Rita Levi-Montalcini, la désobéissance en héritage Par Paule-Henriette Lévy

L’Arche : Des portraits, des parcours de femmes

L’Arche, « le magazine du judaïsme français », publie un hors série consacré à « des parcours de femmes de tous horizons qui se sont illustrées dans des domaines divers et qui ont laissé leur marque ».
C’est ce qu’écrit le directeur de la rédaction, Salomon Malka.
Il en a conçu le projet et confié à des essayistes, écrivains et journalistes de talent le soin d’écrire chacun l’histoire d’un parcours : « des portraits de femmes vaillantes, flamboyantes, subversives, lumineuses… » Et il termine  par une paraphrase qui lui servira de titre.

« NI MUETTES, NI SOUMISES »

Très curieusement, un seul mot manque : JUIVES

Et pourtant, elles sont dépeintes, scrutées, analysées d’abord en fonction de leur judéité assumée, revendiquée ou passée sous silence, voir niée. Ce mot qui manque c’est intéressant et révélateur.
Avec l’accord de Salomon Malka et du président du FSJU, Pierre Besnaïnou, que nous remercions chaleureusement, nous avons le privilège de publier sur notre site tribunejuive.info, ces portraits de femmes juives célèbres, ces femmes qui font partie de notre famille.
André Mamou
Rédacteur en chef. tribunejuive.info
arche avec site

Elle a tracé sa ligne et a été,

d’un bout à l’autre de son existence,

maîtresse de son destin.

 rita levi montalcini
Rita Levi-Montalcini est une femme d’un autre siècle, disparue à plus de cent ans à la fin de l’année 2012. Pourtant, ce qui caractérisait sans doute, cette dame, fluette, souvent vêtue de noir, aux yeux incroyablement bleus, c’est qu’elle n’a jamais fait cas de son époque, de ses mœurs, de ses us. Elle a traversé son temps, douée d’une volonté hors du commun, tenue par la passion de savoir, de chercher et de trouver. Rita Levi-Montalcini a décidé de ce que sera sa vie sans s’encombrer du regard des autres, des pressions sociales, de la grande Histoire pourtant terrible. Elle a tracé sa ligne et a été, d’un bout à l’autre de son existence, maîtresse de son destin, laissant aujourd’hui non pas l’indignation, hélas galvaudée, mais la désobéissance en héritage. Sa sœur jumelle Paola et elle naissent en avril 1909 à Turin, dans une famille juive séfarade de la bourgeoisie italienne. Son père est ingénieur, sa mère peintre. Très attachée à cette dernière, elle en parle comme d’un être doux, exquis, toujours à l’écoute des autres et en même temps, empreinte d’une vie intérieure d’une grande richesse.

« Être juif peut ne pas être agréable,

mais cela a engendré en nous un grand élan intellectuel. »

Cette empathie maternelle ne sera pas sans laisser de traces sur la jeune Rita qui décide en 1930 d’entamer des études de médecine après avoir vu un intime de la famille mourir d’un cancer. L’époque et le milieu qui sont les siens connaissent peu de jeunes filles de famille prendre de telles décisions, perçues alors comme excentriques.

Le choix d’une vie

Ses parents, son père surtout qu’elle vénère, voient d’ailleurs cela d’un très mauvais œil. Pour eux, il est clair qu’une femme de la bonne société italienne doit avant tout penser au mariage et se consacrer, celui-ci scellé, à ses enfants et sa maison. Cette perspective ne convient pas au futur prix Nobel qui confiera lors d’une interview accordée à RCJ : « Toutes les femmes ne sont pas faites pour se marier et pour avoir des enfants. Personnellement, je les aime beaucoup mais je n’ai pas un instant envisagé d’en avoir. Le temps pris à les élever aurait été du temps en moins à consacrer à mon travail et il n’en était pas question. Certains choix peuvent être douloureux mais la prise de décision est toujours salutaire. Il ne faut contraindre personne, jamais, à un destin préétabli. »
Rita Levi Montalcini sait sa vie ailleurs et autrement que le veut son époque et passe outre. Médecin en 1936, elle voit deux ans plus tard sa carrière s’interrompre brutalement par le Manifeste de la race de Benito Mussolini et l’introduction de lois interdisant aux juifs des carrières académiques. Mussolini en fait la proclamation le 18 septembre 1938 depuis le balcon de l’hôtel de ville de Trieste, ville où vivait l’une des plus importantes communautés juives d’Italie. Rita Levi Montalcini n’est pas femme à baisser les bras, moins encore à accepter l’inacceptable. Elle part pour Bruxelles, accueillie dans un institut de neurologie. Le choix de la Belgique n’est pas le bon, car le pays est envahi par l’armée allemande. Rita retourne donc à Turin et, dans un laboratoire de fortune aménagé dans la chambre à coucher de son appartement, elle va réaliser ses premières expériences sur la croissance des fibres nerveuses.

