En 2013, le fonds de commerce de l’antisémitisme
ne s’est jamais aussi bien porté.
Les thèses et les gestes sans équivoque ont trop souvent été relayés par des médias exhibitionnistes qui confondent investigation et divertissement, information et racolage, liberté d’expression et démagogie.
Ces dérives prétendent contribuer au débat d’idées mais ont incité à libérer la parole jusqu’à l’écœurement. Le contexte actuel est celui d’un appauvrissement de la réflexion politique, d’une dégradation du dialogue, d’une absence d’ambition des projets, d’une évaluation tronquée des enjeux. Et dans ce contexte, tout est permis.
Les amateurs de foire se frottent la quenelle à chaque spectacle ; les harangueurs trotskystes recrutent leurs fidèles par des grognements d’hommes à barbe ; les télé-évangélistes distribuent la bonne parole et ont toujours raison.
Triste bêtisier en vérité où les Juifs de France tiennent toujours le même rôle : celui de bouc-émissaire ou, si vous préférez, de paratonnerre contre les aigreurs électriques d’une société qui va mal.
Quand le président de la République fait une boutade maladroite à propos de l’Algérie devant les représentants du CRIF, Jean-Luc Mélenchon prétend avec l’art du raccourci féroce et contrôlé : « François Hollande s’est laissé griser par l’ivresse communautariste ». En mars dernier, le même homme prétendait à mots à peine couverts que le ministre de l’économie, Pierre Moscovici, était un suppôt de la finance internationale avec les sous-entendus qui n’échappaient à personne.
Quand Patrick Cohen fait son travail de journaliste et s’interroge sur le rôle de ses confrères face à la montée des extrêmes, Dieudonné M’Bala M’Bala regrette les chambres à gaz.
Quand un jeune homme fait seize fois le signe nazi inversé dans le public de Canal +, la chaîne s’excuse a posteriori en prétextant ne pas l’avoir remarqué avant et en minimisant l’effet diffamatoire par une pirouette qui fait passer la provocation pour une blague potache. Quand la même chaine diffuse un ‘’reportage-choc’’ sur les territoires palestiniens, le 25 novembre dernier, le réalisateur n’est autre que Paul Moreira, de la revue Politis, connu pour ses prises de position systématiquement anti-israéliennes dont on est en droit de douter de l’objectivité.
On pourrait continuer longtemps ce triste florilège de citations, insultes et autres comportements dirigés contre les Juifs, de la part de nombreux mouvements dits contestataires ou assimilés.
Parmi ces mouvements bien sûr, il y a cette gauche néo-libertaire auto-proclamée ‘’antisystème’’. Quoi de plus significatif que ce genre d’antisémitisme corrosif et primaire qui recrute ses fidèles dans les zones de non droit ? Ce Front extrémiste combat « un pouvoir invisible » qui selon lui viendrait de la sempiternelle dialectique opposant les puissants aux faibles, l’argent à la pauvreté, le confort à la misère … Ces ‘’libres penseurs’’ anticonformistes seraient les porte-paroles de toutes les injustices. Il suffirait, pensent-ils, de tirer les ficelles d’une pensée réduite à sa plus simple expression, à coup de slogans et de clichés, pour convaincre les plus sceptiques et réveiller chez les foules les frustrations et les haines.
Cette réductrice pensée révolutionnaire se résume aux 140 caractères autorisés sur twitter, guère plus. Le reste relève des effets oratoires comme l’usage du verbe haut de certains hommes politiques qui préparent leurs coups de gueule à défaut de connaître leurs dossiers.
Il faut concéder à ces leaders de l’indigence et de l’indignité un certain talent dans la manipulation et le savoir-faire médiatique qui utilise les mêmes méthodes d’intimidation et de conquête insidieuse des esprits que les terroristes patentés qui pullulent dans le monde arabe. Et pas que.
