LE REGARD DE JACQUES BENILLOUCHE
POUR
Les hésitations de la majeure partie des pays occidentaux à lancer une attaque contre la Syrie confortaient la position d’Israël qui n’entrevoyait de solution raisonnable que dans le cadre de négociations internationales. Benjamin Netanyahou avait cherché à convaincre les Américains que si le régime de Bachar Al-Assad tombait, alors l’avenir de la Syrie s’annoncerait plus noir que le présent.
Les leçons du passé sont rarement assimilées pour définir une politique efficace. L’exemple de la Libye démontre la grossière erreur de l’Occident qui s’est totalement trompé dans ses prévisions les plus optimistes. Cela explique l’opposition de certains pays de l’Union Européenne à utiliser la force qui risquait de remplacer le régime sanguinaire de Bachar Al-Assad par un régime instable. les Russes savaient que l’option des djihadistes au pouvoir était exclue et ils ont fait marcher la diplomatie secrète pour permettre aux Etats-Unis de sortir par le haut d’une situation bloquée. L’exemple libyen prouve qu’un régime dictatorial est souvent plus acceptable qu’une aventure djihadiste.
Évolution dans le mauvais sens
La chute du colonel Kadhafi a permis à la Libye de retrouver sa liberté certes, mais d’évoluer dans le mauvais sens vers une anarchie généralisée et un effondrement de l’économie. Il est vrai que la justification de l’intervention de l’OTAN était liée à une menace humanitaire contre une population désarmée. Il est vrai aussi que les chars libyens se préparaient à entrer dans Benghazi pour se lancer dans un massacre de la population à l’instar d’un Bachar Al-Assad qui assassine son peuple.
Bien que l’intervention de l’OTAN contre Kadhafi ait eu une justification humanitaire face au danger que courait la ville de Benghazi, la communauté internationale a ignoré l’escalade de la violence. L’intervention a échoué car elle n’a pas eu les résultats escomptés puisque la Libye a sombré dans le chaos avec une mainmise des groupes djihadistes qui ont vidé les stocks d’armement pour les disséminer aux quatre coins des régions arabes.
Les Occidentaux s’imaginaient déjà dans un vrai Pérou où ils pouvaient exploiter l’or et l’argent. Les hommes d’affaires se préparaient à mettre en coupes réglées le pays libéré qui avait besoin d’être entièrement reconstruit et modernisé grâce à l’or noir du sous-sol. Ils rencontrèrent la désillusion car l’anarchie et la violence n’ont pas permis d’assurer la sécurité de ces nouveaux pionniers. L’économie n’a pas suivi car la production de pétrole brut de haute qualité a plongé de 1,4 million de barils par jour à seulement 160.000 barils aujourd’hui entrainant l’effondrement des revenus entièrement basés sur le pétrole.
Sur le plan sécuritaire, le gouvernement n’a plus le contrôle du pays qui a été conquis par les miliciens islamistes qui imposent leur loi en envahissant les ports pétroliers pour vendre, à leur profit, du pétrole sur le marché noir. Le premier ministre Ali Zeidan est désarmé face aux voleurs de pétrole, souvent d’anciens rebelles ayant renversé le colonel Kadhafi, qui ont décidé de se servir directement face à la corruption généralisée qui sévit.
Régions à l’abandon
Alors que les yeux étaient fixés vers l’Égypte et la Syrie, la Libye a connu sa pire crise politique et économique. Le pouvoir est absent des régions laissées à l’abandon aux mains de terroristes patentés. Des unités militaires se mutinent et se solidarisent avec des forces qui prônent la sécession de l’est du pays. La loi appartient dorénavant aux milices qui appliquent leur loi face à une population excédée qui se rebelle et proteste dans les rues en étant tirée comme des lapins. Une manifestation devant la caserne «la brigade du Bouclier humain» à Benghazi, occupée par une milice, a tourné le 8 juin au carnage avec un bilan de 31 personnes tuées et de plus de cent blessés.
Les nouvelles autorités libyennes sont en position de faiblesse face à des milices, très impopulaires dans les grandes villes comme Tripoli et Benghazi. Le climat politique, déjà délétère, a été rendu encore plus détestable par l’adoption, sous la pression des milices, d’une loi destinée à bannir de la vie publique ceux qui ont exercé des fonctions sous Kadhafi. Mohamed Al-Megaryef, le président du Congrès général national, qui a été pendant longtemps une figure de l’opposition à Kadhafi a été contraint de démissionner, le 28 mai dernier.
