Tous les antisémites ne sont pas
des islamistes ou des fascistes.
La plupart du temps,
ce sont des gens ordinaires
qui expriment une ‘’haine ordinaire’’.
A tout moment, dans la rue, dans le métro, aux abords d’une synagogue ou d’une école, en faisant ses courses ou même à son travail, un Juif de France peut être l’objet d’une insulte ordinaire, d’une attaque ordinaire, d’une humiliation ordinaire.
La haine du juif est (re) devenue ordinaire.
Le rapport 2013 du SPCJ, Service de Protection de la Communauté Juive, dresse une fois de plus le tableau alarmant de l’antisémitisme en France. Ce compte-rendu très complet fait état des plaintes enregistrées par le ministère de l’Intérieur pour menaces (propos, gestes, tracts) et violences sur les personnes et sur les biens.
Organisation apolitique, voulue par le CRIF et les Consistoires, le SPCJ a été créé en 1980, au lendemain de l’attentat de la rue Copernic. Son président, Eric de Rothschild, évoque l’inquiétude et l’impuissance face à une haine « polymorphe » qui n’est plus conjoncturelle (liée au conflit israélo-arabe) mais structurelle, c’est-à-dire intrinsèquement issue de la société française elle-même comme l’ont montré l’affaire Dieudonné et la manifestation ‘’jour de colère’’. « Harcèlements, incivilités, violences … ce mal se banalise (…) souvent dans des sphères inattendues, au détour d’alliances improbables. »
Le constat est sans appel : s’il y a eu l’an dernier une baisse des plaintes pour antisémitisme par rapport à 2012 (- 31%), celles-ci restent supérieures à 2011 (+ 9%). Sur un nombre total d’actes racistes (1274), 33,2% sont antisémites (423), parmi lesquels 4 sur 10 sont des violences physiques, alors même que la population juive ne représente que 1% de la population française.
Sept villes sont les plus touchées : Paris (77 plaintes), Sarcelles (13 plaintes), Lyon, Marseille et Toulouse (64 plaintes), Strasbourg et Nice (20 plaintes). A Paris, les 11°, 16° et 19° arrondissements sont les plus concernés.
Au premier trimestre 2014, 169 actes antisémites ont déjà été enregistrés (+ 44 % par rapport au premier trimestre 2013), parmi lesquels des menaces (+ 41%) et des violences (+ 55%).
« Le seul mois de janvier a enregistré une augmentation de 130 % (…). [Ces actes sont] associés à des références à Dieudonné, à la chanson Shoananas, et à des « quenelles » face à des bâtiments de la communauté juive. » (CRIF, 23 mai 2014). Et encore, les contenus de nature antisémite ne sont pas recensés systématiquement sur internet et les réseaux sociaux « alors même qu’ils sont de plus en plus nombreux et violents. » (CRIF)
Ron Rafaeli, directeur du SPCJ, déclarait à Actualité Juive le 10 mars 2014, qu’un climat de harcèlement et de menace s’installe en France malgré une prise de conscience « totale et complète » de nos concitoyens, et en dépit d’une bonne volonté des pouvoirs publics, de la justice comme de la police. « Nous sommes toujours dans une moyenne sept fois plus élevée que les [chiffres des actes antisémites] des années quatre-vingt ou quatre-vingt-dix. »
DES LÂCHES QUI MANIPULENT DES FAIBLES
Invité d’honneur du dîner du CRIF Marseille-Provence, jeudi 26 juin 2014, le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, l’a reconnu :
« La sécurité des Juifs de France n’est pas l’affaire des Juifs, c’est celle de tous les Français (…) Aucun acte antisémite, les petites phrases mortifères pas plus que les grands gestes assassins, ne doit rester impuni. Leurs auteurs doivent savoir qu’ils seront inlassablement traqués, retrouvés et punis ( …) Aujourd’hui des lâches s’efforcent de manipuler des faibles (…) Il nous faut donc étouffer ces discours et lutter le plus en amont possible contre les entreprises de radicalisation (…) L’éducation, sous toutes ses formes, est le seul remède durablement efficace pour lutter contre la haine et les préjugés (…) Nous devons collectivement faire en sorte que les valeurs de la République triomphent du discours des fanatiques. »
De toute évidence, on connait parfaitement la méthode à suivre pour obtenir des résultats positifs : une habile combinaison de fermeté, d’éducation et de prévention.
Education et prévention, c’est là que le bât blesse !