Ces marchands de rêve sont d’habiles tribuns qui montent sur scène ou au pupitre en pensant détenir la vérité pour la redistribuer à qui veut les croire. Le syndrome du parler-vrai a fait de méchants émules qui s’agitent et rassemblent pour ne défendre que leur propre intérêts. Car ces tristes hères ne sont que d’intéressés hommes d’affaires qui ne ménagent pas leur monture pour aller de plus en plus loin dans les insanités. Il faut bien exister aujourd’hui, que voulez-vous
L’incitation à la haine est devenue
un business qui rapporte.
Edwy Plenel, patron de Médiapart, vient d’être coincé dans une affaire de fraude fiscale révélée il y a peu par le journal Le Monde : le fisc lui reproche d’appliquer depuis 2010 une tva à 2,1% sur les abonnements des lecteurs en ligne au lieu des 19,6% obligatoires. Edwy Plenel se plaint de « discrimination » et d’attaque « illégitime et infondée » contre « l’indépendance de la presse ». De quelle indépendance cet ennemi d’Israël parle-t-il ? On peut s’interroger sur une telle ligne de défense de la part du patron d’un organe d’information dit ‘’anti establishment’’ mais qui se révèle suspecté d’une fraude de plusieurs millions d’euros. En quoi ce contrôle fiscal porterait-il atteinte à la liberté d’expression ? Monsieur Edwy Plenel est-il au-dessus des lois ? Ou confond-t-il ses intérêts personnels avec ceux de la vérité qu’il prétend toujours détenir ? Au nom de quoi réclamerait-il à l’état un traitement privilégié ? C’est la crédibilité morale et professionnelle de ce journaliste qu’il faut interroger sans état d’âme. Le retour brutal à la réalité fera peut-être réfléchir ce donneur de leçons pris la main dans le sac.
Les dérapages venimeux sont si nombreux ici et là qu’on aimerait vite les oublier. On aurait tort. Les rôdeurs de caniveau sont toujours à l’affût. Il faut les chasser impitoyablement.
A quand un brevet d’antisémitisme ? A quand une société de production es-qualifiée en produits recyclés des livres de l’extrême droite maurassienne d’autrefois ? N’est-ce pas pour la publication de ces livres qu’Alain Soral a été condamné il y a peu par la justice ? Aujourd’hui, c’est de l’extrême gauche bien-pensante que vient l’intolérance anti-juive qui est soutenue par les milieux antisionistes et pro-palestiniens.
En démocratie, toutes les opinions sont bonnes à dire car chacun y trouve son compte, pourquoi pas. Qu’il y ait de la misère sociale et des espoirs déçus, qui peut le contester ? Que le spectre du chômage et la menace du déclassement hantent des milliers de foyers à l’avenir incertain, qui peut le nier ?
Ce qui pose un sévère problème, c’est la ligne de conduite de ce populisme ordurier digne de la pire époque utilisée par une frange fanatique en mal d’engagement et d’idéal qui a trouvé dans l’argument antisémite une nouvelle façon d’exister. Il y a des choix politiques qui attisent le feu au lieu de les éteindre. Les banlieues laissées pour compte seraient devenues une France en marche, pluriculturelle et multi-ethnique, dont les revendications sont légitimes et révélatrices d’une souffrance qui a besoin de s’exprimer. En réalité ce nouveau sous-prolétariat courtisé par les extrêmes n’est qu’une cible électorale privilégiée.
Dans ces conditions, il va de soi que les attaques anti-israéliennes ne sont que des prétextes pour faire du conflit au Proche-Orient un faux engagement politique et une pseudo-cause humanitaire.
Le rôle des médias est de plus en plus en question. Où se situe en effet la ligne ténue entre le commentaire et la propagande ? Que penser de ces enquêtes superficielles et de ces reportages mis en scène à la télévision qui ne sont que des feuillets minces d’officines partisanes ? Comment tenir le cap de l’analyse critique et nuancée quand on contribue à crétiniser les esprits au lieu de les enrichir ? Ignorance et approximation brouillent les appels à la raison et à l’objectivité. Trop c’est trop.
