Débrouillez-vous ! par Jacques Attali

Ce texte de Jacques Attali a été publié par l’Express et repris par Sociologie. Nous le diffusons  pour nos lecteurs parce que c’est un texte important.
Jacques Attali, écrivain, philosophe, ancien sherpa de François Mitterrand , donne un conseil inattendu venant de l’intellectuel de gauche le plus célèbre de France : il demande à tous de ne rien attendre du nouveau Premier ministre ni de ceux qui le suivront de quelque bord  qu’ils viendront, de ne rien espérer de la politique, des édiles, des élus et de tracer sa route selon son inspiration et au mieux de ses intérêts : aménager sa carrière , améliorer son activité,  créer son entreprise, s’expatrier au besoin.
Chacun recherchant son intérêt personnel, pourquoi cela déboucherait-il sur la prospérité générale ? Adam Smith au XVIIe ne craignait pas de s’en remettre au doigt de Dieu. Et Josef Schumpeter estimait que le capitalisme  fonctionnant par destruction créatrice était le seul système qui puisse créer la richesse mais qu’il disparaîtrait.

Jacques Attali ne renie rien de ses analyses et de ses réflexions. Il sait, il SAIT tout ce qui aurait du être décidé et mis en œuvre par les responsables et tout ce qu’ils ont soigneusement mis de côté pour ne pas sombrer dans l’impopularité. Il sait qu’on peut  » réparer » la France et il a donné des pistes, énuméré des réformes à entreprendre. On l’a écouté, on a lu le programme et on est passé au plus important pour tout le monde: comment garder le pouvoir, comment prendre le pouvoir.
 Il a tant écouté, tant vu venir et il a été tellement déçu par les uns qu’il soutenait et par les autres qu’il combattait. Son article sobrement intitulé » Débrouillez vous! »  est à la fois un cri de rage, une manifestation de mauvaise humeur et , à notre avis, un excellent conseil.
AM

Débrouillez-vous ! par Jacques Attali

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On pourrait attendre de moi, en ce jour de changement d’équipe, trop longtemps annoncé et attendu, que j’explique, une fois de plus, ce que j’attends d’un éventuel nouveau gouvernement.
Et pourtant, je ne me prêterai pas à cet exercice convenu, lassé de l’avoir trop fait depuis tant d’années. En vain. Lassé d’avoir dit et répété, comme l’a fait ici aussi Christophe Barbier, qu’il était urgent de réformer le pays, d’une façon économiquement efficace et socialement juste. Lassé aussi d’exposer, d’article en article, de rapport en rapport, de livre en livre, le détail de toutes les réformes urgentes, formant le consensus silencieux de tous ceux qui, à gauche et à droite, s’intéressent aux affaires publiques ; mais avec rarement assez de courage pour admettre publiquement leur nécessité et leur urgence.
Si je ne le fais pas de nouveau aujourd’hui, ce n’est pas seulement pour ne pas me répéter, ni pour ne pas ennuyer mes lecteurs, mais parce que je voudrais pousser chacun de nous à aller plus loin, à anticiper une nouvelle déception et à faire un nouveau pari à la Pascal : non pas le pari de croire en Dieu, parce qu’on n’a rien à y perdre, mais celui d’agir pour soi, maintenant, indépendamment d’une hypothétique action publique. Parce qu’on a tout à y gagner.

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En effet, de deux choses l’une:
Soit le futur gouvernement n’est pas à la hauteur des enjeux ; alors chacun aura agi à temps pour suppléer pour lui-même à son impuissance. Soit au contraire le gouvernement agit. Et là encore, de deux choses l’une : soit il échoue, ce qui ramènera au cas précédent. Soit il réussit, ce qu’évidemment je lui souhaite, et nul n’aura rien perdu à compléter l’action publique par une initiative personnelle.
En conséquence, ma recommandation à chacun de mes lecteurs est claire : agissez comme si vous n’attendiez plus rien du politique. Et, en particulier, comme si vous n’attendiez que le pire du gouvernement à venir. Et pire encore des suivants, quelle qu’en soit la couleur politique. Car, plus on tardera à réformer le pays, plus il sera difficile de le faire. Et les majorités à venir disposeront d’encore moins de moyens que l’actuelle, handicapée par l’inaction de ses prédécesseurs.
Concrètement, cela signifie qu’il convient de ne plus attendre la moindre amélioration des prestations sociales, la moindre baisse des impôts, la moindre création d’emploi public, ou la moindre décision positive d’aucune sorte.
Débrouillez-vous, tel est mon conseil. Cela veut dire : au lieu de rester chômeur et d’attendre une offre d’emploi, formez-vous, créez votre entreprise et votre emploi, avec les crédits encore disponibles ; si vous avez un emploi ennuyeux, inventez vous-même une nouvelle façon de faire votre métier, quel qu’il soit, plus amusante et plus créative. Si votre chef vous ennuie, inventez une façon (il y en a mille) de le contourner, de le neutraliser. Si vous êtes chef d’entreprise, n’attendez pas de baisse d’impôt pour investir ou embaucher ; choisissez votre stratégie au regard du monde comme il est.
Et si cela passe par votre départ à l’étranger, faites-le, sans remords, pour un temps, sans pour autant céder à l’illusion d’exotiques miroirs aux alouettes.
Le monde appartiendra demain à ceux qui, aujourd’hui, auront su renoncer à attendre quoi que ce soit de qui ce soit. De leurs parents. De leurs patrons. De leurs maires. De leurs gouvernants.
Si, dans cet éloge du réalisme, il vous reste, ce que je souhaite, une once d’altruisme, alors aidez ceux qui vous sont proches à oser aussi. Surtout ceux qui sont trop faibles ou démunis pour pouvoir se prendre en charge. Pour cela, créez des solidarités associatives, et prenez vous-même en charge la responsabilité des générations suivantes.
Accessoirement, l’agrégation de ces égoïstes et de ces altruismes privés aura un effet dévastateur et positif sur les politiques, en les poussant à justifier enfin leur raison d’être.
Pensez à vous, aux vôtres. Et osez affronter la salvatrice solitude.
Jacques Attali
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1 Comment

  1. « Intellectuel de gauche » ? ?? C’est comme si on écrivait « Macron président de gauche » !!! Jean Jaurès et Léon Blum doivent se retourner tous les jours dans leur tombe depuis un certain printemps 1981

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