[1] La pauvreté en Israël est importante. Après le Mexique, Israël enregistre le taux de pauvreté le plus élevé parmi tous les pays de l’OCDE (34 pays). Quel parcours depuis 1948, année de création de l’État d’Israël ! A cette époque les valeurs qui dominaient étaient celles de la plus grande égalité entre les habitants du pays. Les socialistes dominaient alors la scène politique, qu’ils vont occuper de manière ininterrompue jusqu’en 1977. Cette année-là, ils perdent les élections et abandonnent le pouvoir à la droite. Et depuis, sauf en de rares intermèdes, c’est celle-ci qui gouverne le pays depuis. En toute logique, et conformément à ses choix idéologiques, elle va adopter et mettre en œuvre un programme de libéralisation de l’économie, et de privatisation de secteurs importants. On serait alors tenté d’attribuer à la politique libérale du gouvernement la montée des inégalités et de la pauvreté. Or, ce n’est pas ce facteur que la Banque d’Israël retient dans son rapport annuel sur l’économie israélienne, et plus particulièrement de la montée inquiétante des inégalités de revenus.
Les inégalités en Israël
La situation des inégalités et de la pauvreté en Israël présente des caractéristiques spécifiques, qui en font un cas unique parmi l’ensemble des pays développés de l’OCDE.
1. En 2014 19% des familles vivent avec un revenu inférieur au seuil de pauvreté. Israël est le pays qui enregistre la plus forte poussée des inégalités parmi les pays de l’OCDE entre 1996 et 2012 :
2. Les inégalités des revenus sont le reflet des inégalités de salaires. Israël est le pays qui enregistre le plus de hauts salaires et de bas salaires.
3. En 2003, un ensemble de mesures a réduit sensiblement le rôle redistributif des impôts et des transferts sociaux. La conséquence en est que les inégalités sont moins réduites par l’effet de la redistribution. Ainsi, celle-ci a permis de réduire les inégalités de revenus de 22%, alors que la réduction moyenne de l’OCDE est de 35% (données de 2011), et le réduction en France est de 60%.
4. Le taux de pauvreté est particulièrement élevé parmi les familles arabes et les familles juives ultrareligieuses (haredi). Cette situation et le résultat de trois facteurs : la faiblesse des salaires, un taux d’emploi faible et un nombre d’enfants élevés.
5. Lorsque l’on calcule les taux de pauvreté avant redistribution (action des pouvoirs publics en faveur des moins favorisés), Israël occupe une position moyenne parmi les pays de l’OCDE. Par contre, lorsqu’on les calcule après redistribution, Israël a le taux de pauvreté le plus élevé des pays de l’OCDE, si on excepte le cas du Mexique.
6. Dans l’hypothèse où les pouvoirs publics décident de réduire les inégalités et les taux de pauvreté, deux moyens sont à leur disposition : soit accroître la charge fiscale sur les hauts revenus, soit d’accorder plus d’allocations aux plus démunis.
7. Concernant la première solution, les données statistiques fournies par la Banque d’Israël indiquent clairement que la charge sur les revenus moyens et élevés est comparable à celle de la moyenne des pays de l’OCDE [2]. On en déduit tout logiquement que pour réduire les inégalités et le taux de pauvreté il suffirait que le gouvernement décide d’accroître sensiblement les aides financières aux plus démunis.
8. Mais ce n’est pas si simple, car dans le cas d’Israël, et pour les populations particulièrement concernées (arabe et haredi), dans l’hypothèse d’un accroissement des allocations, l’incitation à entrer sur le marché du travail a de fortes chances de diminuer.
La population juive ultraorthodoxe, qui représente la moitié des pauvres en Israël, accorde une grande importance à l’étude des textes de la tradition juive (Thora, Talmud…). Aussi le taux d’activité des hommes est particulièrement faible. Dans le cas de la population arabe, c’est le taux d’activité des femmes qui est très faible. Elles n’entrent pas sur le marché du travail pour des raisons culturelles.
Au final, les économistes israéliens arrivent à la conclusion en apparence surprenante : « La pauvreté est un choix » [3]
Les explications.
Mais alors que faire face à ceux qui choisissent d’être pauvres et de subsister que grâce aux aides publiques ? Augmenter les allocations rendra la situation pour ces catégories plus confortable, ce qui réduira encore plus l’incitation à entrer sur le marché du travail. Pour la Banque d’Israël, « A subsidy augments the families disposable income in the present but undermines both the parents incentive to work in the present, and the children’s chances of working in future ». Il n’y pas d’autre pays développé confronté à ce dilemme avec autant d’acuité, d’autant plus qu’il concerne des populations dont le poids démographique va s’accroître dans les prochaines années. En 2059 ces deux populations (juifs orthodoxes (28%) et arabes (22%)) représenteront ensemble 50% de la population totale.
