Toulousain, souviens-toi !
Souviens-toi de ce 19 août 1944, quand ta Ville Rose a été libérée du joug de l’Occupant nazi. Souviens-toi du ciel bleu et de ta France aux yeux de tourterelle, au sol semé de héros. Car ils s’étaient levés, les Forain-FrançoisVerdier, les Alain Savary, pour dire non à l’ogre brun, celui qui dévorait nos enfants juifs déportés vers les Camps.
Toulousain, souviens-toi !
Souviens-toi de ta ville qui, au fil des siècles, ouverte comme une paume aux souffles de la mer, a su, passerelle entre les peuples et les civilisations, se dresser contre le mal et les obscurantismes. Dame Carcasse et toutes les Esclarmonde ont lutté, depuis leurs remparts, contre les contempteurs de cathares, et tu étais là, toi, Toulousain, pour dire ce qui, alors, te semblait juste. Plus tard Jean Calas criera son innocence, et ta brique rose tremble encore de l’injustice et des procès.
Toulousain, souviens-toi !
Souviens-toi de ta culture, de l’audace et du chant doublement habitée ! Toi, dont la ville a accueilli la première Académie, l’Académie des Jeux floraux, dans cette terre d’Oc riche de nos troubadours et de l’inaliénable Aliénor. Toi que Garonne a bercé de ses ondulations de femme libre, toi qui sait aller, grâce à Riquet, des effluves océanes jusqu’aux garrigues aux cent cigales, le long du Canal aux eaux vertes que Pagnol a si bien chantées, toi dont l’histoire mûrit au soleil de la diversité, souviens-toi que tu es un homme libre.
Toulousain, souviens-toi !
Souviens-toi que l’on vient de loin saluer dans ta ville tes audaces, tes richesses, tes intelligences, quand les grands avions volent vers l’avenir et que le peuple est habile à ces travaux qui font les jours émerveillés…Toulousain, ta patrie c’est Airbus, c’est ce partage entre les nations, quand l’Europe s’unit pour oublier les armes, c’est cette ville arc-en-ciel, aux couleurs du partage, ce témoin qu’il ne tonnera plus, plus jamais.
Toulousain, souviens-toi !
Souviens-toi qu’il y a deux ans un homme a tiré des enfants juifs et leur père comme des palombes s’envolant dans l’Autan, avant de faire éclater la tête d’une fillette aux boucles bondes qui s’appelait Myriam. Souviens-toi du soudain silence des harpes, quand notre Ville Rose devint blême à nouveau, blême de honte, noire de colère, quand nous fûmes des milliers à dire notre indignation et nos tristesses de voir que la paix avait abandonné à nouveau notre nid ! Souviens-toi que nous sommes tous des juifs toulousains depuis ce 19 mars 2012.
Toulousain, souviens-toi !
Souviens-toi de ta ville fière depuis des siècles, de toutes nos églises et de leurs angélus, des ouvriers d’Espagne accueillis en héros, de cette brique rouge qui sonne les révoltes, de Garonne qui gronde comme un peuple debout.
Souviens-toi de cela, le 22 février, lorsque tu auras cette envie d’aller voir Dieudonné.
Sabine Aussenac.
« Je vous salue ma France »
Je vous salue ma France, arrachée aux fantômes !
Ô rendue à la paix ! Vaisseau sauvé des eaux…
Pays qui chante : Orléans, Beaugency, Vendôme !
Cloches, cloches, sonnez l’angélus des oiseaux !
Je vous salue, ma France aux yeux de tourterelle,
Jamais trop mon tourment, mon amour jamais trop.
Ma France, mon ancienne et nouvelle querelle,
Sol semé de héros, ciel plein de passereaux…
Je vous salue, ma France, où les vents se calmèrent !
Ma France de toujours, que la géographie
Ouvre comme une paume aux souffles de la mer
Pour que l’oiseau du large y vienne et se confie.
Je vous salue, ma France, où l’oiseau de passage,
De Lille à Roncevaux, de Brest au Montcenis,
Pour la première fois a fait l’apprentissage
De ce qu’il peut coûter d’abandonner un nid !
Patrie également à la colombe ou l’aigle,
De l’audace et du chant doublement habitée !
Je vous salue, ma France, où les blés et les seigles
Mûrissent au soleil de la diversité…
Je vous salue, ma France, où le peuple est habile
À ces travaux qui font les jours émerveillés
Et que l’on vient de loin saluer dans sa ville
Paris, mon cœur, trois ans vainement fusillé !
Heureuse et forte enfin qui portez pour écharpe
Cet arc-en-ciel témoin qu’il ne tonnera plus,
Liberté dont frémit le silence des harpes,
Ma France d’au-delà le déluge, salut !
Louis Aragon, Le Musée Grévin, 1943.
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