Gilles Uzzan, de l’expertise psychiatrique à la … Démocratie religieuse. Par Sarah Cattan

Médecin, psychiatre-addictologue et expert judiciaire près de la Cour d’appel d’Amiens, interviewé en janvier 2018 pour TJ au sujet des prisons françaises , Gilles Uzzan est auteur de plusieurs ouvrages sur la psychiatrie clinique mais encore sur le judaïsme, sujets qu’il aborde sous forme d’essai, de roman et aussi de Contes à la Maupassant: Isaac et Lola, primé au Concours Littré 2017 du Groupement des écrivains-médecins, vous avait été présenté ici, et alors que la réédition d’Un Regard sur le judaïsme vient de recevoir le Prix Coup de cœur 2018 du même Groupement, Gilles Uzzan publie aujourd’hui Contes aliénés, dix histoires qui exhortent à s’interroger sur la frontière plus que tenue entre santé et maladie, et à regarder autrement ces êtres supposés devoir rester à la marge de la société.

Un Regard sur le judaïsme. Pour une démocratie religieuse

Publié en 2014, Son Regard sur le judaïsme vient d’être réédité et s’est vu primé. Témoignage du combat permanent de l’auteur contre le fanatisme, l’intégrisme, l’extrémisme, et ode à la tolérance, l’ouverture, l’échange et la pluralité, la visée d’Un Regard sur le judaïsme a valeur universelle. Gilles Uzzan, de confession israélite, précise que son témoignage est valable pour toutes les religions : Ma vision du judaïsme n’est pas dogmatique mais altruiste et humaniste avant tout. Je considère que l’ardeur spirituelle doit être tempérée et adaptée à notre société pour éviter les dérives du fanatisme religieux.

A la lecture de l’essai, on adhère aisément aux arguments rationnels qui plaident en faveur d’une religion qui n’enfreigne pas notre liberté de pensée. D’une pratiquer qui permette le questionnement et légitimise la remise en question. Vous l’aurez compris : l’auteur nous parle de démocratie religieuse : Eviter ainsi la ghettoïsation et prioriser l’ouverture et l’échange interculturel, tel est le fil directeur de cet essai sur le judaïsme qui d’ailleurs m’a ensuite inspiré pour la rédaction de mon roman Isaac et Lola.

Un regard sur le judaïsme dépoussière tout ça, interroge et s’il demande ce qu’est le judaïsme contemporain, il invite aussi à se questionner : Comment pratiquer aujourd’hui…

Si l’auteur, petit-fils de rabbin et élevé dans une famille traditionaliste, admet que la religion juive est un véritable mode de vie que l’on embrasse pleinement, il reconnaît sans ambages les excès et failles constitutifs d’une ardeur spirituelle addictive et nullement tempérée : lui-même, très religieux dans son enfance et les débuts de sa vie d’adulte, évoque aujourd’hui le folklore du judaïsme et a traversé une phase de relâchement spirituel avant de redevenir un pratiquant au pays de la démocratie religieuse. Cette espérance, et hélas encore utopie, où seraient décuplés, dans les temps de prière et de rassemblement avec la communauté, l’auto-analyse, le questionnement libre, les valeurs de respect et d’humanisme.

Il quitta un jour la capitale pour la province et concède volontiers qu’en Picardie le judaïsme est beaucoup moins florissant ? C’est qu’il ne fait qu’appliquer sa pensée : pour lui, la pratique religieuse, loin de constituer un frein aux ambitions, doit être un moteur, une source d’énergie : Gilles Uzzan tel qu’en lui-même. Dont le credo est que le judaïsme doit se vivre comme une invitation à comprendre l’autre et accepter les différences de culture. Etre modéré : Sans toutefois remettre en question les principes de la Loi Mosaïque et les 613 commandements de la Torah qui est éternelle et immuable. Petit-fils de rabbin, ouvert et humaniste dans l’âme, je fais ce que je peux faire, je ne culpabilise pas.

C’est ainsi que ce pratiquant est en droit de dénoncer tous les intégrismes religieux, y compris dans sa propre religion, qu’il lui est permis d’affirmer sans offenser quiconque ne pas aimer le côté ostentatoire des religions, et encore d’aller jusqu’à appeler à modérer l’ardeur spirituelle.

En guise d’apéritif, un pacte de lecture à la manière d’un Montaigne ouvre l’essai : Le judaïsme prône la démocratie religieuse ouvrant le débat à toutes discussions, comme en témoignent les échanges talmudiques […] Mais il n’est pas interdit d’exprimer ses opinions […] Comme Stefan Zweig le rapporte à propos de Freud qui disait de son œuvre: je n’ai pas l’intention d’essayer de convaincre, de persuader, d’enjôler le lecteur, mais uniquement d’exposer.