Par voie de conséquence, la solution n’est donc pas d’accroître les allocations mais semble plutôt d’inciter ces populations à entrer de plus en plus sur le marché du travail. Les incitations peuvent prendre la forme d’impôt négatif et de programmes intensifs de formation afin d’augmenter la productivité. Cependant, et nous touchons le point sensible, un accroissement des aides au système scolaire, tel qu’il fonctionne (les programmes de base, tels que les mathématiques, la physique…ont une place réduite [4], n’aura pas d’impact. La pauvreté ne diminuera pas.
Dans le cas des religieux juifs, le fait de les inciter à participer plus à la vie active ne suffira pas à réduire la pauvreté, car deux autres facteurs interviennent, la taille des familles et et surtout l’absence de qualification.
Comparons le comportement des deux populations (laïc [5] et ultrareligieuse ou haredi), dont les deux conjoints travaillent. Cela concerne 9% des ultrareligieux, et 32% des laïcs. Le taux de pauvreté des ménages laïcs n’est que de 0.7%, alors qu’il est de 22% dans le cas des ménages ultrareligieux. Les familles haredi ont en moyenne six enfants, aussi, le doublement des allocations ne ferait baisser le taux de pauvreté que de 3% (calcul de la Banque d’Israël). Si la taille des familles haredi serait celle des non haredi, le taux de pauvreté diminuerait de 31%.
Par ailleurs, le manque de qualification de la population haredi et de la population arabe, explique que, même lorsqu’elle a un emploi, le taux de pauvreté reste important. Il s’agit d’emplois à très bas salaires et à très faible productivité. Si leur salaire moyen serait équivalent à la moyenne nationale, le taux de pauvreté se réduirait de 15%. Un paradoxe caractérise les résultats scolaires. D’une part, Israël a un des taux les plus élevés de population de niveau universitaire. Et d’autre part, Israël enregistre un des scores Pisa [6] les plus faibles comparés à ceux des pays de l’OCDE. Les scores Pisa obtenus par la population arabe sont particulièrement faibles comparés à ceux obtenus par la population juive non haredi. Hélas les écoles haredi ne participent pas aux tests Pisa, mais on peut faire l’hypothèse raisonnable que leur inclusion dans l’enquête ferait baisser les scores. Les programmes scolaires haredi (qui concernent principalement les garçons) n’intègrent ni les mathématiques ni les sciences, ni les langues étrangères à un niveau comparable à celui des autres écoles.
Finalement, la question de la pauvreté est politique. Tant que le système scolaire ne sera pas réformé en profondeur dans les écoles ultrareligieuses, et nettement amélioré dans les écoles arabes, la pauvreté persistera dans ces populations.
Source : http://destimed.fr/La-pauvrete-en-Israel-un-choix-par-le-Pr-Gilbert-Benhayoun
(*) Le Professeur Gilbert Benhayoun est le président du groupe d’Aix qui comprend des économistes palestiniens, israéliens et internationaux, des universitaires, des experts et des politiques. Son premier document, en 2004, proposait une feuille de route économique, depuis de nombreux documents ont été réalisés, sur toutes les grandes questions, notamment le statut de Jérusalem ou le dossier des réfugiés, chaque fois des réponses sont apportées.
[1] Israël a opté pour une définition relative de la pauvreté : est considéré comme pauvre celui dont le revenu disponible (après paiement des impôts et perception des transferts sociaux) est inférieur à la moitié du revenu médian du pays, ajusté selon la taille de la famille. En 2014 le seuil mensuel de pauvreté pour un couple est de 4 923 shekels, soit 1145 euros. Pour un couple avec deux enfants, le seuil de pauvreté est fixé à 1832 euros.
[2] Dans son rapport annuel de 2015, la Banque d’Israël note que « Les impôts directs contribuent à réduire des inégalités de manière similaire à la moyenne des pays de l’OCDE ».
[3] Meirav Arlozorov, « Why is Israel the Second Poorest Nation in the OECD ? Haaretz, 5 avril 2016.
[4] Le système n’est pas unifié comme en France. Coexiste un ensemble de systèmes, laïc, religieux, ultrareligieux (haredi en hébreu), arabe.)
[5] Par commodité on parlera de ménages laïcs, mais il s’agit en fait de populations considérées comme non ultrareligieuses
[6] Le programme Pisa évalue, tous les trois ans, les résultats des systèmes éducatifs. L’enquête, réalisée tous les trois ans, évalue les acquis des jeunes dans trois domaines : compréhension de l’écrit, culture mathématiques, culture scientifique.
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