« Mon avis est que le théâtre est plus séduisant. Plus interpellant parce que vous voyez les choses se passer devant vous. C’est plus palpitant. Je ne sais pourquoi… »
C’est ainsi que Hanoch Levin, l’un des plus grands auteurs satiriques et principaux dramaturges israéliens, témoigne à la fin de sa vie de sa fascination pour l’art théâtral.
Une enfance inspiratrice
Né dans la banlieue de Tel Aviv en Palestine mandataire le 18 décembre 1943, Hanoch Levin est issu d’une famille immigrée polonaise profondément religieuse. Il grandit dans le quartier de Neve Sha’anan au sud de Tel Aviv. Son père, qui meurt alors que l’enfant entame sa douzième année, y tient une modeste épicerie. Pour aider sa famille, Hanoch abandonne ses études et suit les cours du soir de l’école artistique Ironi Aleph, tandis qu’il travaille comme coursier la journée. Le quotidien de son voisinage et de sa famille sera, tout au long de sa carrière d’auteur, une source inépuisable d’inspiration; il y puisera la substance pour composer un miroir privilégié de la société israélienne.
Naissance d’un citoyen engagé
Après avoir accompli son service militaire obligatoire comme agent de transmission, il entreprend des études de philosophie et de littérature hébraïque à l’université de Tel Aviv, entre 1964 et 1967. C’est pendant ses études univer sitaires, que le jeune étudiant adhère au Parti communiste israélien. Il atteint l’âge adulte dans les années 1960, au moment où son pays souffre de nombreux clivages : entre Séfarades et Ashkénazes, entre natifs et immigrés, entre Juifs et Arabes, mais également entre riches et pauvres. Les divisions ne cesseront de croître après la guerre des Six Jours, époque à laquelle le jeune homme fait ses premiers pas comme auteur dramatique.
Quand le théâtre devient un tremplin à l’analyse politique
Dans la période de 1967 à 1970, Levin se consacre principalement à l’écriture de satires politiques qui lui offrent une réputation d’auteur subversif et qui ne cessent d’agiter l’opinion israélienne. Sa première pièce, au titre plus que provocateur, Toi, moi et la prochaine guerre est mise en scène par son frère, David Levin, dans les caves d’un cabaret de Tel Aviv. Le jeune communiste s’y moque du masque larmoyant dont se grime le Tsahal (l’armée israélienne) pour justifier son combat et inciter les jeunes à prendre les armes. Il tourne également en dérision dans Discours de célébration de la guerre de onze minutes le discours du général Samuel Gonen à l’issue de la guerre des Six Jours.
Avec une étonnante acuité, l’auteur braque sa plume sur la réalité politique, sociale et culturelle de son pays. Nurit Yaari, professeur à l’université de Tel-Aviv dit à propos de son œuvre : « Levin n’a cessé d’interpeller ses concitoyens contre les conséquences nuisibles d’une occupation durable des territoires conquis. »
Bilan d’une œuvre
L’œuvre dramatique de Levin se compose de 52 pièces dont 32 sont jouées de son vivant. On peut les diviser en trois catégories : les cabarets satiriques, dont nous venons de parler, et qui feront l’objet de violentes critiques de la part du gouvernement; les comédies, centrées sur des individus médiocres, représentatifs du microcosme de la société moyenne israélienne; et enfin les tragédies, ayant pour inspiration notamment des passages de la Bible.
Débat : Un artiste muselé par l’opinion
ou un écrivain libre dans la contrainte ?
Certaines de ces pièces sont vivement contestées par certains spectateurs qui quittent, outrés, les sièges des salles de représentations, ou encore par le Mafdal (alors parti nationaliste religieux) qui demande la censure d’un chant de La Reine de la salle de bain. Uri Porat affirme alors : « Ce théâtre dépotoir fait de nous des meurtriers abjects, citoyens âpres au gain d’un état militariste ». Dans les années 70 à 80, les textes de Hanoch Levin sont montés à Haïfa ou sur les scènes des théâtres nationaux de Cameri et Habima. Levin dirige lui-même 21 de ses pièces, elles sont dès lors traduites et jouées à l’étranger lors de nombreux festivals autour du monde.
Le parcours de Levin témoigne de la puissante liberté d’expression de l’état israélien
Le parcours de Levin témoigne de la puissante liberté d’expression de l’état israélien. L’audace de l’auteur aura fortement dérangé l’establishment du pays, qui l’accable de pressions diverses et variées pouvant aller jusqu’aux menaces de censure. Pourtant, jamais l’écrivain ne fut contraint au silence et la majorité de ses pièces ont été représentées dans des théâtres subventionnés par l’état. La liberté de Levin était totale, l’homme n’épargnait personne, pas moins ses spectateurs que les politiques, religieux, militaires, traditionalistes ou encore intellectuels de son époque.
Derrière l’agitateur, le poète de l’intime
Avare en interview, le dramaturge devient peu à peu l’enfant chéri de l’intelligentsia israélienne. Bien que la nature tortueuse du propos de Levin rende parfois difficile son accessibilité au grand nombre, sa dénonciation de la guerre, son mépris du besoin de « posséder », de « conquérir » au détriment du besoin d’« être » seront les leitmotivs principaux de son œuvre. Derrière la silhouette agitée du contestataire, du militant et de l’artiste engagé, on retient essentiellement du talent du dramaturge cette faculté qu’il avait de rendre sur scène les petites vicissitudes de la vie, les micros événements qui s’avèrent parfois bien plus douloureux et pénibles que les grandes tragédies et les guerres. Il maniait le burlesque, la chanson, les masques avec une rare habilité, tout en restituant, avec une légèreté assumée, les failles les plus profondes de l’humanité.
En lisant ou en assistant à une représentation de Yaacobi et Leidental, de Kroum, l’éctoplasme, ou encore de Ceux qui marchent dans l’obscurité, on constate que les questionnements des personnages, propres à un temps et à un moment donnés, sont bien plus universels qu’ils n’y paraissent. De tristesse en malaise, exprimant l’énergie de l’agonie, chaque voix imaginées par Levin laisse bientôt éclater la révolte et s’élever les cris d’hommes et de femmes en détresse dans un monde absurde et nihiliste.
Mort d’un homme, genèse d’une œuvre majeure
Le dramaturge décède d’un cancer, le 18 août 1999 en Israël, à l’âge de 55 ans. Si aujourd’hui il est étudié dans les universités, si ses œuvres sont traduites et jouées un peu partout à travers le monde, c’est parce que, à l’instar d’un Shakespeare, d’un Molière ou d’un Brecht, Levin fait partie de ces écrivains qui auront permis de mieux appréhender le monde qui nous entoure.
Elle survivra à l’épreuve du temps.
Amandine Sroussi
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