La Russie a célébré lundi le 70e anniversaire de la révolte du camp de Sobibor,
la plus importante évasion de prisonniers d’un camp nazi pendant la guerre,
organisée par un officier de l’Armée rouge,
un événement occulté pendant des décennies en URSS.
A l’approche de cet anniversaire, le président russe Vladimir Poutine a chargé le ministère de la Défense d’élaborer un projet pour « immortaliser les héros qui s’étaient révoltés dans le camp d’extermination nazi de Sobibor », dans le sud-est de la Pologne, le 14 octobre 1943.
Héros de la Russie
Cette décision a été prise à la suite de l’appel du Conseil consultatif pour les droits de l’homme auprès du Kremlin à décerner post-mortem l’ordre de Héros de la Russie — la plus haute distinction du pays — à l’organisateur de la révolte, le lieutenant Alexandre Petcherski, dont l’exploit a été occulté pendant toute l’époque soviétique en raison de ses origines juives.
Lundi, une cérémonie a eu lieu dans une synagogue de Moscou, en présence de représentants des ambassades étrangères.
Un exploit unique
« C’est un exploit unique sans précédent dans l’histoire de la Seconde guerre mondiale », a déclaré Nikolaï Svanidzé, membre de la Chambre civile russe, organe consultatif du Kremlin, lors de la cérémonie.
Petcherski n’a non seulement pas été décoré pour son rôle majeur dans cette révolte, au cours de laquelle quelque 400 prisonniers ont tenté de s’échapper, il a été persécuté pendant les campagnes antisémites de l’époque stalinienne.
« Manifestement, le régime totalitaire n’était pas intéressé par cet acte héroïque », a déclaré le chef du Conseil consultatif pour les droits de l’homme auprès du Kremlin, Mikhaïl Fedotov.
Même après la mort de Staline en 1953, il n’était pas politiquement souhaitable d’inscrire l’héroïsme de Petcherski dans l’histoire officielle soviétique.
Le lieutenant Petcherski, fait prisonnier après être tombé dans une embuscade, a été envoyé au camp d’extermination de Sobibor en septembre 1943 en raison de ses origines juives.
Moins d’un mois après son arrivée à Sobibor, Petcherski a organisé avec d’autres prisonniers une révolte particulièrement audacieuse, tuant un par un une dizaine d’officiers de la SS et des gardiens ukrainiens du camp.
Quelque 300 prisonniers ont alors réussi à s’échapper en faisant une brèche dans les barbelés, alors que 80 autres ont été tués par les gardiens. Près de 170 révoltés ont ensuite été capturés par les nazis et fusillés.
Les rescapés de Sobibor
Des prisonniers qui n’avaient pas participé à la révolte ont également été exécutés. Les nazis ont ensuite démoli Sobibor pour effacer toute trace de ce camp où, au total, plus de 250.000 personnes ont été tuées.
Dans le cadre de la commémoration, qui s’inscrit dans la campagne du Kremlin visant à renforcer le patriotisme en Russie, la télévision publique va diffuser deux documentaires sur la révolte de Sobibor.
En 1987, un film britannique « Les rescapés de Sobibor » avec l’acteur hollandais Rutger Hauer a déjà rendu hommage à cette révolte.
Une rue en Israël et un mémorial à Boston portent le nom de Petcherski.
Une révolte organisée par un juif
« N’est-ce pas étonnant qu’un acte héroïque connu dans le monde entier n’ait pas été honoré publiquement en Russie? », s’est interrogé Léonid Mletchine, auteur d’un des documentaires télévisés sur Sobibor, qui a avoué n’avoir appris que récemment l’histoire de cette révolte.
« Notre société a des relations compliquées avec l’histoire », remarque-t-il.
Après s’être échappé de Sobibor, Petcherski est retourné au front. Mais lors de la campagne antisémite lancée en URSS après la fin de guerre, il est devenu l’objet de persécutions et les autorités soviétiques ont tout fait pour que la révolte de Sobibor organisée par un Juif tombe dans l’oubli.
« Il y avait toujours de la pression sur lui. Il n’y a là aucun doute », a déclaré un descendant de Petcherski, Andreï Prokofiev.
Petcherski n’a ainsi pu obtenir son premier emploi — dans une usine — qu’après la mort de Staline.
Il est resté en contact avec les autres rescapés, mais n’a jamais été autorisé à voyager à l’étranger pour participer à des cérémonies
commémoratives ou des procès de criminels nazis.
Alexandre Petcherski est décédé en 1990 à Rostov-sur-le-Don, sa ville natale, où quasiment personne ne savait qu’il était à l’origine de la seule évasion massive réussie d’un camp nazi pendant la Seconde guerre mondiale.
Anna Smolchenko pour AFP
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