« Depuis quatorze ans, on n’a vu ni création particulière ni soutien particulier de l’Éducation Nationale à des programmes (…) de lutte [spécifique]. Or, l’antisémitisme doit être traité de manière différente que le racisme en général. », nous rappelle Ron Rafaeli bien que nos « dirigeants comprennent les enjeux et reconnaissent qu’il s’agit là d’une lutte prioritaire.»
Les discours ne suffisent plus, nous voulons des actes !
Malgré la lucidité qui s’installe, pourquoi la situation des Juifs en France se détériore-t-elle à ce point ? Dans quelle mesure peut-on lutter contre ce climat malsain et hostile qui s’installe ?
D’OÙ VIENT L’ÉCHEC ?
D’où vient l’échec, malgré la prise de conscience et la recette connue pour y parvenir ?
Quand de simples citoyens français et ‘’ordinaires’’ se jettent sur les Juifs comme sur une proie facile à prendre, l’Etat a-t-il toujours les moyens de faire preuve de fermeté ? N’y-t-il pas parfois la tentation de trouver des excuses, de relativiser les propos, de minimiser les actes ? Quel est le rôle des médias dans ce constat d’échec contre l’antisémitisme ?
Dans les années Trente en Europe, la montée du totalitarisme était un fait avéré qui ne reniait ni sa nature ni ses objectifs. Personne ne pouvait contester que ce fût là une très grave atteinte à un modèle civilisationnel et politique que l’on se vantait de mettre à terre sans vergogne ni retenue. Les autodafés de livres, le mépris des libertés et de la culture, le musellement des institutions, le recours à l’intimidation et à la force … voilà autant de signes qui allaient partout s’abattre en longue nuit de cristal. On le savait, on s’y attendait, on l’écrivait dans les journaux. Et c’est venu, pire encore que dans nos pires cauchemars.
Quand les hommes et les femmes politiques de bonne volonté font encore dignement leur métier de nos jours, avec exigence et détermination, on assiste aussitôt à une levée de boucliers en carton-pâte qui s’ébruitent dans les médias. A la fermeté de Manuel Valls contre Dieudonné l’hiver dernier, on a trop souvent utilisé l’alibi de ‘’la liberté d’expression’’, on a trop souvent dit que ‘’le ministre en fait trop’’ ! La démagogie a pris le pouvoir.
Qui aujourd’hui voit ce qu’il faut voir ? Qui aujourd’hui dit avec des mots crus et vrais ce qu’il faut dire et reconnaître ?
Probablement ni les journalistes, ni les intellectuels. Les bons mots et les promesses, voilà l’écran de fumée derrière lequel on ne veut pas voir, on ne veut pas reconnaitre, on ne veut pas nommer.
La solution est là pourtant. Quand on viendra éteindre le feu que l’on a mis, la lucidité reviendra … dans les cendres.
Faut-il deviner dans ce jusqu’au-boutisme qui transforme chaque jour un peu plus nos élites faibles en pyromanes inconscients, une sorte d’attirance suicidaire ? Car la spirale dépressionnaire qui s’est emparée de notre société continue de nous entraîner par le fond. Rien ne semble pouvoir l’arrêter.
Faut-il pour autant jouer le rôle habituel des victimes consentantes ?
Ce qui peut pousser les Juifs de France à partir est précisément ce constat épouvantable que chacun fait au quotidien. La France ne croit plus en elle-même. Elle laisse aux autres le soin de tracer le chemin et de prévoir l’avenir. Le bateau ivre de notre pays navigue à vue dans ce brouillard matinal qui annonce de mauvais jours. C’est moins la peur du lendemain qui fait fuir les Juifs que ce sentiment, et bientôt cette conviction, qu’il n’y a plus de place pour la confiance et le partage.
La fragmentation de la société française est un mal sans précédent. L’antisémitisme n’est que la partie émergée d’un iceberg qui se cache sous nos pieds. Qui sera demain la force vive de la société française ? Les militants chauffés à blanc issus des territoires perdus de la République ? Les citoyens ordinaires au crâne vide et à l’assiette creuse, désarmants de faiblesse et de bêtise, prêts à ‘’manger’’ du Juif ?
En noyant le poisson dans l’eau, le site Boulevard Voltaire fait exactement preuve de cet aveuglement complice qui attise le feu au lieu de l’éteindre.
