« NOUS SAVIONS MAIS NOUS N’AVONS PAS BOUGÉ »
Depuis 1971, les francophones de Netanya avaient l’habitude de se réunir à l’occasion de Kippour à l’hôtel King Salomon de Netanya. L’établissement était mis à leur disposition par les propriétaires Jo Lévi et Fernand Douieb entre autres.
Plus de 400 personnes se pressaient à cet office communautaire de Kippour. Parmi elles, tous les olim francophones des années 70 rejoints par les plus anciens, étaient présents. Rien ne laissait présager le déclenchement d’une guerre. Pour preuve, le lendemain, dimanche 7, les dirigeants francophones devaient partir en croisière. Un voyage de détente organisé par l’UNIFAN et son secrétaire général, René Kessous. La veille de Kippour, vendredi soir 5 octobre, nous étions réveillés toute la nuit par un défilé incessant d’hélicoptères qui longeaient le bord de mer. Au petit matin, les offices commençant à 6h, je traversais le Kikar Atsmaout et je constatais la présence de dizaines de camions de Tsahal bâchés et dans l’attente… Je mettais cela sur le compte de manoeuvres militaires…
Vers 10h du matin, en plein office de Chahrit dans une salle remplie, nous recevons la visite d’un ami. Il nous interroge sur l’identité des jeunes présents. Je lui communique la liste. Il me fait savoir qu’il reviendra dans deux heures. Sans aucun commentaire. Rien.
Il est de retour vers 11h avec une liste précise. Il me demande de prévenir les personnes dont les noms figurent sur la liste. Tous sont convoqués immédiatement au lobby de l’hôtel. La plupart d’entre eux venaient de terminer leur période de service militaire obligatoire.
J’explique alors au grand rabbin Hazan la raison de ce remue-ménage. Il décide d’interrompre la prière de Chahrit avant de monter avec les jeunes au lobby. Il décide d’allumer la radio et nous constatons que les informations de 11h reprenaient alors que durant tout Kippour, toutes les émissions sont interrompues.
Sans le savoir précisément, nous pressentions un grave danger. Le rabbin Hazan demande aux parents de venir le rejoindre auprès des enfants et décide alors avant de les laisser partir d’organiser une «bircat cohanim» exceptionnelle. Une heure après, il est midi, Israël découvrait que nous venions d’entrer en guerre.
14h. La mobilisation générale est annoncée à la radio. Nous, les non-mobilisables dans l’urgence, terminons notre journée de prière dans l’incertitude totale. Pressés de rentrer et d’allumer radio et télévision. Deux visages apparaissent alors : le Premier ministre Golda Meir et le ministre de la Défense, Moché Dayan. Blêmes, livides, décomposés. Balbutiants, hésitants, ils tentent de nous expliquer ce qui vient de se produire. C’est le début de la guerre.
Dès le lendemain, les noms de jeunes de Netanya tombés au champ d’honneur étaient publiés et égrenés à la radio.
Les olim qui venaient d’arriver n’étaient pas encore en mesure de combattre. Ils décidaient donc de s’associer pour venir aider les soldats. Les femmes investissaient la trampiada de Beit Lid sur la route 4, pour ravitailler, surtout en sous-vêtements et en nourriture, les militaires qui, partis précipitamment de chez eux, étaient totalement démunis.
Les hommes, eux, à l’initiative, entre autres de Marcel Hayoun et Yvan Zibi, se rendaient à Roch Pina afin de mettre leurs véhicules (une quarantaine) à la disposition du Magen David Adom pour le transport des blessés très nombreux vers l’ancien hôpital de Safed.
Une anecdote en passant : le nouvel hôpital de Safed n’étant ni terminé, ni équipé, notre ami Yvan Zibi prenait l’initiative de se rendre à Paris pour réunir ses amis et recueillir des fonds. La communauté francophone de Netanya mettait également du sien en offrant à l’hôpital la somme dont elle disposait pour la construction d’un centre francophone rue Dizengoff (qui hélas ne verra jamais le jour).
Zibi revenait de Paris avec un budget permettant, avec celui des francophones de Netanya, l’équipement immédiat de deux salles d’opération.
Quarante ans plus tard, Je me souvient parfaitement de ces instants comme si c’était hier. Et de se poser la question : «Nos dirigeants savaient. Les camions bâchés sur le Kikar, les hélicoptères, la liste des jeunes enlevés à leurs familles en plein office de Kippour alors que les Egyptiens attaquaient seulement à 14h. »
Nous savions et nous n’avons pas bougé. Pourquoi ? Pourquoi ?
Julien Zenouda
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