On pouvait jusqu’à une date récente se demander s’il était habile de prendre contre Dieudonné des mesures de coercition. On craignait de lui accorder une publicité excessive, d’attirer sur lui l’attention d’une opinion jusque là indifférente dans sa masse, d’en faire une sorte de martyr de la liberté d’expression. Ces scrupules sont aujourd’hui dépassés. Grâce aux réseaux sociaux, Dieudonné recueille déjà l’adhésion ignorante mais fervente d’un nombre considérable d’internautes. Le salut qu’il a inventé, la « quenelle », une variante plus ou moins grotesque du salut hitlérien, se répand dans des cercles de plus en plus larges. Avec Soral et quelques autres bateleurs nazillons, il est une vedette pour un nombre croissant d’adeptes qui croient défier « le système » et qui ne sont que les jouets stupides d’une opération antisémite qui ne prend même pas la peine de se camoufler.
Par le biais de la dérision et du sarcasme pour Dieudonné, avec une solennité ridicule pour Soral, il s’agit de répandre l’idée que les juifs exercent un pouvoir indu sur la société, qu’ils mènent le monde en secret et qu’il faut les combattre, aujourd’hui par la parole, demain par d’autres moyens. Les chambres à gaz, par exemple, dont Dieudonné fait un sujet de plaisanteries récurrentes. Dieudonné se pense en comique rebelle. Il est un raciste banal, tel qu’il en existait tant dans les années 1930. Sous des oripeaux burlesques, il déverse à longueur de vidéos postées sur YouTube – qui prend là une triste responsabilité – ses obsessions anti-juives et négationnistes.
Malade ou salaud ? On hésite. Mais telle n’est plus la question. Il existe en France des lois contre le racisme. Il est temps qu’elles s’appliquent. Faut-il passer par une interdiction pure et simple édictée par le gouvernement de la République ? Ou bien par des procédures judiciaires ? Les juristes trouveront les modalités les plus adéquates. Mais le sens de l’action nécessaire n’est pas douteux. La liberté d’expression est générale en France. Elle souffre seulement quelques exceptions, par exemple pour les nostalgiques d’une idéologie qui a ravagé l’Europe entre 1933 et 1945. Nous y sommes. Il s’agit de réduire quelques nazis au silence. Ce n’est pas une affaire politique ou philosophique. C’est une affaire de police.
Laurent Joffrin – Le Nouvel Observateur
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