Au XXème siècle, les femmes ont conquis leur liberté et leur indépendance au sein du couple. Dans les démocraties occidentales, la femme juive a pris part elle aussi à cette évolution, pour le moins dans la vie civile. Mais dans le domaine cultuel, le sujet suscite encore bien des discussions à travers lesquelles s’opposent les différents courants de pensée.
L’héritage des sages, transmis de génération en génération au cours des millénaires a laissé une empreinte particulièrement forte dans le judaïsme. On ne peut balayer aussi facilement l’influence de socles de savoirs et faire valoir l’aberration de certaines pratiques dans la société actuelle.
Pour justifier la différence de statut entre l’homme et la femme, le rabbin Samson Raphaël Hirsch (1808-1888), une des personnalités phares de la néo-orthodoxie en Allemagne, considérait que l’épouse, demeurant davantage dans la sphère spirituelle du foyer et donc dans « la proximité de Dieu » contrairement à l’homme, n’avait nul besoin d’observer autant de commandements que lui. Mais au XIème siècle déjà, dans les communautés ashkénazes, l’interdiction du divorce sans consentement de la femme par le Rabbénou Guerchom Meor Hagola avait bouleversé considérablement le droit rabbinique.
LE PROBLÈME DES AGOUNOT
A rebours du cours de l’histoire, la femme est aujourd’hui lésée sur le plan juridique. Lors d’un divorce, la femme est tributaire de son époux, auquel il appartient de délivrer le guet, l’acte de divorce. S’il s’y oppose, la femme se trouve dans l’incapacité de prétendre à un nouveau mariage. Elle est « Agounot », c’est-à-dire enchaînée. Par ailleurs l’interdiction du divorce religieux n’empêche pas l’homme de créer une seconde lignée (la polygamie était tolérée à l’origine), alors qu’en pareil cas la femme est qualifiée d’adultère et sa descendance de second lit « mamzèr » (1), selon la loi juive (Halakha).
UN BOULEVERSEMENT DES MENTALITÉS
Chez les orthodoxes classiques, Richard Wertenschlag, Grand Rabbin de Lyon, rappelle le rôle des matriarches dans l’histoire juive : « Le peuple hébreu, libéré de l’esclavage, a été sauvé par le mérite des femmes vertueuses. Au temps des Tanaïm, les rédacteurs de la Michna, les sages du Talmud venaient consulter Berouria, l’épouse de Rabbi Méïr, connue pour son érudition ». L’éloge du legs de ces matriarches suscite la fierté des femmes d’aujourd’hui. Les autorités religieuses du judaïsme récusent toute discrimination à l’égard de la femme et insistent sur la valeur différentialiste des genres, estimant que la femme n’a pas le même rôle que l’homme et inversement. Toutefois, de nos jours, la mention de cette différenciation est-elle suffisante pour satisfaire une femme juive souhaitant concilier pratique religieuse et vie quotidienne ? Les consistoires centraux ne courent-ils pas le risque de perdre certains de leurs fidèles femmes au profit des mouvements massortis et réformateurs ? R.Wertenschlag le conteste : « On constate de plus en plus un retour aux sources, dans tous les milieux ; il y a chez beaucoup de jeunes gens, venus de familles totalement assimilées, en quête de vérité, un engouement extraordinaire pour suivre des cours de la Torah et appliquer les préceptes religieux, dans leur intégralité et dans leur authenticité. Il suffit de voir aussi l’affluence dans les mikvaot qui attirent les jeunes femmes, bien au-delà du cercle des orthodoxes ».
MODERN ORTHODOX
Entre le courant orthodoxe classique et le mouvement massorti émerge actuellement en France l’orthodoxie moderne. Encore peu développé dans notre pays, il est majoritairement présent en Israël et aux Etats-Unis. Pour Emmanuel Bloch, co-auteur du blog Modern Orthodox, il faut distinguer deux obédiences : « les Modern Orthodox stricts, assez ouverts, en particulier sur l’éducation des femmes, y compris pour des matières religieuses comme le Talmud (enseignées aux garçons) ; ils acceptent sans problème que des femmes aient des responsabilités publiques, comme président de synagogue, ou qu’elles parlent devant un public mixte. Ils sont en revanche plus réticents en matière de changement dans le culte, une femme ne pouvant devenir rabbin, ni chantre. Mais elle peut normalement réciter le Kadich à la mémoire d’un parent disparu. Chez les « MO light », la position de la femme est beaucoup plus égalitaire. Dans certaines synagogues, les femmes font une bonne partie de la prière publique et il existe même une poignée de femmes rabbins ».
Parmi les courants les plus portés sur les revendications féministes figurent les mouvements massortis et libéraux. Ils se différencient dans leurs règles d’exigence rituelle, mais pas sur le statut de la femme. Rivon Krygier, rabbin massorti de la communauté Adath Shalom (Paris) assure: « La plupart de nos communautés acceptent les femmes rabbins. Toutefois, on ne peut pas imposer de femme contre le désir d’une communauté si celle-ci n’y est pas prête. Nous menons d’âpres discussions jusqu’à ce qu’il y ait une maturité d’idées, c’est un sujet qui bouleverse les mentalités ». Le mouvement massorti n’est pas reconnu par le consistoire et R.Krygier regrette, entre autres, « sa façon de concevoir la place de la femme ». Féministe, l’historienne Esther Bénichou n’est toutefois pas du tout en phase avec la vision des massortis concernant la place de la femme : « A mon sens, il n’y a pas d’intérêt à voir une femme réciter la Torah de la même manière qu’un homme. Chacun a un rôle bien déterminé ».
WOMEN OF THE WALL
En Israël, le débat sur la place des femmes dans le judaïsme s’est cristallisé autour des revendications du mouvement féministe « Women of the wall », l’association des femmes du mur des Lamentations. Ces femmes réclament le droit de porter des Sefer Torah, lire la Torah, et se vêtir de vêtements religieux au mur des Lamentations (Kotel). Anat Hoffman, la responsable, déclare : « En Israël, nous sommes régis par une société patriarcale, et le pouvoir se concentre autour des militaires et des religieux. Petit à petit émergent des poches de résistance. Initiées par les femmes, elles impulsent un changement sociétal ».
Le judaïsme s’efforce de trouver actuellement un juste équilibre entre le maintien des traditions et le modernisme. Il y parvient fort bien dans la plupart des cas. Mais des revendications se font entendre et leur expression est légitime. La religion doit-elle rester le seul domaine où la femme serait sous tutelle ?
Magali Barthès
crédits photos : – Mouvement Massorti
– Alain Story (pour celle du Grand Rabbin de Lyon).
(1)Forme de nom masculin dérivé de la racine mzr ayant pour sens corrompu.
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