A lire Gilles Uzzan et à le voir bousculer l’image parfois désuète et austère de la religion, je n’ai pour ma part jamais eu le sentiment que notre homme avait bien du mal à choisir entre soigner ou écrire. Tant en effet l’un allait si bien avec l’autre : aurait-il été l’auteur que nous lisons s’il n’avait été nourri préalablement et parallèlement de son quotidien de médecin, lequel s’enrichit dans un jeu de miroir des mots et pensées jetées sur le papier. 

Contes aliénés. La raison du plus fou…

Outre que Contes aliénés intime de se poser la question de la prise en charge psychiatrique, que ce fût en milieu hospitalier ou carcéral, et pointe l’insuffisance des moyens mais encore la spécificité toute particulière des auteurs d’attentats terroristes, pour lesquels Gilles Uzzan considère qu’une nouvelle branche est à inventer, visant à former des experts susceptibles de déceler la simulation et le processus de radicalisation, ces pathologies nouvelles , faut-il, comme j’ai pu le lire, réduire ce recueil à une forme de bienvenue chez les fous ?

Nous en doutons.

Et il n’est pour cela que de lire la préface du Professeur Dervaux, qui écrit que l’auteur raconte de l’intérieur l’histoire de patients certes imaginaires mais dans des situations vécues de tous les psychiatres, et rappelle à raison que délirants, étymologiquement, signifie ceux qui sortent du sillon, alors que l’auteur rappellera, lui, que la psychose, par exemple, est la résultante de fictions fantastiques et de mystères.

Comparant l’atmosphère des Contes à celle des nouvelles d’un Kafka, le Professeur de psychiatrie prévient le lecteur que s’il sera comme piégé dans le monde de la maladie mentale, ce monde clos, fascinant car au cœur-même des paradoxes de l’existence, il sera sauvé par cette part d’espoir inhérente à la condition humaine.

Schizophrénie, qu’elle fût paranoïde ou non, bipolarité, pathologies comportementales, Contes aliénés nous promène dans cet univers parallèle et raconte encore Christophe, ce patient soigné par l’ADN-R, molécule capable de régénérer les cellules et de vaincre le vieillissement cellulaire et qui va implorer, une fois remis à niveau, qu’on le laissât redevenir comme avant. La raison du plus fou vous disais-je, me remémorant ce titre de Karlin et Lainé[1].

La dernière des dix nouvelles rend hommage avec émotion et humilité aux patients toxicomanes de l’auteur-docteur. C’est qu’ils parlent bien de chacun d’eux, ces Contes aliénés, études de cas psychiatriques auxquels se greffent avec légèreté fiction et fantastique : la signature d’un homme qui nous livre sa propre fascination pour la maladie mentale et nous disant bien que la raison du plus fou n’est jamais loin…

Sarah Cattan

Un regard sur le judaïsme. Edition 2018 revue et corrigée. Editions du Panthéon.

Contes aliénés. Éditions de l’onde. 2018.

[1] Les Editions sociales. 1977.

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4 Comments

  1. « Aurait-il été l’auteur que nous lisons s’il n’avait été nourri préalablement et parallèlement de son quotidien de médecin, lequel s’enrichit dans un jeu de miroir des mots et pensées jetées sur le papier »
    Bien d’accord et plus encore aurait-il choisi cette voie de médecin et psychiatre si son éducation N’avait pas suscité en lui une inclination au don et dinc en l’espece au soin en même temps qu’effectivement la confrontation de l’intériorité acquise au réel ait pu susciter une tension voire une culpabilité et donc une certaine souffrance qui a pu conduire et se résoudre par le lâcher prise et la sérénité. Une évidence semble installée à savoir qu’aucun juif diasporique n’expérimente pas à un moment où un autre de sa vie une certaine forme de schyzophrenie en relation avec son judaisme qui n’est rien d’autre que l’exercice personnel de sa judéité, laquelle dimension vient se superposer avec son parcours personnel et familial lui même très marqué par …, sa judéité. En tous cas la pensée ici retranscrite de l’auteur semble bien incarner le fameux « dereh eretz kadma latorah » à savoir apprendre à être un être humain avant d’ »exercer » en tant que juif. Merci de ce partage si bien réalisé. Chana tova républicain à tous!

  2. Un bien bel article, et un bien beau commentaire, Claude, fort à propos.
    La démocratie religieuse est un oxymore intéressant, car quoi de plus démocratique que le débat incessant issu du Talmud, où une phrase du texte biblique peut prendre des milliers de sens, parfois s’opposant totalement, mais tous valables . C’est cette richesse qui rend possible le foisonnement des commentaires , et qui est la base de la tolérance propre au judaïsme.
    Merci à vous tous!

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