« Les actes d’antisémitisme, peut-on y lire, représentent 0.03% du total des crimes et délits (…) une goutte d’eau – moins de 3% – des crimes et délits dont sont victimes les juifs. »
Pour ce site ‘’ordinaire’’ comme on en rencontre beaucoup sur la toile, les Juifs ne sont pas plus victimes de violence que n’importe quel autre citoyen qui peut tout simplement « avoir une tête qui ne revient pas à son agresseur ! » L’aggravation de l’antisémitisme, nous dit-on encore, relèverait de « la manipulation ou du mythe ! »
Nous connaissons bien ces méthodes insupportables qui consistent à citer tous azimuts une kyrielle de chiffres (sans les sources) pour travestir, minimiser, globaliser et déclasser les agressions antisémites et ainsi mieux les oublier en détournant le regard.
Nous connaissons aussi les pernicieuses habilités de nos ennemis qui laissent entendre que nous sommes nous-mêmes responsables du ‘’complot’’ dont nous voulons passer pour les victimes.
La recette pour lutter contre l’antisémitisme est l’éducation. Or l’école renonce à ses plus élémentaires missions. De l’aveu même des chefs d’établissements scolaires, les professeurs ne font plus que « du gardiennage ». Comment lutter contre un mal quand on est convaincu de ne pas réussir, pire, quand on est convaincu qu’on ne sert plus à rien ?
Michel Wieviorka (EHESS) a publié le 2 mai 2014 un petit livre instructif (128 pages) intitulé « L’antisémitisme expliqué aux jeunes ». Tout est dit, aucune question n’est taboue. L’argumentaire antijuif est passé au crible pour comprendre les origines et l’évolution de ce racisme ordinaire. Des problématiques simples, facilement identifiables, sont ainsi abordées pour mieux répondre aux interrogations actuelles des jeunes : est-ce que l’antisémitisme est une haine particulière ? Est-ce du racisme ? Quand et pourquoi l’antisémitisme est-il apparu ? Qui sont les « Sages de Sion », ont-ils existé ? Pourquoi Hitler détestait-il les Juifs ? C’est quoi le « business de la Shoah » ? Pourquoi certains jeunes issus de l’immigration sont-ils attirés par les thèses antisémites ? Peut-on critiquer Israël sans passer pour antisémite ? L’antisionisme est-il un antisémitisme ?
La lecture d’un tel guide pour les jeunes est aussi chaleureusement conseillée à leurs ainés qui ont la vue courte et la mémoire faillible.
PERSISTANT ET DÉCOURAGEANT
Réactualisé et exacerbé, l’antisémitisme est frappant par sa persistance, décourageant par sa capacité à se réinventer.
A chaque époque, la haine des Juifs revêt une forme différente, prend un nouveau langage, fait preuve d’une infinie imagination. Nourrie de préjugés anciens et de clichés tenaces, mais aussi de fantasmes plus récents, elle s’adapte au lieu de disparaître. « Aucun autre phénomène n’a autant résisté dans l’histoire » nous dit Michel Wieviorka.
Par exemple, la thèse couramment développée ces deux dernières décennies selon laquelle les Juifs seraient les principaux responsables de la traite négrière transatlantique se diffuse dans la population noire de France, antillaise et d’origine africaine sub-saharienne. Dans un contexte de concurrence mémorielle mettant en parallèle la Shoah et l’esclavage, une sorte de crispation identitaire vient sédimenter dans la psyché collective de nouvelles raisons de haine antijuive.
LA FRANCE VA MAL ET L’ EUROPE VACILLE
Nicole Bornstein, présidente du CRIF Rhône-Alpes, a reçu la Légion d’Honneur le 12 juin dernier à la préfecture de Lyon, en présence de Jean-Jacques Queyranne, président du Conseil régional, et du Sénateur Maire Gérard Colomb. Sans mâcher ses mots, elle a mis les pouvoirs publics devant leurs contradictions et leur impuissance.
« Notre société va mal. La France va mal et l’Europe vacille. Les Juifs de France et d’Europe ont mal (….) Face au racisme, à la judéophobie mortifère, le monde ne sait pas clairement nommer le mal. Ou fait semblant. Le monde semble paralysé, figé dans son impuissance. Le temps des mots, le temps de battre le pavé est dépassé, révolu (…) On nous dit la loi, le respect de la loi. Mais à quand l’application stricte et ferme des lois existantes pour prévenir et éviter le pire ? Nous désirons vivre comme tous citoyens français, pouvoir nous réunir, prier, bref, vivre en paix et sans peur. »
Les sentiments complexes qui animent et divisent les juifs de France aujourd’hui se résument en quelques mots : tristesse et déception pour les plus pessimistes, parce que la France est malade ; fermeté et éducation pour les plus optimistes, parce qu’elle peut guérir.
Jean-Paul Fhima
Témoin ou victime d’un acte antisémite ?
0 800 18 26 26
(Numéro vert 24h/24 et 7j/7)
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