Des caves au Nobel

rita levi montalcini2
À l’automne 1943, elle se terre dans les caves de Florence, soigne des réfugiés, fabrique de faux papiers et continue sans relâche son travail, faisant fi des conditions précaires dans lequel il s’effectue. Comme beaucoup de chercheurs reconnus, ce qu’elle est dès la fin de la guerre, elle reçoit de nombreuses invitations d’université de par le monde. En septembre 1946, elle accepte celle de l’Université de Washington à Saint-Louis dans le Missouri. C’est là que Rita se fixera. C’est là qu’elle mènera sa carrière durant trente ans. C’est là qu’elle réussira, en 1952, l’exploit d’isoler le facteur de croissance nerveux, grâce à ses observations de certains tissus cancéreux qui provoquent une croissance rapide des cellules nerveuses.
À partir de ce moment, sa carrière va prendre un autre relief qui lui permet notamment d’établir une unité de recherche à Rome. Retour aux sources, la voilà qui va partager son temps entre la capitale italienne et la ville américaine de Saint-Louis. Ses travaux, qui vont contribuer à briser le dogme selon lequel, au cœur de notre matière grise, tout meurt et rien ne peut être régénéré, seront en 1986 récompensés du prix Nobel de physiologie ou médecine ; un prix qu’elle partagera avec un autre scientifique, le brillant Stanley Cohen. Un prix Nobel change la vie, en raison notamment des innombrables sollicitations dont il est difficile de se soustraire systématiquement.

Message d’espoir

Rita Levi Montalcini, de conférence en conférence, en profitera pour faire passer son message d’espoir à l’attention de la jeunesse dont elle a toujours été très proche et dont elle aime s’entourer : « Le message que je désire envoyer, c’est d’affronter la vie sans penser à sa propre personne mais avec la plus grande attention envers le monde que vous entoure. Je dis aux jeunes : pensez à votre futur, pensez à ce que vous pouvez faire, et ne craignez pas les difficultés : j’en ai traversé beaucoup, sans peur », dira-t-elle lors d’une interview accordée au quotidien italien la Repubblica. « Profondément attachée aux valeurs du judaïsme », avait-elle confié à RCJ, elle précisera dans les colonnes d’Il Messaggero : « Je suis juive, laïque, sans orgueil et sans humilité. Je ne vais pas à l’église ou à la synagogue. Je ne porte pas comme une médaille l’appartenance à un peuple qui a beaucoup souffert, et je n’ai jamais essayé d’en tirer profit ou des compensations morales. Être juif peut ne pas être agréable, ce n’est pas confortable, mais cela a engendré en nous un grand élan intellectuel. Comment pouvez-vous dire qu’Einstein appartenait à une race inférieure ? Nous devrions abolir dans nos esprits la notion de race. Il y a des racistes, et non des races. Ce ne sont que les individus qui m’intéressent. »
Cette préoccupation, cet amour des individus l’avait conduite en 1992 à créer, avec sa sœur jumelle Paola, la Fondazione Levi Montalcini, en mémoire de son père, destinée à financer les études de femmes africaines, en Éthiopie, au Congo et en Somalie notamment, et de jeunes dans le besoin.

« Le corps fait ce qu’il veut.

Je suis mon esprit. »

Première femme présidente de l’Encyclopédie italienne, Rita Levi-Montalcini était membre des plus prestigieuses académies scientifiques, comme l’Académie des sciences italienne, la National Academy of Sciences aux États-Unis et la Royal Society de Londres, nommée sénateur à vie en août 2001, par le président de la République italienne Carlo Azeglio Ciampi pour « ses grands mérites dans le champ scientifique et social ». À sa mort, à presque 104 ans, le Wired-Italia publiera en une sa photo à l’âge de 98 ans, accompagnée de ces quelques mots : « Il corpo faccia que che vuole. Io sono la mente.* »
* Le corps fait ce qu’il veut. Je suis mon esprit.
 
 

Suivez-nous et partagez

RSS
Twitter
Visit Us
Follow Me

Soyez le premier à commenter

Poster un Commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*