La «loi de l’isolement politique» s’est appliquée de manière implacable car il a été ambassadeur en Inde au début des années 1980, avant de faire défection et de créer le plus important mouvement d’opposition. De nombreux ministres, une quarantaine de députés tombent sous le coup de cette loi. Les cadres utiles au pays inscrits sur une liste de 23 catégories professionnelles, ont été automatiquement exclues de la vie politique. Ont été ciblés les ministres, les diplomates, les responsables de services de sécurité, mais également ceux qui travaillaient dans les entreprises. Tout l’essentiel de l’encadrement libyen déjà formé se trouve ainsi banni parce qu’en Libye, les milices continuent de faire la loi.
L’information sur la Libye ne circule plus en Occident comme si l’on voulait masquer un échec évident. Les média étrangers sont incapables de justifier l’effondrement du gouvernement central. Les grèves se multiplient devant une utilisation anarchique des revenus du pétrole. La région orientale qui regorge de pétrole exige à présent une sécession, ou au moins une autonomie pour exploiter la manne du pétrole au profit d’investissements plus favorables à la population. Les étrangers qui pensaient faire fortune en Libye ont déserté le pays quand les miliciens djihadistes ont fait leur apparition après l’assassinat de l’ambassadeur américain Chris Stevens.
La loi des milices
La violence se répand à travers le pays avec son lot d’assassinats comme celui du procureur militaire, le colonel Youssef Al-Asseifar, le 29 août. La capitale est envahie par des hordes islamiques qui font régner leur ordre et l’anarchie. Le Parlement a été occupé par les milices Berbères ethniques. Les prisons débordent d’hommes enfermés sans jugement qui ont d’ailleurs lancé une mutinerie le 26 août 2013 avec des conséquences dramatiques sur la vie de certains d’entre eux, dans le principal établissement pénitentiaire et de réhabilitation de Tripoli, connu sous son ancien nom de prison d’Al-Roueimy. Le ministre de la Justice, Salah al-Marghani, a reconnu le 31 août, que les autorités avaient tardé à remédier aux carences existantes en matière de sécurité dans la prison et que des gardiens insuffisamment formés et mal équipés avaient peut-être contribué à l’escalade de la violence : «Nous avons trop tardé à fournir des armes non mortelles aux autorités de la prison».
Le gouvernement est impuissant et le ministre de l’Intérieur, Mohamed Al-Sheikh, en a tiré les conclusions en démissionnant de son poste devant son impossibilité de reconstruire l’armée et la police. Le gouvernement est sous la coupe des Frères musulmans et dépend du bon vouloir des différentes tribus qui lui apportent un soutien très intéressé et qui parfois règlent leurs différents dans le sang comme les tribus Zawiya et Wirrshifana.
Les diplomates ne sont plus à l’abri et les convois diplomatiques subissent des embuscades systématiques. L’ambassade de France à Tripoli, en Libye, a été la cible d’une attaque à la voiture piégée le 23 avril 2013 et partiellement détruite. Les premières images montraient de très importants dégâts sur le bâtiment.
Le cercle vicieux est engagé. Le gouvernement peine à vendre son pétrole et l’absence de revenus ne lui permet pas de relancer l’économie ni même de régler les salaires des fonctionnaires.
Ce scénario est dramatique et volontairement éludé par les Occidentaux qui se voilent la face pour ne pas reconnaître l’idée de s’être trompés. Alors ils ferment les yeux sur le désastre qui sévit en Libye. Le pays a été libéré d’un tyran mais a hérité d’une situation, la pire qu’il ait connue dans son histoire. Les Russes, qui haïssent les islamistes, ont voulu éviter que cet exemple encore chaud se renouvelle en Syrie où la prise du pouvoir par les djihadistes pourrait conduire au même chaos et à la même anarchie.
Tandis qu’il était de bon ton pour les Occidentaux de ne rien dire sur la Libye et de laisser faire en restant droit dans ses bottes, la diplomatie russe a fonctionné à plein régime pour empêcher une frappe américo-française contre la Syrie et trouver une solution diplomatique pour éradiquer les armes chimiques. Beaucoup de scepticisme concernant la bonne volonté syrienne existe encore mais la guerre régionale semble s’éloigner au profit d’une guerre civile syrienne violente dont l’issue reste encore incertaine. La Syrie pourrait alors tomber dans un chaos similaire au chaos libyen actuel.
Jacques Benillouche
C’est par hasard que je tombe sur cet article de Jacques Benillouche. J’ai éte à l’École primaire de la rue Bab el Kadra à Tunis (1949 – 1953) et un des camarades de classe s’appelait Jacques Benillouche. Nous nous sommes revus très brièvement à Paris en Ocobre 1961. J’aimerais savoir si c’est le même Jacques et auquel cas je serais heureux de le saluer et pourquoi pas le rencontrer. J’habite en Suède et je suis retraité après avoir été chirurgien dentiste à Stockholm.
Merci