« Vous ne comprendrez jamais ce que la musique signifiait pour nous. C’était ce qui nous donnait l’énergie de survivre, et c’était un moyen d’utiliser nos talents pour inspirer nos co-prisonniers. Nous étions la musique ». Alice Herz-Sommer, décédée en février dernier à 110 ans, fut l’une des pianistes du camp de Terezin où elle demeura deux ans.
Aussi incroyable que cela puisse nous sembler aujourd’hui, oui, on faisait de la musique à Dachau, Bergen-Belsen, Buchenwald ou Auschwitz. Contraints et forcés la plupart du temps certes, mais pas seulement. La musique était présente, dans les camps de femmes comme dans les camps des hommes. Valses ou romances accompagnaient le départ chaque matin des kommandos qui partaient travailler et accueillaient chaque soir leur retour, plus morts que vivants, dans une ambiance que l’on imagine totalement surréaliste.
A Terezin, antichambre d’Auschwitz, à 60 km au nord de Prague, on donna même le Requiem de Verdi ainsi qu’un opéra pour enfants, Brundibar (Le Bourdon) une œuvre du compositeur tchèque Hans Krasa, comprenant un remarquable chœur d’enfants. Des images de propagande nous sont parvenues de cette soirée mémorable organisée en l’honneur du représentant de la Croix Rouge Internationale, Maurice Rossel, venu visiter cette vitrine d’un ghetto exemplaire particulièrement réputé pour son orchestre qu’était Terezin le temps des visites. Elles ne disent pas bien sûr ces images que les participants furent quasiment tous envoyés à Auschwitz quelques jours après ce concert, pas plus que Maurice Rossel ne témoigna jamais de ce qu’il vit et ne voulut pas voir à Terezin, sauf dans l’entretien qu’il accorda imprudemment après guerre au réalisateur Claude Lanzmann (1).
Près de vingt opéras furent composés à Terezin où les Nazis avaient regroupé la quasi totalité de la communauté juive de Tchécoslovaquie avant son annexion par le IIIème Reich. Toute l’intelligentsia pragoise ou presque se retrouva parquée là, à un moment ou un autre, et parmi elle, de grands compositeurs tchèques tels que Viktor Ullmann, Gideon Klein, Pavel Haas ou encore Hans Krasa. Tous quatre seront déportés à Auschwitz dans le même convoi, le convoi du 16 octobre 1944. Tous quatre y seront assassinés le lendemain même de leur arrivée.
Fort heureusement et sans que l’on sache toujours comment, leurs œuvres et celles de beaucoup d’autres, unique et ultime parfois, sont parvenues jusqu’à nous grâce au travail et à la volonté de ceux qui leurs ont survécu et se sont fait les gardiens de cette mémoire, de ces musiques d’outre-monde, de ces musiques d’outre-tombe.
Parmi eux, Helios Azoulay, lui-même compositeur et musicien, et son Ensemble de Musique Incidentale : au piano, Laurent Wagschal, Pablo Schatzman et Maud Lovett aux violons, Patrick Dussart à l’Alto, Maja Bogdanovic au violoncelle et Marielle Rubens au chant. Ils nous offrent aujourd’hui un très beau CD « … Même à Auschwitz », que l’on peut se procurer au Mémorial de la Shoah.
Certaines des compositions regroupées dans ce premier CD sont jouées aujourd’hui pour la première fois depuis leur composition, comme la Danse d’Hans Krasa. Une danse pour violon, alto et violoncelle écrite juste avant son arrestation, simplement bouleversante de fraicheur et de beauté. Elles sont parfois aussi l’unique témoignage musical de la courte vie de leur auteur telle cette Sérénade pour violon et piano de Robert Dauber, compositeur et violoncelliste allemand mort à Dachau à 23 ans…
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Helios se souvient d’être « tombé par hasard, il y a 7 ou 8 ans, sur un enregistrement de musiques composées à Theresienstadt. J’ai été frappé par le fait que des musiques aient pu naître en de telles circonstances. Tout simplement, je l’ignorais. Parallèlement à ce choc, j’étais fasciné que ces musiques naissaient d’un élan vital d’une rare puissance et d’une rare poésie (…) On compte trois ou quatre mille partitions de ce type, poursuit-il. C’est dire si le travail qui reste à faire est énorme. Bien sûr, sur la totalité de ces partitions, il n’y a sans doute pas que des chefs-d’œuvre mais qu’importe ! Ce qui fait la beauté indépassable de cette musique est l’absolue nécessité qui l’a vu naître ».
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Vous pourrez entendre encore cette musique des camps lors du concert à La Vieille Grille (Paris 5ème), ce dimanche 15 Juin à 17 h 30. L’Ensemble de Musique Incidentale se produira également le 18 juin au Carreau du Temple dans le cadre du 10ème Festival des Cultures Juives. Qu’on se le dise !
Brigitte Thévenot
CD « … Même à Auschwitz », Hélios Azoulay et l’Ensemble de Musique Incidentale, en vente au Mémorial de la Shoah.
(1 )article paru dans Tribune Juive Infos du 18/11/2013, Un vivant qui passe, une musique qui demeure, sur la réédition de l’entretien entre Maurice Rossel et Claude Lanzmann, Folio Gallimard.
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