Les médias rendent fou le public,
et le public en redemande.
Quand des journalistes comme Eric Naulleau (Dialogues désaccordés, éd. Blanche, novembre 2013) ou Bruno Gaccio (Peut-on tout dire ?, éd. Mordicus, septembre 2009) font connaître les thèses antisémites au lieu de les évincer, à quel jeu se livrent-ils ?
Quand Canal +, chaîne cryptée très populaire, manœuvre sans se cacher en direction de partis pris offensifs et répétés, à mi-chemin entre la dérision et la dénonciation, ne s’agit-il pas d’abord d’élargir le champ possible de ses abonnés ? Les confrontations ouvertes des idées ne les intéressent pas. On préserve simplement la supposée susceptibilité d’un public jeune auquel on s’adresse tout en se donnant le rayonnement imaginaire d’un grand média d’information. Tant pis s’il faut alimenter les bruits qui courent, s’il faut enfoncer le clou là où ça fait mal. Si le public en redemande … pourquoi se gêner ? Avant même de vendre quoi que ce soit d’anti-israélien ou d’anti-juif, Canal + se vend tout court.`
Que penser de l’insoupçonnable Arte qui rend régulièrement hommage aux victimes de la Shoah mais pour mieux racheter sa ‘’neutralité’’ ? Ses documentaires tendancieux réalisés par un admirateur du monde arabe et auteur dans Rue89, Karim Miské, soulèvent la problématique d’un ‘’mythe de la terre promise d’Israël’’ et laissent entendre que les Juifs sont des Arabes qui s’ignorent et refusent cette part refoulée d’eux-mêmes (Juifs et Musulmans, si loin si proches, diffusé en octobre 2013). Sous prétexte de rigueur factuelle et historique, il s’agit plutôt d’un détournement scientifique et d’une prise d’otage culturelle que personne n’ose contester. Une sorte de contribution européaniste et franco-allemande à la paix entre les peuples. Et qui n’en reste pas moins une interprétation contestable.
Il y a de nos jours, des chaînes de télévision qui cherchent leur place à bas prix dans l’indescriptible forêt des paraboles tournées vers le désert.
Depuis longtemps déjà les représentants de la communauté juive de France tirent le signal d’alarme : la deuxième Convention nationale du CRIF le 13 janvier dernier s’interrogeait sur « Comment combattre l’antisémitisme ? », thème repris par un colloque organisé par le BNVCA à l’Assemblée nationale le 18 février suivant.
Le sentiment de peur progresse. Trois juifs européens sur quatre (76 %) estiment que l’antisémitisme a progressé au cours des cinq dernières années dans l’Union européenne (88% des personnes interrogées en France) ; 75% accusent l’anonymat des forums de discussion et des commentaires sur YouTube ; 59% dénoncent le rôle des médias (d’après une enquête réalisée sur internet de septembre à octobre 2012 et publiée dans Le Monde le 8 novembre 2013).
Pour l’historien Marc Knobel, cette violence antijuive s’est développée chez les jeunes issus de l’immigration et en quête d’identité (Haine et violences antisémites. Une rétrospective 2000-2013 publié en janvier 2013 aux éditions Berg International Editeurs). Pour le philosophe Pierre-André Taguieff, une culture anti-juive « se développe dans les zones sensibles avec l’identification aux victimes palestiniennes qui servirait de faux alibi » (Dictionnaire historique et critique du racisme, édition Quadrige, 2013). Enfin pour le sociologue Shmuel Trigano, il y aurait dans les banlieues une « idéologie de la haine née de l’endoctrinement, de l’obscurantisme et du fanatisme ».
Le business de l’antisémitisme a encore de beaux jours devant lui.
Jean Paul Fhima
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