« J’AI AIMÉ MON PAYS DE TOUT MON CŒUR ET DE TOUTE MON ÂME ET LE TEMPS VENU, J’AI REJOINT SA TERRE »
Il est des destins qui dépassent les meilleures fictions. Il n’est pourtant pas donné à tout le monde de les vivre pleinement, d’en faire une Oeuvre.
Alors que je peinais lamentablement sur les portraits que Christine Clerc dresse dans son dernier livre (Les Conquérantes, douze femmes à l’assaut du pouvoir) des Aubry, Dati,Duflot, Fillipetti, et autres consorts, la biographie que Moti Kfir et Ram Oren viennent de consacrer à l’agent du Mossad, Sylvia Rafael m’a emportée dans un grand souffle d’air pur bien loin des salons chics parisiens pour opportunistes de tout poils et des intrigantes de Cour.
Tout à la fois roman d’espionnage et fresque historique, ce livre n’en est pas moins l’histoire véridique et édifiante d’une héroïne des temps modernes, une vraie celle-là !
RIEN NE SE TERMINE RÉELLEMENT
Née en Afrique de Sud, dans une famille de cinq enfants, d’un père juif d’origine ukrainienne et d’une mère fille d’une famille de Boers chrétiens, la jeune Sylvia Rafael avait un parcours programmé et facile de femme au foyer dans la bonne bourgeoisie sud-africaine des années 1960.
C’était sans compter avec sa personnalité, «brillante, extravertie, pleine de ressources, courageuse, au goût exacerbé pour l’indépendance», comme la décrit un des tout premiers rapports que lui consacre le Mossad lors de son recrutement.
En plus, elle est jolie, ce qui ne gâte rien. Fraîchement débarquée en Israël, la jeune fille n’a qu’une idée en tête : agir pour ce qu’elle considère depuis toujours comme son pays même si selon la Loi religieuse, elle n’est pas juive. La précision prête forcément à sourire rétrospectivement au regard de son parcours exemplaire au service d’Israël, une vie entière… Et c’est précisément Moti Kfir, l’un des deux auteurs de cette biographie, qui sera, sous le nom de «Gadi», son premier contact avec les services de renseignements hébreux dont elle va très vite devenir l’un des agents les plus chevronnés. Il dirige alors lui même l’École d’entrainement de l’Unité 188, l’école des opérations spéciales du Mossad, et sera le formateur de Sylvia Rafael, puis son supérieur hiérarchique, son compagnon de lutte et de travail, son ami. Sa postface à ce livre est à la fois humble, lucide et émouvante, précisant que « rien ne se termine réellement »…
11 ATHLÈTES ASSASSINES
Le parcours de Sylvia Rafael entrecroise en permanence celui du terroriste Ali Salameh (qui se faisait appeler Abou Hassan au sein du Fatah), instigateur de l’attentat des Jeux Olympiques de Münich en 1972 où 11 athlètes israéliens furent assassinés par l’organisation palestinienne Septembre noir dont il était le principal dirigeant.
Ce parallélisme bien mené est très intéressant et maintient le lecteur en haleine, nous dispensant d’un récit qui aurait pu tourner rapidement à une succession d’histoires toutes plus hagiographiques les unes que les autres voire à l’allégorie pure et simple. Il n’en est rien : au-delà de l’affrontement de deux individus l’un cherchant à éliminer l’autre et inversement, c’est une page d’histoire du Proche-Orient dans les années 1970 qui s’écrit, une page de l’histoire des services secrets israéliens confrontés aux groupes terroristes palestiniens, l’affrontement de deux mondes hostiles, antagonistes, ennemis, ponctués de détails et révélations (les auteurs ont le sens de la description) qui rendent particulièrement vivant et captivant le récit.
PLUSIEURS ANNÉES DE PRISON
L’histoire s’arrêtera en Norvège, à Lillehammer, lors d’une mission ratée, mal préparée, mal gérée (comme quoi, même les meilleurs ne sont pas infaillibles…), toujours sur la trace d’Ali Salameh que le Mossad pense avoir repéré là. Le fiasco est total : le commando du Mossad confond le terroriste avec un jeune serveur norvégien d’origine marocaine qui est abattu par erreur. Sylvia Rafael est arrêtée. Elle fera plusieurs années de prison. Mais comme la vie est pleine de rebondissements pour une héroïne de roman, c’est en prison qu’elle fera la connaissance de celui qui deviendra son mari, un brillant ténor du Barreau d’Oslo, nommé pour sa défense et qui obtiendra sa libération anticipée.
Le projet d’Ali Salameh de la tuer le premier avortera, grâce semble-t-il à l’intervention de Yasser Arafat… et surtout sous la pression des autorités norvégiennes dont elle est une ressortissante depuis son mariage. Celui de Sylvia Rafael finira par aboutir : Ali Salameh est tué en 1979 à Beyrouth dans l’explosion de la voiture qu’il s’apprêtait à prendre, sans savoir que les services israéliens l’avait lestée de la quantité d’explosifs nécessaire. Sylvia Rafael est alors elle-même «retirée des affaires» et vit en Afrique du Sud avec son mari, auprès de sa famille.
« J’AI REJOINT SA TERRE »
Elle apprend la mort de son ennemi de toujours dans le journal du matin, comme tout le monde, ou presque. Les supputations du journaliste la laisse de marbre. Elle ne doute pas un seul instant que c’est la main du Mossad qui vient de frapper. « Je suis ravie qu’enfin justice ait été faite », lâche-t-elle à son mari. « Regrettes-tu de ne pas y avoir participé ? » lui demande-t-il – « Bien sûr ».
La combattante des forces spéciales israéliennes ne le sait pas encore mais elle est déjà bien malade de ce cancer qui l’emportera, irrémédiablement.
Selon sa volonté, elle fut inhumée en Israël, dans la partie militaire du cimetière du kibboutz de Ramat Hakovesh. Ses compagnons de combat firent graver sur sa tombe cette épitaphe : «J’ai aimé mon pays de tout mon cœur et de toute mon âme, et le temps venu, j’ai rejoint sa terre…». L’insigne du Mossad fut gravée à côté de l’inscription.
Moti Kfir et Ram Oren signent ici la biographie d’une femme exceptionnelle qui semble avoir considérablement marqué ceux qui ont eu la chance de la connaître.
Sylvia, une vie au sein du Mossad par Moti Kfir et Ram Oren
Nouveau Monde éditions 334 pages
Brigitte Thévenot
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