L’écrivain Romain Gary vécut durant son existence incandescente et tourmentée de juif errant, héros de la France libre, diplomate, cinéaste, grand reporter et double prix Goncourt deux trêves en Corse, pour épouser Jean Seberg, puis pour un pèlerinage avant de « claquer la porte de la vie », en 1980.
Romain Gary aurait eu cent ans cette année.
Dans « Romain Gary – Brève escale en Corse », le journaliste et écrivain insulaire Jérôme Camilly évoque la relation nouée avec Gary à la fin des années 1970 à la faveur d’un projet d’ouvrage sur les Compagnons de la Libération.
La mission du journaliste, alors rédacteur en chef d’Antenne 2 (devenue France 2), était d’interviewer les Compagnons encore vivants.
Il s’agissait de confectionner avec Gary « une fresque » sur « cet Ordre exceptionnel de chevalerie symbolisant, selon leur dernier chancelier, Fred Moore, le refus de la défaite et du renoncement ».
Les quelque 300 survivants de ces 1.036 hommes et femmes, dont une trentaine de Corses, devaient raconter leur engagement dans la France libre, la guerre, la clandestinité, leur « retour à « la vie normale ».
Né Roman Kacew, le 8 mai 1914, à Vilnius (Lituanie) avant de s’exiler à Nice avec sa mère en 1928, Gary, qui avait rejoint Londres dès 1940, avait été fait Compagnon alors qu’il servait comme capitaine au Groupe de bombardement Lorraine des Forces aériennes françaises libres.
Avec la pudeur et la retenue des insulaires, comme des soldats, Camilly rappelle dans son livre – sorte d’ultime escale posthume en Corse pour Gary – que « de Gaulle était à l’évidence la grande affaire de sa vie ».
« Je voulais te dire – quitte à te mettre en colère – que l’appellation +de Gaulle+ est moins utilisée par les politiques aujourd’hui », écrit-il s’adressant directement à Gary. « Longtemps, ils se sont servis de lui comme d’un paratonnerre », ajoute-t-il soulignant que le gaullisme, cette « certaine idée de la France » qui unissait les Compagnons, n’a jamais été une doctrine mais « une manière d’être ».
« Eh bien, ce temps-là est passé », regrette-t-il rappelant, tout en prenant soin de ne pas mentionner son nom, que le maréchal Pétain accusait les Français d’avoir « la mémoire courte ».
LES COMPAGNONS NE SE SÉPARENT PAS
Mais à la fin de 1978, Gary abandonne le projet. « J’ai échoué. Je ne suis pas parvenu à trouver une façon (…) d’aborder le sacrifice et les combats de Compagnons (…) sans tomber dans l’énumération anecdotique que d’autres ont déjà faite », écrit-il le 27 novembre 1978 à l’éditeur Jean-Claude Lattès.
Il n’est « pas possible, ajoute-t-il, de faire +un choix de Compagnons+, en raison du nombre des disparus car cela aboutirait à l' »arbitraire et une injustice ».
Cette indéfectible fidélité à la France libre et son amitié pour les Corses, Gary les avait déjà manifestées le 16 octobre 1963 en choisissant dans le plus grand secret un petit village proche d’Ajaccio, Sarrola-Carcopino, pour y épouser l’actrice américaine Jean Seberg.
Le maire, Noël Sarrola, qui officia dans une quasi clandestinité, était lui aussi un ancien de la France libre. Et c’est un autre de leurs camarades, le général d’aviation Charles Feuvrier, et son épouse qui furent les témoins des mariés.
Le couple voulait, selon Camilly, « prendre de vitesse la presse internationale qui se passionnait pour ce roman photo de l’union d’un écrivain de génie avec une actrice célèbre ».
JEAN SEBERG, LA PUTAIN BLANCHE
En raison du soutien apporté par Jean Seberg aux Black Panthers, il fallait aussi, selon Camilly, se protéger des services secrets américains qui dévoilèrent après le mystérieux « suicide » de la comédienne, en 1979 à Paris, comment « ils avaient cassé la carrière de la +putain blanche+ ».
Pour sa dernière escale en Corse, Gary, séparé de Jean Seberg depuis plusieurs années, avait demandé à Camilly de lui organiser une bref voyage à Ajaccio pour « y voir la mer », puis, comme en pèlerinage, de l’accompagner jusqu’à Sarrola-Carcopino, « théâtre d’un évènement heureux dans l’existence si mouvementée » de celui dont le nom de plume signifie « brûle »en russe!
« Je vais partir en voyage », avait simplement dit Gary à Camilly quelques semaines avant de mettre un terme, à 66 ans, à cette « vie en dents de scie » en se tirant une balle de revolver dans la bouche chez lui à Paris.
(« Romain Gary – Brève escale en Corse » suivi de « Le quatuor insulaire »de Jérôme Camilly, 89 pages, Colonna Edition www.editeur-corse.com)
Pierre LANFRANCHI
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