Fin mai, quelques 388 millions d’électeurs européens vont être appelés à élire les 751 députés du Parlement européen des 28 États membres qui forment, à ce jour, la Communauté européenne. Ce sera le 8ème suffrage seulement, depuis le premier vote au suffrage universel direct de juin 1979. L’Europe, entité politique rêvée supranationale, née d’un des conflits les plus sanglants du XXème siècle, est encore bien jeune. Immature disent certains. En construction rétorquent les autres.
A quelques mois d’un scrutin déterminant dont va dépendre, en grande partie, la politique de l’Europe pour les cinq années à venir, les Européens s’accrochent à leurs frontières intérieures, regardent leurs voisins en chiens de faïence, regrettent leurs monnaies d’antan, accusent l’Euro de tous les maux, doutent de lendemains qui chantent, et avouent ne pas se sentir concerner par ces prochaines élections pas plus que par les précédentes d’ailleurs : même au sein des pays du noyau communautaire dur, l’Europe des douze puis des quinze, l’élection des députés européens enregistre régulièrement des records d’abstentions, exception faite des pays où le vote est obligatoire comme la Belgique, le Luxembourg et la Grèce. En France, le « parti des pêcheurs à la ligne » ne cesse d’augmenter à chaque nouveau scrutin, passant de 40% en 1979 à 60% en 2009. Et ne parlons pas des pays eurosceptiques par nature comme la Grande Bretagne qui ont choisi de demeurer un pied dehors-un pied dedans … hormis quand il s’agit de demander des aides financières d’urgence.
Face à ce front latent du scepticisme ou du rejet plus ou moins virulent, les partis politiques s’inquiètent, régulièrement. Pour leur représentation politique au sein de l’organe suprême européen ou pour, véritablement, l’avenir de l’Europe ? On peut se le demander tant leur implication laisse parfois à désirer notamment chez nos 74 eurodéputés made in France que leurs confrères accusent régulièrement d’absentéisme et d’amateurisme…
Spectacle affligeant, quelque part, que celui que tout ces pays riches –trop riches ? – donnent à d’autres, moins fortunés, pour qui l’Europe reste un rêve plus ou moins inaccessible.
Depuis près de trois mois, des Ukrainiens manifestent jour et nuit pour pouvoir faire partie de cette Europe qui peine tant à intéresser les siens. Ils réclament des élections libres pour dire haut et fort leur souhait de devenir, à leur tour, des européens et s’émanciper définitivement d’un voisin russe trop intrusif. La nuit dernière encore, des affrontements meurtriers particulièrement violents ont fait plus de dix morts et des centaines de blessés sur cette bien nommée place de l’Indépendance, à Kiev, et ce ne sont ni les premiers ni les derniers. Chef de la diplomatie européenne, Catherine Ashton s’est déclarée « très préoccupée », on le serait à moins. Laurent Fabius, Ministre des affaires étrangères français s’est lui aussi dit « inquiet de cet usage indiscriminé de la force » dans les rues de la capitale ukrainienne… qui n’est qu’à quelques 2300 kms de Paris et trois heures d’avion.
Au sud de l’Europe, c’est une nouvelle fois dans la petite ville autonome de Ceuta, une des deux enclaves espagnoles en terre marocaine avec Melilla, qu’au moins douze migrants d’origine subsaharienne qui tentaient désespérément d’entrer en Europe via cette porte espagnole, sont morts noyés ou piétinés début février, dans des affrontements très violents là encore avec les gardes civils espagnols. L’enclave de Melilla est elle un peu plus tranquille depuis que le gouvernement conservateur de Mariano Rajoy a fait réinstaller, en octobre dernier, des lames tranchantes au sommet des grillages qui encerclent la ville sur 11 km de long et 6 mètres de haut. Mis en place en 2005, sous le gouvernement socialiste de José Luis Zapatero, ces barbelés ultrasophistiqués avaient été enlevés en 2007 sur les protestations d’ONG espagnoles et internationales. Mais même dans ces conditions bien peu accueillantes, l’Europe les fait rêver, encore.
Le 17 février dernier, c’est près d’un millier de personnes qui ont été sauvées in extremis au large de l’île de Lampedusa, cette fois par la marine de guerre italienne, tout un symbole ! Située entre la Tunisie, la Libye et Malte, l’archipel italien est régulièrement assailli depuis plusieurs années d’embarcations chargées à ras-bord de migrants venus d’Afrique ou du Proche-Orient, hommes, femmes, enfants en quête d’un espace de paix et de stabilité et qui finissent parqués dans des camps surpeuplés quand ils échappent à la mort. En un an, le nombre de migrants a été multiplié par dix en Italie et les Italiens se sentent abandonnés face à cette misère qui les assaille. On se souvient de ces 300 africains disparus en octobre dernier dans le canal de Sicile et des 300 cercueils alignés devant un Manuel Barroso, Président de la Commission européenne, visiblement ému mais une fois de plus impuissant, et hué par les insulaires.
Certes l’Europe, comme la France, ne peut accueillir toute la misère du monde, d’autres l’ont dit en leur temps et ont souvent pâti d’ailleurs d’avoir eu raison avant tout le monde. Là n’est pas le propos. Reste que l’incapacité persistante de cette grande puissance qu’est l’Europe à parler d’une seule et même voix, à prendre des décisions rapides et consensuelles aux vues et aux sus d’évènements imprévus majeurs, comme dans le cadre d’une intervention en Centre-Afrique ou au Mali, ou lors des guerres de Yougoslavie qui firent quand même près de 300 000 victimes entre 1991 et 2001, ne sert pas l’image que ses ressortissants ont d’elle aujourd’hui. Et s’ils rejoignent un peu partout les diseurs de bonne aventure des partis extrémistes de tout poils, ce n’est pas tant parce qu’ils perçoivent mal l’étranger sur leur sol que parce qu’ils doutent des autorités européennes à savoir gérer ce type de situation. « Chat échaudé craint l’eau froide » dit le proverbe. Faut-il dès lors s’étonner que certains se prennent peut-être à se demander si l’Europe a jamais vraiment existé ?…
Brigitte Thévenot
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