Kerry diable ou sauveur ?
Il est à présent clair que le secrétaire d’Etat américain John Kerry est en passe de devenir, aux yeux des Israéliens, soit le sauveur national pour la paix soit le diable en personne.
Il n’y aura pas de juste milieu …. Ce sera ou tout blanc ou tout noir. Nous assistons là à un moment rare de politique étrangère, une sorte de «va-tout » diplomatique. Prenez donc un siège et asseyez-vous. Ce n’est pas tous les jours que l’on voit cela.
En fait, que Kerry ose-t-il vraiment tester et vérifier ? Un point que chacun tente habilement d’esquiver et qui est de savoir quel est le statut des négociations de paix entre Palestiniens et Israéliens et où elles en sont à ce jour ? Sont- elles près du but, a-t-on déjà raté le coche ou est-ce un fiasco total ?
Les questions qu’on est amené à se poser sont les suivantes :
1) Israël est-il devenu si puissant par rapport à ses voisins, que la symétrie dans les négociations semble s’avérer impossible, d’autant que les Palestiniens ne sont plus désireux, ni même capables, d’engager une nouvelle intifada qui forcerait Israël à se retirer ?
2) La région (du Moyen-Orient) est-elle devenue si instable que tout retrait d’Israël de quelque territoire que ce soit paraisse désormais inenvisageable?
3) Le nombre des Juifs israéliens vivant à Jérusalem et en Cisjordanie est-il devenu si important – près de 540.000 à ce jour – qu’il impossible de les en déloger ?
4) Le droit du retour dans le discours des Palestiniens est–il devenu profondément indissociable de leur politique ?
Lorsque qu’on additionne toutes ces questions et problèmes, il semble effectivement utopique d’espérer que quelque dirigeant que ce soit, Israélien ou Palestinien, ne trouve la force et l’audace de faire ces incommensurables concessions, pourtant indispensables à l’établissement d’une solution à deux Etats.
Le Président Obama est en train de laisser faire Kerry afin qu’il teste tous ces points. Et Kerry s’adonne à cette tâche avec une ardeur sans limite, proche de la frénésie. On ne compte plus le nombre incalculable de visites qu’il a déjà effectuées dans la région …
Après avoir laissé les deux parties s’affronter vainement, six mois durant, Kerry est maintenant déterminé à leur présenter un plan de paix dans lequel seront clairement exposées les concessions fondamentales exigées par Washington de chacune des parties, afin de parvenir à un accord de paix durable et équitable.
Plan de paix de Kerry
« Le plan Kerry » qui sera très bientôt dévoilé, devrait en appeler à la fin du conflit, à la fin de toutes doléances ou revendications, et ce, consécutivement au retrait israélien progressif de Cisjordanie (sur la base des lignes de 1967), lequel serait accompagné de la mise en place d’arrangements sécuritaires sans précédent dans vallée du Jourdain, considérée comme une région stratégique. Le retrait israélien n’inclurait pas certains blocs de colonies, mais en compensation, l’Etat hébreu concéderait aux Palestiniens des territoires israéliens. En outre le « plan Kerry » exigerait des Palestiniens de reconnaitre Israël comme l’Etat-nation du peuple juif et en contrepartie, Jérusalem-Est serait reconnue comme leur capitale. Par ailleurs, le plan n’accorderait aucun droit de retour aux réfugiés palestiniens en Israël.
Kerry attend et espère que les deux dirigeants israélien et palestinien décrètent que ce plan de paix puisse, a minima, leur servir de base à toutes futures négociations et ce, en dépit de réserves respectives qu’ils auraient sur des points de ce plan.
Revirement de Netanyahu?
Et, c’est là que les choses deviendront intéressantes. Les responsables israéliens et américains en contact étroit avec Netanyahu le décrivent comme un homme déchiré se trouvant confronté à un dilemme crucial: d’une part, il est parfaitement conscient de l’importance capitale d’une solution en faveur de deux Etats, et ce, pour préserver l’intégrité d’Israël en tant qu’ Etat juif démocratique entretenant de cordiales et solides relations avec l’Europe et l’occident, relations vitales pour son économie. D’autre part le Premier ministre reste complètement méfiant et circonspect quant aux intentions palestiniennes, déclarant la semaine dernière « qu’il ne voulait pas d’un Etat binational », ajoutant « qu’il ne voulait pas non plus d’un Etat qui commencerait à attaquer Israël ». Sa base politique cependant, celle dont il est pétri, l’empêche d’opérer un revirement de 180°.
Par conséquent, bien que Netanyahu ait commencé ici (en Israël) à préparer le terrain au futur plan de paix américain, s’il agit conformément à la base de ce plan, même avec des réserves, sa coalition risque de voler en éclats. Il perdra alors une majeure partie de son propre parti le Likoud ainsi que tous les alliés que compte son aile droite. En d’autres termes, pour aller de l’avant, Netanyahu devra mettre sur pied une nouvelle base politique composée de partis du centre. A cet effet, Netanyahu devra faire peau neuve, se donner une nouvelle stature de leader, et surmonter son intrinsèque dichotomie pour tout ce qui est d’un accord avec les Palestiniens. Et il devra devenir le meilleur, le plus fervent et convaincant démarcheur pour faire l’article et vendre la solution de deux Etats, à défaut de quoi cette dernière risque de se retrouver reléguée aux oubliettes.
Rien en politique ne comporte autant de risques qu’un revirement et pourtant rien n’est plus gratifiant qu’un revirement réussi, a déclaré Gidi Grinstein, président de l’institut REUT (prestigieux institut israélien de stratégie).
Il faudra donc à Netanyahu, opérer un revirement radical, le forçant à se dégager lentement mais sûrement de ses anciennes positions et se départir de ses plus fervents partisans qui deviendront alors ses plus ardents détracteurs. Il devra alors mettre sur pied une nouvelle coalition composée de ses anciens opposants qui devront le soutenir vaille que vaille. Alors dans une chorégraphie, de deux pas en avant un pas en arrière, les meneurs de ce revirement devront déplacer le centre de gravité de leur ancienne base pour l’orienter vers leur nouvelle plate-forme.
Thomas Friedman – Editorialiste au New-York Times
Traduction de l’anglais : Betty HAREL
http://nosnondits.wordpress.com/
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