La nouvelle guerre confessionnelle qu’a lancée le mouvement islamiste sunnite EIIL veut en fait rayer de la carte les états coloniaux, fruit des accords Sykes-Picot de 1916. Cette menace pour les Etats arabes modérés explique le rapprochement de ces dernières semaines entre Israël et la Jordanie.
Plus encore, Katy Bisraor nous explique pourquoi certains dirigeants israéliens estiment que l’ensemble des rapports de force dans la région pourrait être bouleversé. Des risques mais aussi des opportunités qui interpellent Israël.
Pour la première fois cette semaine (dimanche 29 juin), un responsable israélien, cité par la radio israélienne a confirmé l’existence de contacts opérationnels et concrets entre Jérusalem et Aman. La semaine dernière, à Paris, le ministre israélien des affaires étrangères, Avigdor Liberman avait déjà déclaré être prêt à aider les Etats arabes modérés menacés par les extrémismes. Cette aide dont a parlé Avigdor Liberman a donc déjà apparemment des aspects opérationnels. En clair, Israël, tout comme les Etats-Unis sont prêts à intervenir directement pour aider le roi Abdallah à faire face à la menace islamiste qui désagrège déjà l’Irak
Selon Ehud Yaari, le spécialiste des affaires arabes de la deuxième chaine de la télévision israélienne, les menaces contre la Jordanie sont immédiates. Yaari a montré des chefs des tribus bédouines à l’intérieur du territoire souverain jordanien à la frontière irakienne, expliqués fièrement être devenues des cellules du EIIL. Comme en Syrie et en Irak, ce groupe islamiste sunnite extrémiste exploite le ressentiment des populations locales contre le pouvoir en place.
Israël ne peut évidemment tolérer qu’une organisation extrémiste s’installe à ses frontières. Le danger existe déjà sur le Golan, avec des positions avancées de rebelles affiliés au EIIL. Avec la Jordanie, Jérusalem, tout comme Washington seront prêts à aller très loin, pour maintenir le royaume hachémite dans leur giron, loin des influences islamistes extrémistes.
Plus encore, certains stratèges israéliens estiment que la nouvelle carte du Moyen-Orient que veulent dessiner ces organisations sunnites et en premier lieu le EIIL menacent non seulement les Etats modérés, la Jordanie, l’Egypte, le Koweit, mais surtout le pouvoir chiite, l’Iran et par conséquence son allié libanais, le Hizboulah.
Cette nouvelle guerre confessionnelle pourrait provoquer des bouleversements dans les rapports de force de la région et des nouvelles alliances, situation qui interpelle Israël explique un ministre israélien haut placé, cité par la télévision israélienne.
D’une manière absurde, les derniers évènements en Irak créent une communauté d’intérêt entre Israël et les pires de ses ennemis. Nous ne pensons pas que le Hizboulah changera sa charte appelant à la destruction de notre Etat, mais le nouveau rapport de force doit être pris en compte par les stratèges de l’Etat hébreu.
Ces propos de ce dirigeant israélien sont à comprendre dans la stratégie que mène le EIIL. Ces islamistes veulent en fait rayer de la carte, les états coloniaux, fruit des accords Sykes-Picot, signés en mai 1916, entre la France et la Grande-Bretagne pour se partager le Moyen Orient. L’implosion de la Syrie et de l’Irak n’est qu’une première étape d’une stratégie à grande échelle pour créer un nouvel Etat, l’Etat islamique sunnite du Moyen Orient.
En d’autres termes, la montée dramatique de l’Islam radical, non seulement renforcera une coopération entre Jérusalem, le royaume hachémite et les autres Etats arabes modérés mais peut aussi créer des opportunités d’une refonte des alliances et des conflits.
Cette opportunité a aussi des risques comme le montre les changements imprévisibles qui traversent le Moyen Orient depuis quelques années. Le défi est donc énorme pour Israël. Quoiqu’il en soit, cette nouvelle situation est depuis quelques semaines, le sujet principal discuté à huit clos, dans les réunions au plus haut niveau de l’armée et du gouvernement. Tout autant que les tensions graves que connaissent ces dernières semaines les relations israélo-palestiniennes conclut ce ministre.
Qui est le EIIL ?
Katy Bisraor nous dresse le portrait de ce mouvement, devenu un des facteurs majeurs de la déstabilisation du Moyen Orient de ces derniers mois.
Le EIIL en arabe Daesh est l’acronyme de Dulat al-Islam fi al-Iraq wal-Sham et en langue française, le EIIL, l’Etat Islamique en Irak et au Levant.
Ce mouvement islamiste salafiste, sunnite prône un Islam radical et utilise pour imposer son idéologie, des méthodes violentes et sanglantes, qui expliquent que même les mouvements extrémistes dans l’obédience qu’Al Kaïda ont pris leurs distances vis-à-vis de ces djihadistes. Le conflit entre ces deux obédiences islamistes est idéologique et tactique. Alors qu’Al Kaïda, concentrent ses actions contre les Etats Unis et les pays occidentaux, le Daesh veut lutter d’abord contre les chiites. Leur dessein avoué est de remplacer les Etats traitres, les chiites mécréants et leurs collaborateurs qui ont trahi la pensée de Mahomet, par la création d’un grand Etat Islamique au cœur du Moyen-Orient. Pour eux cet Etat doit prendre la place des Etats créés artificiellement par les Français et les Britanniques en 1916, (Accords Sykes-Picot).
Fondé en Irak, lors de l’occupation américaine, en 2004, le Daesh réussi dans un premier temps a contrôlé certaines zones en Irak, avant d’essuyer des revers après la mort de son fondateur , éliminé au cours d’une opération américaine.
Ces échecs sur le territoire irakien amènent la nouvelle direction du Daesh a introduire des groupuscules en Syrie. Là, les succès sont rapides. En réussissant à prendre le contrôle de certaines unités de rebelles, les djihadistes du EIIL réussissent à s’implanter dans plusieurs zones syriennes stratégiques, malgré l’opposition virulente des rebelles syriens libres à l’origine de l’offensive contre le régime de Bashar Al Assad et d’Al Kaïda. Le Daesh contrôle aujourd’hui d’importantes zones du territoire syrien, et notamment un territoire situé non loin de la frontière israélo-syrienne sur le Golan.
Ces succès en Syrie servent de plateforme pour le mouvement qui revient en force en Irak à la fin de l’année 2013, exploite la fragilité du gouvernement et de l’armée irakienne pour conquérir depuis le début de 2014, de vastes territoires, et menacer même Bagdad, comme le montrent les événements de ces dernières semaines. De facto, aujourd’hui, le EIIL a réussi à créer un véritable corridor djihadiste, au cœur du Moyen-Orient, de la Syrie à l’Irak
Par ailleurs, les experts israéliens, spécialistes du mouvement salafiste, appellent tout de même à être prudent sur la monté en puissance de ce mouvement. D’abord en raison de leur nombre restreint,(pour l’instant, mais en nette augmentation) mais surtout en raison des tensions internes et des rivalités violentes dont le conflit avec Al Kaïda, n’est qu’un aspect.
Pourtant, aujourd’hui, l’avancée du Daesh en Irak et en Syrie, sa popularité auprès des populations sunnites, menacent la stabilité de toute la région moyen-orientale expliquant l’intérêt énorme des experts pour cette organisation quasiment inconnue, il y a quelques mois à peine.
Par Katy Bisraor
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