Une prison française ou une tombe en Israël

Cinq ans après une fraude colossale au marché du carbone, qui se chiffre en milliards d’euros, les enquêteurs traquent toujours en France et en Israël les auteurs de cette « escroquerie du siècle », avec des résultats contrastés.

CO2 written in clouds in the sky
Car « l’escroquerie du siècle », comme la qualifie un enquêteur, démarre par une fraude classique à la TVA. Sauf qu’elle s’applique au marché européen des quotas de carbone, conçus pour lutter contre le réchauffement climatique.

Concrètement, des sociétés fictives achetaient des droits d’émission de CO2 hors taxe dans un pays étranger, avant de les revendre en France à un prix incluant la TVA, puis d’investir les fonds dans une nouvelle opération. La TVA, elle, n’était jamais reversée à l’Etat.
Résultat, 1,6 milliard d’euros de pertes pour le fisc français, selon une estimation de la Cour des comptes. Environ 5 milliards d’euros au niveau européen, selon Europol.

EN QUELQUES CLICS

Le tout aidé par des « failles originelles », comme l’a relevé la Cour des comptes dans un rapport cinglant en 2012: pas de sécurisation sur la perception de la TVA, accès « quasiment sans contrôle » au marché, pas de
régulation externe…Il faut dire qu’on n’en croit pas ses yeux : une marchandise aussi immatérielle qu’un  » droit de polluer » acheté à qui en détient pour être vendu à qui est obligé d’en acheter, pas d’emballage, pas de transport des montants colossaux , des factures faites par des sociétés inconnues, des crédits de TVA qui s’amoncellent! Une escroquerie en quelques clics.
Et toutes les têtes bien faites  recrutées à Bercy, à Bruxelles, n’y ont vu que du feu ! Tellement facile cette arnaque, tellement bornés ceux d’en face, on se dit qu’il y a dû en avoir beaucoup d’autres moins importantes non révélées.
Devant l’ampleur de la fraude, les transferts de quotas de CO2 ont été exonérés de TVA en juin 2009 en France.

GRAND BANDITISME

Marina de Herzeliya
Marina de Herzeliya

A ce jour, deux procès d’ampleur ont eu lieu à Paris, en 2011 et 2013.
Peine maximale prononcée: cinq ans de prison. Les fortunes amassées, elles, ont été blanchies notamment sur le marché de l’immobilier de luxe en Israël qu’elles font flamber.
C’est dans ce pays que sont soupçonnés d’avoir trouvé refuge un grand nombre d’acteurs de l’escroquerie, à l’instar d’Haroun Cohen, absent à son procès à Paris, en 2011, où il a été condamné à 4 ans de prison et un million d’euros d’amende. Récemment, la justice française a aussi perdu la trace d’un autre comparse  condamné en 2013 à 3 ans et demi de prison et 65 millions d’euros de dommages et intérêts, et dont le procès en appel à Paris est prévu la semaine prochaine.
« Les types sont tous partis en Israël et les sommes récupérées sont dérisoires », soupire un enquêteur, déçu des peines prononcées en France. Israël extrade ses ressortissants mais la procédure prend deux à trois ans.
L’arrestation de Cyril Astruc est intervenue un peu plus de deux mois après le déplacement d’enquêteurs français et belges en Israël.

La douane et la police israéliennes ont mené deux opérations majeures en octobre visant des Franco-Israéliens, notamment à Herzliya Pituach .Résultat: une quarantaine d’interpellations et une quinzaine de perquisitions.

MENACES, EXTORSIONS ET HOMICIDES

Amir Mulner
Amir Mulner

L’énormité des sommes en jeu a suscité l’intérêt du milieu traditionnel. La justice française se penche sur des extorsions de fonds, des menaces mais aussi des homicides susceptibles d’être liés à ces escroqueries.

« Quelques mois avant son arrestation, Astruc était entré en relation avec l’organisation d’Amir Mulner, l’un des parrains les plus puissants de la mafia israélienne. Il fréquentait au moins deux de ses lieutenants », affirme le
journaliste Serge Dumont, récent auteur d’une enquête intitulée « L’histoire vraie de la mafia israélienne ».

Mais Cyril Astruc se serait fâché avec son « protecteur », qui assurait sa sécurité en échange de ses ressources financières, ce qui expliquerait son départ précipité en France. « Mieux vaut finir dans une prison française que
dans une tombe en Israël », résume un connaisseur de l’affaire.

Ses avocats, Me David-Olivier Kaminski et Philippe Dehapiot, estiment plutôt qu’Astruc « en a eu assez que son nom serve de clé de sortie à certains qui l’utilisent à tort et à travers dans les procédures ». « Il est dans
l’optique de s’expliquer », assurent-ils.

UNE DÉLÉGATION DE DIX MAGISTRATS

Selon plusieurs sources, Israël a d’abord peu coopéré avec la justice française, mais beaucoup constatent de réels progrès.

Le premier groupe de travail police/justice franco-israélien s’est réuni les 2 et 3 février à Jérusalem, selon une source diplomatique, qui y voit une « étape majeure » dans la coopération. La délégation française était composée de dix magistrats, dont le juge antiterroriste Marc Trévidic.

« Notre coopération internationale est excellente, en particulier avec la France », a déclaré Yehuda Shaffer, procureur adjoint au ministère de la Justice israélien. « Il n’est pas vrai qu’Israël soit un refuge pour les
Juifs responsables de crimes à l’étranger », plaide cet ex-directeur de l’Autorité chargée de la lutte antiblanchiment financier.
Le ministère de la Justice a gelé 60 millions d’euros et confisqué définitivement 20 millions lors d’opérations antiblanchiment en 2013, des chiffres en progression. Dans un rapport publié jeudi au Conseil de l’Europe à
Strasbourg, Israël a néanmoins été « vivement incité » à améliorer son régime antiblanchiment.
D’après le texte de Andréa Bambino et Philippe Agret pour AFP

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