« le racisme n’est pas une opinion mais un délit »
Il leur en aura fallu du temps !
Matignon a annoncé le 12 novembre 2013 qu’une plainte avait, enfin, été déposée auprès du Procureur de la République de Paris pour « injures publiques à caractère racial » contre le journal d’extrême-droite Minute qui fait aujourd’hui sa Une sur « la banane retrouvée » de Christiane Taubira, reprenant à son compte les propos inacceptables dont la Garde des Sceaux est victime depuis trop longtemps.
Oui, depuis beaucoup trop longtemps et c’est un indice, à mon sens, extrêmement négatif et très inquiétant de la santé de notre société et de la capacité de nos hommes politiques, qu’ils soient de gauche ou qu’ils soient de droite, à réagir dignement face à de tels propos à quelques exceptions près. Trop peu se sont en effet manifestés dans cette affaire qui a quand même commencé il y a près d’un mois maintenant avec la diffusion du reportage d’Envoyé Spécial de France 2
Faut-il parler de manque de courage ? Même pas. C’est bien pire. Il n’est pas nécessaire d’être particulièrement courageux pour prendre la parole à l’Assemblée nationale dans de telles circonstances, dire son indignation, en son nom ou -c’eût encore été mieux ! – au nom du groupe parlementaire auquel on appartient. Profiter pour une fois, spontanément et sans arrières pensées, de la cohorte de journalistes toujours présents dans la salle des pas perdus de l’Assemblée pour témoigner sa sollicitude à Christiane Taubira… Claude Bartolone, Président de la Chambre, ne pouvait-il, beaucoup plus vite, immédiatement, lui s’y prompt d’ordinaire à faire taire les uns ou les autres, solliciter un moment de rassemblement, un front républicain dans l’hémicycle ? François Hollande, lui-même, capable de décrocher son téléphone pour s’entretenir avec une gamine de 15 ans qui a mis pendant quelques jours quelques milliers de lycéens généreux dans la rue, ne pouvait-il dire publiquement son indignation envers les insultes racistes dont était victime, à plusieurs reprises, un des membres de son propre gouvernement ?
UNE FAUTE POLITIQUE
Il est vrai que la principale intéressée s’est elle-même montrée extrêmement silencieuse et a refusé de porter plainte tout en s’émouvant quand même d’un manque de considération de la classe politique… Même si Christiane Taubira en a certainement vu bien d’autres au cours de sa carrière pour être femme, pour être noire, et qui plus est les deux à la fois, pour être une femme politique courageuse, que l’on partage ou non ses opinions, défendant ses idées avec le tempérament qu’on lui connaît, ce silence de la République en la circonstance me laisse quant à moi un goût amer.
Il s’agit là d’une absence totale de civisme, de morale, d’empathie. Une faute politique. Et c’est à mon avis particulièrement grave pour des gens élus au suffrage universel, censés légiférer et diriger la République. On me rétorquera sans doute que beaucoup l’on fait directement, discrètement, auprès de l’intéressée… Ce n’est pas suffisant dans le climat nauséabond qui règne en France actuellement.
Il fut un temps où, de la même façon, Jean-François Kahn dans L’Événement du Jeudi et Anne Sinclair à Sept sur Sept, refusaient, l’un de parler de l’extrême-droite dans les colonnes de son journal, l’autre d’inviter ses représentants sur le plateau de l’émission-phare du dimanche soir sous prétexte que parler d’eux aurait été leur faire trop d’honneur et que les ignorer pourrait les faire oublier… La suite a montré que l’un comme l’autre avaient fait une bien mauvaise analyse.
« L’Holocauste ? un grand crime présumé… »
Oui, les idées de l’extrême-droite font leur chemin en France et en Europe, nous en avons souvent parlé dans les colonnes de Tribunejuive.info. Insidieusement mais sûrement, les partis qui s’en réclament plus ou moins ouvertement sont au pouvoir ou en passe d’y accéder, que ce soit avec ou sans allégeance aux partis de droite traditionnels : c’est le cas dans le tranquille petit royaume du Danemark depuis 2001, en Autriche où l’Alliance pour l’Avenir de l’Autriche (FPÖ) créé par Jorg Haïder est désormais bien installée. En Allemagne, Udo Voigt leader du Parti National Démocrate (NPD) ne s’en cache même plus : « l’Holocauste ne serait qu’ »un grand crime présumé »… En Norvège, le Parti du Progrès est officiellement pro-libéral, mais qu’on ne s’y trompe pas : si les noms varient et cherchent à rassurer (comme par exemple L’Union démocratique du Centre dans la douce Suisse), les programmes ne laissent place à aucune ambiguïté quant à leurs intentions et leurs pensées profondes. Tous sont ouvertement racistes et antisémites. Et des électeurs toujours plus nombreux adhérent à leurs thèses.
« Le ventre est encore fécond d’où a surgi la bête immonde »
La résistible ascension d’Arturo Ui, Bertold Brecht (1941)
En Belgique, le Vlaams Belang progresse inexorablement à chaque scrutin. La droite traditionnelle leur a ouvert les bras et les portefeuilles aux Pays Bas. La Suède a fait la Une de tous les journaux quand Les Démocrates Suédois ont raflé 20 sièges aux Législatives de 2010, du jamais vu en Scandinavie. Et c’est vraisemblablement contagieux, car ils ont fait des émules côté Finlande où le Parti des Vrais Finlandais a le vent en poupe. En Hongrie, ils se regroupent sous le nom de Lobbik, qui devient L’Ataka en Bulgarie, L’Aube dorée en Grèce… Et l’on se souviendra longtemps d’un soir d’élection présidentielle en France, en 2002, où à la surprise quasi générale, Jean-Marie Le Pen, Président du Front National accéda au second tour de l’élection…
Comme le dit un sage proverbe italien, Chi va piano va sano e va lontano. Apparemment, ça marche aussi en politique où les parias d’autrefois reviennent en force, se refont une vertu en deux temps trois mouvements, et semblent à nouveau fréquentables à certains. En Italie, la Ligue du Nord aux allures fascisantes marquées a ainsi été de tous les gouvernements de Silvio Berlusconi depuis une bonne vingtaine d’années et continue ses permanentes manœuvres de déstabilisation du pouvoir. Ministre de l’Intégration du Gouvernement d’Enrico Letta, Cécile Kyenge en sait quelque chose : membre du Parti Démocrate, née au Congo, émigrée à 18 ans en Italie où elle fit toutes ses études de médecine, Cécile Kyenge subit les mêmes attaques odieuses que sa consoeur française. Sa protection rapprochée a dû être renforcée devant les menaces réitérées à son encontre.
Les idées d’extrême-droite sont passées des caves à la Une des media. Elles ont retrouvées une place dans le débat public exsangue de nos sociétés en crise, se sont refait une certaine virginité, gommant çà et là les traits trop voyants de certains de ses membres.
Est-ce à dire que la France est raciste et antisémite ? La question ne se pose pas en ces termes. Mais y répondre par la négative serait déjà par trop optimiste.
Il n’est qu’une seule et unique option face au racisme et à l’antisémitisme : tolérance 0, tolérance zéro !
Brigitte Thévenot
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