas été autorisé à voir le corps de son fils a-t-il déclaré à la radio. La police a précisé à la chaîne Aroutz 10 qu’aucun membre de la famille du jeune homme n’a de casier judiciaire ou n’est connu des services de police.
Il est possible que l’hypothèse du crime d’honneur soit momentanément écartée par les enquêteurs pour ne pas attiser la colère des manifestants d’autant que s’accumulent excès et provocations des citoyens israéliens eux-mêmes. Appels à la vengeance sur Facebook ou slogans racistes anti-arabes sur les réseaux sociaux inquiètent vivement la justice qui a ouvert une enquête pour incitation à la haine. Des soldats ultra-orthodoxes de Tsahal ont écopé de plusieurs jours d’arrêt pour les mêmes raisons.
Les condamnations et les mises en garde s’accumulent. Le président français François Hollande a évoqué un « odieux assassinat », Laurent Fabius a fait part de son horreur, la Maison Blanche a parlé de « crime odieux ». Netanyahu s’est entretenu longuement ces dernières heures avec John Kerry qui a réclamé des garanties d’apaisement.
Promesse difficile à tenir car la moindre échauffourée peut conduire à une situation incontrôlable. La responsabilité des deux parties est engagée.
Jean-Paul Fhima
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